Durant cette période de confinement, des professeurs documentalistes prennent des initiatives. Ainsi au collège, classé REP, Nelson Mandela de Floirac (Gironde) Sophie Bielle, prenant appui sur sa longue expérience pédagogique (professeure d’Education Physique et Sportive puis professeure documentaliste), met au premier plan le soutien psychologique, la recherche du bonheur, même dans cette situation difficile. Elle publie quotidiennement une rubrique sur le site du collège. Pour la principale du collège – Françoise Amétépé, l’initiative « se veut un lien entre nous tous, élèves, familles, personnels du collège, un lien de solidarité, de partage, d’aide à l’autre… » .
Mme Bielle, à qui s’adresse l’initiative « Gardons le moral et le sourire » ? Et quels sont vos objectifs ?
Cette initiative est née d’une collaboration (Principale, Infirmière scolaire, Professeure documentaliste…) et a pour but d’apporter du soutien, des conseils, et de proposer des pratiques aux parents et aux élèves qui en auront la curiosité. Nos élèves ont déjà pour la plupart été sensibilisés à ces pratiques dans le cadre de nos parcours santé, citoyen et d’éducation artistique et culturelle. Cette rubrique est le prolongement du lien du collège avec l’extérieur pendant cette période si particulière du confinement. Chaque jour ouvré c’est comme un clin d’œil que l’on envoie aux élèves pour leur dire : On est là, on ne vous oublie pas, on continue ensemble ! Ceci afin qu’ils retrouvent depuis chez eux ces temps et ces espaces où ils sont en étude, au CDI ou encore lorsqu’ils participent sur le temps méridien à des clubs ou sur le temps scolaire à des projets menés dans l’établissement. Bien sûr, il y a la continuité pédagogique pour le travail scolaire qui s’organise avec les enseignants disciplinaires via pronote ou en classe virtuelle. Il y a aussi ces propositions qui parlent de temps pour soi, pour la détente, pour la créativité, pour rompre avec un certain ennui dû à la situation. Et peut être pour changer un peu nos habitudes pas mal bousculées pendant ce temps imposé du « Restez chez vous », pour s’en créer de nouvelles…
Ainsi, j’alimente sur le site internet de l’établissement cette rubrique « bien-être », à destination des familles, que nous avons choisie d’intituler : « Gardons le moral et le sourire ».
Votre action invite les élèves à se relaxer ?
Comme le rappelle Mme Amétépé, principale du collège, « Rester confiné, ce n’est pas dans nos habitudes. On peut également profiter de cette mise « en pause » pour se poser, se reposer, rêver, lire, dessiner, bricoler, chanter, danser…. pour alterner avec les périodes de travail. » Mme Calcagni, infirmière du collège, rappelle aux familles les gestes barrières, conseille les parents sur la limitation de l’usage des écrans et conseille aussi les activités relaxantes et amusantes pour s’aider à faire face à cette situation inédite. Aussi, nous avons choisi de commencer à alimenter la rubrique d’activités relaxantes que, Mme Amétépé ou moi-même, avons déjà proposées au collège. « Nous verrons par la suite comment l’ouvrir aux idées des élèves, à leurs créations, à leurs talents… pour nourrir ces partages de temps de pause, de sourire, de rire, et de bonne humeur… ce qui nous aidera à garder le moral, si besoin était, et aussi à booster nos défenses immunitaires si précieuses en ce moment », dit Mme Amétépé. Depuis sa création, les professeurs d’EPS ont également choisi d’apporter des conseils pour garder la forme pendant cette période de confinement en créant une rubrique intitulée : Bougeons-nous !
Comment cet objectif se concrétise-t-il ?
Avant d’être un objectif c’est une façon de vivre. J’ai à cœur de faire découvrir des pratiques, rencontrées tout au long de mon parcours professionnel mais également de mon parcours personnel, qui m’ont appris à mobiliser toutes mes ressources pour faire face aux difficultés de la vie, pour mieux la traverser, en gardant un certain équilibre. Qu’il s’agisse de périodes d’examens, de concours, d’épreuves familiales ou de santé ou plus simplement de gestion d’un quotidien qui peut se montrer stressant, la solution bien être est toujours en nous ! Sans cette hygiène de vie qui consiste chaque jour :
1 : à repérer notre état émotionnel,
2 : à « vider nos poubelles mentales » comme l’explique Jonathan Lehmann dans son livre Les antisèches du bonheur sorti en mars 2020,
3 : se préparer à passer à l’action juste,
Le bien être peut facilement laisser la place au mal être sans que l’on ne sache trop bien expliquer pourquoi… D’où l’intérêt d’adopter le plus possible une posture calme, sereine, confiante et ouverte. Le maitre zen Thich Nhat Hanh a inventé une pratique que j’aime beaucoup la « méditation des cailloux ». Je la fais découvrir aux enfants en classe de sixième afin qu’ils puissent apprendre les quatre qualités dont nous avons tous besoin pour être heureux. Ces qualités sont la fraîcheur, la solidité, le calme et la liberté. Comme on cultive son jardin, on peut cultiver ces qualités qui sont disponibles en nous. C’est ce message fort que je veux faire passer aux jeunes : entrainez-vous à être bien avec vous pour être bien avec les autres.
Comment vous-êtes vous formée à ces techniques, à cette culture de l’attention, de la concentration, de la gestion des émotions ?
Il y a quatre ans, je me suis formée auprès d’une association, l’A.M.E Association de Méditation dans l’Enseignement, à un programme de pleine conscience appelé programme P.E.A.C.E. (Présence, Ecoute, Attention et Concentration dans l’Enseignement). Un programme similaire pour les adultes appelé MBSR et reconnu par la communauté médicale internationale comme soutien à la gestion du stress est développé depuis les années 1980 par le docteur Jon Kabat-Zinn.
Ce qui m’a plu dans le programme PEACE c’est qu’il réunit tout un panel de pratiques que j’ai déjà expérimenté depuis de nombreuses années. Les approches pratiquées sont essentiellement la pratique de la pleine conscience, résolument laïque, enrichie de pratiques corporelles inspirées du yoga et du qi gong, d’un exercice issu du Brain Gym® ainsi que d’apports incluant psychologie, intelligence émotionnelle et liens corps-mental.
« Par ce programme, l’association aspire à développer l’attention, la bienveillance, le bien-être, l’apprentissage et la citoyenneté, dès le plus jeune âge. Ce programme favorise, entre autres, le développement des capacités attentionnelles, de régulation du stress et des émotions, ainsi qu’une plus grande confiance en soi. Il permet également le développement des compétences psychosociales qui favorisent le bien-être des élèves et un climat de classe serein. » Candice Marro est la présidente et la fondatrice de l’association A.M.E. qu’elle a créé en 2014. A l’heure actuelle plus de 10 000 enfants ont pu bénéficier de ce programme en France mais aussi en Belgique, en Suisse, au Québec et au Maroc.
Le programme proposé durant le temps scolaire s’expérimente sur dix semaines à raison de 2 pratiques de 15 à 20 minutes dans la classe. Dans mon établissement, toutes les classes de 5ème bénéficient de ce programme que je dispense au collège depuis la troisième année. Nous l’avons inscrit dans le parcours citoyen de l’élève et nous l’avons fait voter au Conseil d’administration.
J’interviens donc dans les classes aux côtés du ou des professeurs disciplinaires volontaires qui m’accueillent au début de leur heure de cours. Et lorsque j’ai terminé mon intervention, le cours peut commencer et je peux de mon côté poursuivre mes activités. Ce programme offre un vrai espace de respiration, de « pause » et permet aux enfants comme aux adultes de se recentrer avant le début d’un cours. Il ouvre des espaces en soi et autour de soi, dans le lien aux autres. Il apporte beaucoup de sérénité.
La recherche du bien-être est désormais au coeur de votre action pédagogique ?
Je place effectivement le bien-être au cœur de mon action pédagogique et éducative afin d’aider les jeunes à laisser leurs inquiétudes de côté, à moins souffrir et à bien faire leur travail, du mieux possible en acceptant que ce mieux change chaque instant, avec toute l’attention et la concentration qui sont nécessaires à la réussite de la tâche. Pratiquer la joie et la vision profonde est un art de vivre qui consiste à reconnaitre que les conditions du bonheur sont dans la satisfaction de l’ici et maintenant. Même, et j’ai envie de dire surtout dans cette période difficile du confinement, où l’on peut se sentir empêcher, priver de certaines satisfactions et de certains plaisirs. Ces messages s’adressent également à nous les enseignants, les éducateurs, les parents que nous sommes. Pour ne pas être dans la souffrance soit même, il nous faut s’exercer, il faut pratiquer et donc apprendre quelques techniques qui ont fait leurs preuves, qui sont aujourd’hui validées scientifiquement. La méditation et la gratitude en sont deux exemples parmi d’autres.
Nous avons des retours très positifs des élèves et des familles sur ce dispositif présenté aux parents lors de la journée d’intégration en classe de 6ème où les élèves découvrent les 7 attitudes de la pleine conscience: garder la curiosité du débutant, pratiquer le non jugement, le non effort, accepter ce qui est, trouver la confiance en soi, faire preuve de patience et encourager le lâcher prise.
Pour ceux qui le souhaitent, je propose en plus au CDI chaque vendredi un atelier « relax » d’une heure pour des pratiques guidées (sur la base du volontariat et sur inscription limitée à 12 élèves puisque je ne dispose que de 12 tapis de yoga, de zafus et de couvertures). J’y inclus des courtes méditations, des étirements du corps, des relaxations mais aussi des temps de partages. C’est un moment qui est très apprécié des élèves qui y participent en fin de semaine, ce qui nous permet de nous quitter détendus et avec le sourire.
Pour en terminer sur ma petite contribution au bien-être je reprendrais ces mots du médecin psychiatre Christophe André: « Nous transmettons ce que nous savons, mais surtout, nous transmettons ce que nous sommes ».
Et percevez-vous des changements dans les relations avec les élèves ? Entre les élèves ? Dans toute la communauté éducative ?
Les élèves sont sensibles au fait qu’on adopte d’autres postures que les réprimandes et les félicitations pour les rendre plus acteurs de leur réussite et de leur bien être. Selon les premiers résultats de l’A.M.E, à la fin du programme PEACE, 69% des enfants reconnaissent être davantage bienveillants envers eux-mêmes et 73% des enfants reconnaissent être davantage bienveillants envers les autres. La pratique de la méditation et de la gratitude renforcent notre aptitude au bien vivre ensemble. L’enfant quand il ne se sent pas jugé, qu’il n’est pas évalué, a la possibilité d’aller développer cette confiance en lui et cette estime de lui pour mieux se rencontrer et rencontrer l’autre en dehors d’un esprit de compétition. C’est important que les enfants apprennent à ouvrir leur cœur y compris au sein des établissements scolaires où ils passent la majeure partie de leur temps.
Dans une recherche récente menée par l’Association de Méditation dans l’Enseignement en collaboration avec Charles Martin-Krumm, Rebecca Shankland et Ilios Kotsou, sur un panel de 6 établissements scolaires publics ( à Paris et Toulouse) en REP soit 14 classes et 20 enseignants qui ont suivi le programme PEACE, on note des effets significatifs du programme au niveau des besoins psychologiques fondamentaux des enfants (besoin d’autonomie, de compétence et d’appartenance sociale) avec augmentation du sentiment de proximité sociale. Pour cette recherche suivie par Clémence Gayet, l’association a reçu le 3ème prix de recherche en psychologie positive.
Quels retours avez-vous de ces expériences ?
Chaque année les enseignants de mon collège qui ont pu évaluer le programme ont noté des effets positifs sur le climat de la classe, une meilleure entente des élèves entre eux, même si parfois les mauvaises habitudes reviennent à l’arrêt du programme.
Sur le plan collectif, au collège Nelson Mandela, nous avons adopté des rituels communs en début de cours qui consistent à prendre une pause, une respiration avant de commencer une activité et chaque fois que le besoin se fait sentir. Quelques professeurs se sont également formés à la Communication Non Violente dans une Formation d’Initiative Locale ou encore au programme PAUSE que j’ai proposé cette année. Ce programme, également dispensé par l’A.M.E. est un programme d’initiation à la méditation de pleine présence pour ceux qui n’ont pas de pratique et qui souhaiteraient découvrir comment cultiver une attitude de pleine présence en classe, comment intégrer les pratiques avant, pendant, et après les cours, en s’entrainant pour soi en dehors de l’école.
Dès la prochaine rentrée je compte bien proposer de nouveaux cycles de formation aux enseignants et personnels de l’éducation qui se sont montrés particulièrement intéressés par ces pratiques et programmes cités plus haut lors des journées de formation académique « Bien-être et réussite scolaire » auxquelles Mme Mazeron, professeur de SVT nous a fait le plaisir de nous convier Mme Amétépé et moi-même deux années de suite pour un partage d’expériences.
Pourquoi, selon vous, les professeurs documentalistes sont-ils bien placés pour agir sur cette dimension » bonheur » ?
Je ne sais pas s’ils sont mieux placés que les autres enseignants, je sais seulement qu’ils peuvent impulser des actions sur des temps forts comme la journée du bonheur célébrée à la date du 20 mars. Mon ami Julien Peron a sorti un très beau film documentaire sur le sujet en réalisant 1500 interviews dans le monde sur la définition du bonheur pour chacun. D’où le titre du film : « C’est quoi le bonheur pour vous ? 7 milliards d’individus, 7 milliards de définitions ». Lors de sa sortie il y a deux ans, nous avions projeté le DVD dans le CDI de mon collège et avec les élèves du club journal nous avions recueilli les paroles d’élèves et de membres de la communauté volontaires sur leur définition du bonheur pour un petit reportage en interne. Nous avions également proposé une activité « mur de post-it notes » au CDI. Présentée aux parents lors de notre « Soirée Des Talents », je reviendrai plus tard sur cette soirée, quelques uns avaient également donné leur propre définition du bonheur.
Comme l’a écrit une élève de 5ème « Le bonheur c’est d’avoir confiance en soi, d’être bienveillant et de prendre soin de soi et de sa famille. » Il s’agit d’un message plus que d’actualité en ces temps de crise sanitaire. Sachez d’ailleurs que par élan de solidarité suite aux évènements actuels, le film « C’est quoi le bonheur pour vous? » est en accès gratuit pendant toute la durée du confinement, raison pour laquelle, coïncidence de calendrier, nous l’avons choisi comme première publication de notre rubrique « Gardons le moral et le sourire ».
Les professeurs documentalistes savent valoriser par des expositions les productions des élèves, qu’elles soient réalisées au CDI, en étude, au Conseil de la Vie Collégienne ou dans les cours à l’initiative des enseignants disciplinaires sur des thématiques diverses ou des projets d’éducation aux médias et à l’information. Il est important de continuer à rendre visible les productions des élèves au sein de l’établissement scolaire et lorsque c’est possible à l’extérieur de l’établissement comme par exemple dans un journal scolaire. Quand on réalise un panneau d’informations sur quel que sujet que ce soit on peut être fier d’une production individuelle ou collective et cela renforce le sentiment d’appartenance à un groupe. C’est valable pour les élèves comme pour nous les adultes issus d’une même communauté pédagogique.
Parce qu’ils sont parfois référents aux usages pédagogiques du numérique en tout cas experts dans leurs usages pour la diffusion des productions, la veille informative et l’élaboration ainsi que la diffusion de tutoriels sur des thématiques variées, le bien-être peut être une des thématiques à mettre en avant par les professeurs documentalistes. Plusieurs de mes collègues référentes de la ZAP de Gironde ont organisé dans leurs établissements des journées de rencontres et de mutualisation des pratiques sur les thèmes « Zen au CDI » ou encore « Lycée Zen », cela pour dire que le sujet questionne et intéresse, comme on nous appelle, les docs!
Quand ils sont référents culturels comme c’est mon cas, le professeur documentaliste assure la coordination des clubs, des ateliers et des projets culturels qui se déroulent en partenariat avec les associations et les structures culturelles de proximité. Au collège Nelson Mandela nous organisons depuis cinq ans sur la scène de la Maison des Savoirs Partagés, la M270, de la ville de Floirac, une « Soirée des Talents ». C’est un moment fort pour la restitution de tous les projets artistiques de l’année qui se déroule fin mai/ début juin et qui est très attendu parce qu’il participe du lien avec les familles, une soirée de Bonheur. Là encore le bonheur n’est pas quelque chose d’individuel, il se partage.
Dans nos centres de documentation et d’information avec nos aides documentalistes, les occasions sont multiples pour développer l’entraide, la coopération, le « on apprend ensemble » dans la bonne humeur et dans un climat de confiance qui certes prend du temps à installer dans un établissement (je dirais au minimum 3 ans) mais qui permet de réaliser de belles choses. Par exemple, aujourd’hui dans mon CDI les élèves participent activement aux acquisitions de livres, à l’équipement et à la signalétique, aux prêts et aux retours de livres. Ils sont forces de propositions pour des animations, des jeux concours etc.
Bien vivre en cette période inédite où chacun reste chez soin avec peut être des angoisses, de la lassitude, de la colère ou autre chose, c’est apprendre à sortir du biais de la négativité, de cet esprit qui retient d’abord ce qui va mal pour se rappeler en priorité ce qui va bien. Il y aura l’après confinement donc il nous faut préparer le monde de demain, pour une éducation bienveillante et heureuse vers un monde meilleur. Puisque ce virus nous offre le temps de faire une pause, de ralentir, de simplifier nos vies et de prendre soin de nous-mêmes et de nos proches, c’est peut être l’occasion ou jamais de bâtir une vraie communauté de pratiques, une communauté inter-êtres pour s’entrainer et s’entraider. Une seule consonne distingue ces 2 verbes. Inter-êtres signifie que nous ne sommes pas séparés. Si l’on désire une société plus fraternelle, il en est de notre responsabilité de montrer l’exemple aux plus jeunes, plus que jamais. Comme le dit le philosophe Fabrice Midal la méditation est l’art de se foutre la paix. C’est donc à la portée de tous ! Exerçons nous à l’écoute profonde et à la parole aimante pour mieux comprendre nos souffrances, mieux les accueillir, mieux en prendre soin et mieux prendre soin celles des autres. Et ensemble, dans l’impermanence de la situation, plus que tout « Gardons le moral et le sourire ! »
Propos recueillis par Jean-Louis Durpaire
Membre du laboratoire BONHEURS (Bien-être, Organisations, Numérique, Habitabilité, Education, Universalité, Relation, Savoirs)
Université de Cergy-Pontoise