« On ne pourra pas reprendre normalement ». Pour Benoit Teste, secrétaire général de la FSU, interrogé avant le discours d’E. Macron, il va falloir penser les conditions de la reprise. Pas question de reprendre sans garantir la sécurité sanitaire des enseignants et des élèves. Il invite aussi à se préparer à faire face à des mesures d’austérité et à la remise en question de la revalorisation.
Quelle que soit sa date , comment voyez-vous la reprise des cours ?
On ne pourra pas reprendre normalement. Il faudra se plier aux conditions sanitaires. En priorité il faudra tester tous les élèves et tous les personnels et aménager les salles de classe pour respecter les gestes barrière. On voit mal comment on pourra à nouveau avoir des classes de 35 élèves par exemple. Il faudra sans doute faire des demi-groupes et imaginer ce que font les élèves qui ne sont pas en cours. Il faudra aussi remplacer les personnels malades et accompagner psychologiquement les élèves. Autrement dit, la reprise ne sera pas une période normale. Il faut dès maintenant y réfléchir. Par exemple, les élèves n’auront pas eu de 3ème trimestre. Ils vont revenir avec des niveaux très divers. Il va falloir envisager un allègement des programmes pour 2020-2021. Au lycée, il ne sera donc pas possible d’avoir des E3C en début d’année car il y aura une période de rattrapage.
Si la reprise n’a lieu qu’en septembre il va falloir réfléchir à ce qu’on fait à distance jusqu’à fin juillet. On voit bien que les enseignants ont du mal actuellement. Faut –il avancer dans le programme ? Tourner en rond et si oui comment ? Comment faire face au décrochage des élèves qui va aller croissant ? Le ministère devra donner aux enseignants des objectifs plus clairs et moins ambitieux et des ressources pédagogiques plus adaptées pour ne pas faire reposer le suivi pédagogique sur les parents.
Vous vous opposerez à une rentrée s’il n’y a pas les tests que vous évoquez ?
La priorité c’est la santé. Si les conditions sanitaires de la reprise ne sont pas réunies, on appellera les collègues à exercer leur droit de retrait. S’il n’y a pas de politique sanitaire stricte et efficace on s’opposera à une reprise qui mettrait en danger la santé des élèves et finalement de toute la population. Si les écoles ont été fermées c’est bien parce qu’elles sont un lieu de circulation du virus. Si on rouvre sans mesures drastiques on va favoriser de nouveaux rebonds épidémiques.
La crise sanitaire a-t-elle été bien gérée par le ministère ?
Globalement le ministère a voulu avoir un affichage très fort en terme de continuité pédagogique. J’en comprends l’objectif : ne pas démobiliser les élèves, par exemple en parlant de l’assiduité dans l’évaluation du bac. Mais je vois aussi le côté négatif : on a affirmé que la continuité pédagogique était totale et on est allé jusqu’au déni de réalité. Ce déni n’aide pas les élèves. On le voit à propos des décrocheurs. Les chiffres donnés par le ministère semblent sortis d’un chapeau. A mon avis ils sont minorés. La réponse par des stages de vacances à distance ne va évidemment pas fonctionner avec des élèves qui ont décroché devant l’enseignement à distance. Il y a aussi une négation du côté inégalitaire de l’enseignement à distance. Quant aux stages de remédiation cet été, on tombe dans la communication. En fait la crise n’est pas bien gérée. On a vécu les discours contradictoires du ministre sur l’école qui ferme ou ne ferme pas, sur la date de la reprise le 4 mai. Il y a une volonté d’être présent médiatiquement mais sur le terrain il n’y a pas l’aide attendue.
Le coût économique de la crise sanitaire est très lourd. Craignez-vous des effets sur les personnels ?
Inévitablement. On craint que passée la sidération liée à la crise, on justifie par l’austérité budgétaire des coupes dans les services publics. On l’a déjà vu en 2008 après une crise bien moins grave. C’est de cette année-là que part le gel du point d’indice fonction publique. Le rapport de force va continuer. A nous de nous battre pour démontrer qu’on a besoin des services publics pour reconstruire. Avec une politique fiscale efficace on peut trouver les moyens de financer la reprise.
Vous croyez au maintien de la réforme des retraites et à la revalorisation promise ?
On a beaucoup de déclarations sur une éventuelle suspension de la réforme des retraites. On pense qu’il faut être prudent. Il y a un risque sérieux d’allongement de l’âge de départ à la retraite qui pourrait revenir d’une façon ou d’une autre. Pour le moment la revalorisation des enseignants est en « stand by ». Les concertations sont suspendues. Le ministère dit qu’il garde l’objectif et la méthodologie : c’est-à-dire des primes. On risque d’avoir seulement le pire de la revalorisation c’est-à-dire des primes pour des formations imposées durant les vacances ou pou faire des remplacements en interne. Le calendrier initial ne sera de toutes façons probablement pas tenu. Mais on ne va pas lâcher la question.
Propos recueillis par François Jarraud