» Mais qu’arrive-t-il à notre ministre avec le français ? « , demande le collectif Lettres vives, qui regroupe des professeurs de français. Des professeurs de lettres se demandent pourquoi ils sont les seuls à devoir participer à une épreuve en présentiel. Ils jugent aussi l’épreuve inégalitaire et s’interrogent sur leur sécurité sanitaire.
Une méconnaissance de l’épreuve pour l’Afef
« Les élèves n’ont fait que deux trimestres avec des textes difficiles », rappelle Viviane Youx, présidente de l’Afef, une association de professeurs de français. Contactée par le Café pédagogique, elle s’interroge sur la réponse ministérielle qui consiste uniquement à alléger un peu le nombre de textes présentés, 15 en série générale et 12 en technologique. « La plupart des élèves de série générale n’ont vu en classe que 7 à 10 textes avant la fermeture », estime t-elle. « Parler de l’oral en ne mentionnant que le nombre de textes c’est exclure la seconde partie de l’oral où l’élève parle de ses lectures alors que c’est ça qui devrait être au cœur de l’épreuve ». Pour elle pas question de prendre en compte ce qui a été fait durant le confinement tellement les conditions de travail des élèves sont inégalitaires. « A priori si on doit faire un oral on supprime les textes et on le fait sur une lecture des élèves ».
Réduire l’épreuve à une seule partie pour Lettres Vives
Même approche de la question pour le collectif Lettres vives, qui regroupe des professeurs de français hostiles à la réforme du bac. » Certain·es élèves, nous le savons, se retrouvent maintenant avec des descriptifs à six ou sept textes, parce que leurs enseignant·es ont choisi de donner du sens (à leur enseignement) avant de réserver la fin de l’année au bachotage », écrit le collectif. « D’autres n’ont toujours pas bien compris en quoi consistait cette explication, ou la question de grammaire. Que feront-ils/elles s’il n’y a pas de reprise des cours en présentiel avant les épreuves ? » Pour Lettres vives, » si l’oral devait être maintenu, il nous paraît indispensable de le réduire à la deuxième partie de l’épreuve : un échange avec le jury sur un livre choisi par l’élève parmi ceux qui ont été lus dans l’année ». Enfin il y a la question de la sécurité sanitaire des enseignants. »
« Tout n’est pas affaire que de nombre de textes »
« Le contrôle continu à la place des épreuves écrites en ne prenant pas en compte les notes données durant le confinement, voilà de bonnes décisions », estime Claire Tastet, professeure de lettres dans un lycée de Tours. « On peut comprendre que le ministre veuille garantir le meilleur niveau pour le bac 2020. L’intention est louable. Mais maintenir un oral de français est problématique. Tout n’est pas affaire que de nombre de textes. Préparer un oral c’est pas uniquement recracher une analyse apprise en cours. C’est s’entraîner à réfléchir, à structurer, à travailler sa prise de parole. Sur ces points les semaines de travail manquent ». Elle s’interroge aussi sur la posture du ministre qui veut maintenir une épreuve alors que le Premier ministre penche pour un contrôle continu le plus intégral possible.
« Aggraver les inégalités »
Hélène Paumier, professeure dans un lycée de Poitiers, a changé d’avis sur l’oral. « Dans un premier temps j’ai été heureuse de savoir qu’il y aurait un oral. Je suis en avance dans mes lectures linéaires et je suis dans une bonne dynamique de travail à distance avec mes élèves. Mais dans un second temps j’ai été convaincue par les arguments de Lettres vives », nous a-t-elle dit. « Le choix de maintenir l’oral va aggraver les inégalités entre les élèves. On maintient une seule épreuve, celle de français, alors qu’elle est totalement nouvelle et que les élèves n’y ont pas été préparés en seconde. C’est absurde ».
Des conditions sanitaires dangereuses
Evidemment, tous nos interlocuteurs s’inquiètent des conditions sanitaires de l’oral. Il dure plusieurs jours et impose un contact rapproché avec les élèves et la transmission de la main à la main de documents. « Les élèves ne seront pas nombreux dans la salle d’examen. Mais le professeur, lui, va voir défiler une dizaine de candidats tous les jours. C’est inquiétant pour lui et les candidats », nous a dit C. Tastet.
Une pétition contre l’épreuve
Les syndicats remettent aussi en question le choix du ministre. « On pense qu’on peut s’abstenir de cette épreuve », nous a dit Stéphane Crochet, secrétaire général du Se-Unsa. « Rien ne permet de dire qu’on pourra l’organiser dans de bonnes conditions ». « Les collègues ne comprennent pas pourquoi il y a deux poids deux mesures », nous a dit Frédérique Rolet, secrétaire générale du Snes Fsu. « Il y a 540 000 candidats et de nombreux examinateurs sont malades. On prend de gros risques sanitaires avec cette épreuve ».
Une pétition circule parmi les professeurs de français pour demander l’annulation de cette épreuve. « En maintenant une épreuve orale au programme très lourd, cela ne revient-il pas à évaluer un travail pour partie effectué à distance, pendant le confinement ? L’allégement de quelques textes (douze pour les voies technologiques, quinze pour les générales) ne saurait résoudre le problème, puisque le bac de français 2020 comporte également une épreuve de grammaire conséquente, et un entretien oral portant sur une œuvre intégrale dont la démarche ne saurait s’improviser… Nous ne pouvons que redouter les conséquences sanitaires de ces épreuves orales, pour les milliers de professeurs de Lettres concernés, comme pour les 500 000 élèves de première », relève t-elle.
François Jarraud