Comment montrer concrètement aux élèves les effets du confinement sur un pic épidémique ? Marine Paulhiac-Pison, enseignante de SVT au lycée Marie Curie de Versailles (78) a conçu un modèle qui fait écho à l’actualité et qui permet de montrer « l’importance du collectif » en cas d’épidémie. A l’aide du logiciel Edu’Modèle crée par Philippe Cosentino, l’enseignante a réalisé un modèle où l’on peut modifier le taux de confinement d’une population et ainsi observer les conséquences sur la propagation de la maladie. Les données obtenues peuvent être exportées pour une analyse avec les élèves. L’enseignante n’oublie pas de rappeler les limites de la modélisation qui ne permet pas de « prédire la durée de l’épidémie ».
Que présente le modèle que vous avez réalisé ?
J’ai réalisé à l’aide du logiciel Edu’modèles un modèle permettant de montrer très concrètement l’effet recherché par le confinement qui est le lissage du pic épidémique pour limiter la saturation des hôpitaux. En parlant du coronavirus avec les élèves avant la fermeture des établissements, je me suis aperçue que ce n’est pas un concept très intuitif à comprendre : les élèves ont tendance à penser que l’étalement de la courbe allonge le temps de l’épidémie et n’est donc pas souhaitable.
Ce modèle permet également de montrer l’importance du collectif : le confinement ne protège pas forcément individuellement mais en permettant de ralentir la progression de la maladie, l’ensemble de la population, y compris les salariés non confinés obligés de travailler (caissières, éboueurs, livreurs…), sont moins rapidement malades. Là encore ce n’est pas intuitif. Les gens pensent que le confinement leur permet d’être protégés individuellement de la contamination et les adolescents, ne comprennent pas forcément pourquoi eux qui dans l’extrême majorité des cas présenteront pu voire pas du tout de symptômes, doivent rester chez eux comme des personnes à risques.
En réalité, l’idée part d’un article du Washington Post qui a été pour moi un déclic dans ma compréhension de l’importance du confinement alors que je n’en voyais pas l’intérêt. Cet article propose des animations avec des points qui se contaminent et différents taux de confinement. En voyant cela, j’ai tout de suite pensé qu’il était possible de refaire cette simulation avec Edu’modèles et de la rendre interactive. J’ai fait rapidement le modèle que j’ai présenté à Philippe Cosentino, le concepteur du logiciel, qui, enthousiaste, l’a rapidement publié après quelques retouches sur la présentation.
Quels sont les agents présentés dans le modèle ? Pour « quelles règles » imposées ?
Il y a six types d’agents dans le modèle : des agents sains, des agents malades et des agents guéris qui sont confinés ou non confinés. Au départ, le modèle commence avec 200 agents sains et un agent malade. La proportion entre agents confinés et non confinés est décidée au départ par l’expérimentateur qui définit un nombre d’agents de chaque type.
Les règles sont simples. Quand un agent malade (confiné ou non) rencontre un agent simple (confiné ou non), on obtient alors avec une probabilité définie au départ (25% par défaut) deux agents malades qui gardent le même statut confiné ou non. Les agents guéris apparaissent spontanément à partir d’agents malades après un temps de latence.
Pour ajuster les valeurs, il faut faire des essais jusqu’à obtenir une modélisation satisfaisante ce qui se fait assez facilement.
Comment vos élèves utilisent-ils ce modèle ? Avez-vous des retours ?
Vue la situation actuelle en pédagogie à distance, je me suis contentée d’envoyer la modélisation toute prête à mes élèves avec un tutoriel vidéo leur présentant le modèle et la marche à suivre pour modifier la proportion d’agents confinés au départ de manière très guidée. Dans une situation de classe, je ferais construire le modèle par les élèves en les faisant réfléchir sur les différents types d’agents et les guidant un peu sur les règles. Le programme de seconde est celui qui s’y prête le mieux mais il peut également être utilisé en première. Il est également possible de proposer un modèle partiel avec quelques agents au départ et de demander aux élèves de le compléter.
J’ai eu quelques retours enthousiastes de mes élèves. J’ai également transféré l’animation à quelques professionnels de santé et adultes de mon entourage qui ont apprécié la modélisation.
Quelles sont les possibilités du logiciel utilisé ?
A la différence de l’article du Washington post, il est possible là de vraiment modifier le taux de confinement et de ne pas voir passivement les animations. D’ailleurs, on réalise assez vite qu’un confinement lâche (sous 70%) a peu d’intérêt sur la courbe épidémique (tout en ayant de nombreux inconvénients sociaux et économiques).
Il est également possible de complexifier le modèle. Je n’ai pas voulu pour des raisons de simplicité simuler les décès ou les hospitalisations mais ce n’est pas très compliqué à faire. Pour les décès, il faut ajouter un agent décès et créer une nouvelle règle sur le modèle de la guérison pour les décès avec une probabilité beaucoup plus faible (n’oublions quand même pas que dans la grande majorité des cas, les gens guérissent). Il faut procéder de la même façon pour les hospitalisations.
Une autre possibilité peut être de modifier les probabilités de réaction quand un agent malade rencontre un agent sain. On peut envisager ainsi de modéliser l’intérêt des mesures barrières (par ex en cas de respect des mesures barrières comme le lavage de mains, la probabilité de réaction diminue). Il est également possible de diminuer la probabilité de réaction pour les gens confinés par rapport aux agents non confinés.
Bref, le modèle offre de nombreuses possibilités dont il ne faut pas hésiter à s’emparer. Grâce à Philippe Cosentino, l’utilisation est assez intuitive pour les élèves et les professeurs ce qui permet donc du « bidouillage » facilement. On peut ensuite également améliorer la présentation en utilisant des images ce que les élèves aiment bien faire.
Des limites au modèle ?
La principale limite est le fait que les courbes sont tracées indépendamment pour chaque agent. Du coup, on ne voit pas forcément bien la différence pour les taux de confinement faible. Ceci peut être résolu en exportant les données sur excel puis en additionnant les différentes valeurs. En répétant pour différents taux de confinement, on obtient des courbes particulièrement intéressantes comme celle présentée dessous. Ce n’est pas impossible à faire pour les élèves mais cela demande quelques manipulations en plus.
Ensuite, ce modèle permet d’avoir une modélisation réaliste « qualitative » des mécanismes mais il ne faut pas essayer d’en tirer des valeurs réelles comme par exemple prédire la durée de l’épidémie. Les probabilités de réaction associées à chaque règle ont été attribuées de façon à obtenir une modélisation réaliste (guérison pas trop rapide, augmentation du nombre de malade) mais sans chercher à donner des valeurs réelles ce qui est quasiment impossible et n’a pas vraiment de sens. La notion du temps avec le nombre de tours n’est pas très claire, il ne faut pas chercher à faire une correspondance nombre de tours/jours. D’autres modèles scientifiques beaucoup plus complexes permettent de faire cela.
Entretien par Julien Cabioch
Dans le Café
Philippe Cosentino : De l’intérêt pédagogique de la modélisation