Une application mobile serait-elle l’outil idéal pour consolider, à distance, le lien pédagogique avec les élèves de la génération smartphone ? Blandine Bihorel, au collège Eugène Noël à Montville, et Ophélie Jomat, au collège Les Acacias au Havre, en ont lancé l’expérience. Grâce à l’outil GlideApps, chacune a créé une application « français » à destination de ses classes. Les contenus sont variés : rubriques par niveaux avec liens vers les séquences de l’année, rubriques thématiques (lire / dire / écrire / langue / réviser / livres audio et dyslexie …), liens vers une chaine vidéo ou l’ENT, ressources pour un voyage scolaire … Les retours d’expérience mettent en avant la rapidité d’accès, la simplicité d’utilisation, la clarté d’organisation, les possibilités d’échanges … Une piste possible pour un enseignement ubiquitaire ?
Comment est né ce projet d’application pédagogique ?
Blandine Bihorel – Tout est né de la lecture d’un tweet ! Quand j’ai vu des collègues y présenter leur application créée avec GlideApps, cela m’a donné envie. Encore plus quand le « Réseau des Lettres » s’y mettait aussi ! J’ai tout de suite pensé à l’utilisation que je pourrais en faire dans le cadre de l’échange que j’organise depuis presque 15 ans avec le collège grec de Thessalonique. En effet, avec mes collègues, nous cherchons toujours le moyen le plus efficace pour transmettre les informations aux élèves (programme, documents à consulter, numéros de téléphone…) et aussi aux parents.
Ophélie Jomat – Force est de constater que les élèves ne consultent pas régulièrement la rubrique « Français » de l’ENT de leur collège, soit par manque d’appétence, soit parce qu’il est malaisé de la trouver étant donnée qu’elle est bien cachée (dans « Menu », puis « Matières enseignées », « Français ») et qu’elle n’apparaît pas en haut de la page d’accueil. Or, dès la 6e, la majorité des élèves ont en leur possession un téléphone portable et une connexion Wifi à la maison. La création d’une application, directement consultable sur leur smartphone ou tablette, est par conséquent un atout certain. C’est à ce stade de ma réflexion que j’ai découvert deux applications de français, créées par des collègues de Lettres, qui m’ont mis l’eau à la bouche, et par leur richesse et par leur attrait graphique immédiat : l’application de Blandine Bihorel et l’application des membres du Réseau des Lettres (Grégory Devin, Cyril Mistrorigo, Lionel Vighier). Motivée par ces exemples qui ne nécessitaient aucune maîtrise du codage informatique (uniquement celle de feuilles de calcul), il ne me restait plus qu’à créer ma propre application. Et l’idée de valoriser le contenu de l’ENT de mon collège dans ma matière s’est alors imposée.
Une professeure de français qui crée une appli, voilà qui peut paraitre un peu fou : techniquement, comment avez-vous relevé le défi ?
B.B. – Oui, cela peut étonner, mais en fait, le premier défi a été de visionner les tutoriels en anglais préparés par le créateur de l’application, puis de comprendre comment elle fonctionne avec Google sheets. Le grand avantage, c’est que l’on n’a besoin d’aucune programmation ! Et heureusement ! J’ai donc pu me focaliser sur l’organisation du contenu.
O.J. – Premier problème de taille : la plupart des tutoriels sur Glideapps sont en anglais, et lorsque l’on ne maîtrise pas Excel comme moi, mieux vaut commencer par étudier des tutoriels en langue française, réalisés par des collègues : celui de La Classe de M@llory (pratique car la collègue offre un exemple de modèle de feuille de calcul), celui d’une professeure de SVT, Mel Fenaert, ou celui de Nadine G et Flavie N. Il m’a fallu ensuite expérimenter pendant trois jours, seule face aux « Google Sheets », une grammaire qui m’était inconnue, mais que l’on réussit à maîtriser, par tâtonnements et, comme le rendu est immédiat, il est aisé de corriger ses erreurs. Il ne reste plus qu’à envoyer un message via l’ENT du collège aux parents et aux élèves pour qu’ils découvrent et installent l’application sur leurs tablettes et smartphones en suivant l’adresse en ligne.
Blandine, vous avez créé l’application pour un voyage en Grèce : qu’avez-vous mis sur l’appli ? comment les élèves l’ont-ils utilisée ?
B.B. – Je voulais que les élèves aient toujours sur eux les informations importantes liées à nos visites et au programme de la semaine. Je souhaitais également que les parents puissent suivre notre programme. Et enfin, pour nous, professeurs accompagnateurs, nous avions besoin d‘avoir accès à la liste des élèves, avec le nom de leur correspondant et leur numéro de téléphone. L’évidence de l’application m’est alors apparue ! J’ai alors mis le programme complet, les horaires, des liens vers les monuments visités mais aussi un lien vers des mots de vocabulaire en grec. Les élèves l’ont utilisée avant le départ pour consulter les vidéos sur l’Acropole, sur le stade olympique et sur la ville de Thessalonique, et ainsi préparer au mieux les visites. Ils ont ensuite consulté les photos et vidéos que nous ajoutions chaque soir, à l’issue de nos journées. Les parents l’ont également beaucoup consultée, et ont ainsi pu suivre à distance les découvertes de leur enfant et nous accompagner un peu dans notre périple.
Ophélie, que trouve-t-on exactement sur votre application ?
O.J. – J’ai essayé de mettre sur cette application tout ce qui a trait au français et qui peut intéresser mes élèves de collège, à savoir sur la page d’accueil une rubrique par niveau (de la 6e à la 3e) avec des liens vers les séquences de l’année, une rubrique « Nouveautés », des rubriques « Lire / Dire / Ecrire / Langue », auxquelles j’ai ajouté les rubriques « Réviser », « Livres audio et dyslexie » et un lien vers ma chaîne Youtube, nommée « Booktube Acacias ». J’ai également ajouté une page qui renvoie aux sites proprement dits du collège, l’ENT Arsène et le site Pronote, ainsi qu’une page « Contact ».
Ophélie, vous avez questionné les élèves pour sonder leur réception de l’application : qu’est-ce que cela a donné ?
O.J. – Sur 109 élèves, 50 ont répondu (38 en format papier, 12 en ligne). Tous ceux qui ont répondu trouvent l’application très utile : elle est simple d’utilisation et plus facile d’accès que l’ENT, elle offre des aides pour les élèves en difficulté ou à profil particulier (dyslexiques…), elle concerne tous les niveaux, elle comporte des rubriques nombreuses et variées, elle permet une plus grande proximité entre les élèves, les parents et la professeure, elle est utile pour réviser ses leçons, pour écouter des livres audio, elle permet aux élèves de savoir où ils en sont dans la progression annuelle. A la question « Comment pensez-vous utiliser cette application ? », ils ont donné des réponses très variées, selon le profil des élèves : sur mon téléphone, pour écouter des livres en audio ou quand j’ai un livre à lire, pour avoir accès aux nouveautés, aux dernières informations, pour écouter des récitations lues par le professeur, – selon mes besoins, en cas d’absence, pour m’occuper, pour m’aider durant mes devoirs, pour les évaluations, interrogations, dictées, exposés…, en complément de la lecture du cours, pour le plaisir de revoir les vidéos Booktube. Les rubriques les plus plébiscitées sont celles par niveau (6e, 5e, 4e, 3e), la rubrique « Réviser » (notamment pour préparer le Brevet) et les rubriques « Lire », « Livres audio » (plusieurs élèves insistent sur le fait que la lecture audio les aide à mieux comprendre l’histoire) et « Capsules vidéo ». Viennent ensuite les rubriques « Poésie » (pour écouter les élèves ou le professeur lire les poèmes, pour voir les anthologies des élèves), « Booktube », « Nouveautés » et « Dyslexie ». Beaucoup trouvent l’application déjà très complète, quelques-uns aimeraient qu’y soient ajoutées certaines rubriques : préparation aux évaluations, correction des contrôles, sorties scolaires, les autres matières, jeux de français, études de textes avec correction, conseils de lecture
Blandine, à part pour un voyage scolaire, quels usages ou développements envisagez-vous pour une telle application ?
B.B. – Je développerai cette application lorsque les correspondants grecs viendront, pour y déposer les informations importantes liées à ce séjour. J’envisage de l’utiliser comme memo pour mes classes de 3e : répertorier les notions importantes étudiées au cours de l’année pour qu’ils puissent apprendre et réviser facilement. J’ai déjà tenté le cahier memo, qui a été utilisé de façon très inégale. J’espère donc que l’existence de cette application les motivera.
Quelles perspectives pour vous, Ophélie ?
O.J. – J’aimerais que les élèves se servent de cette application comme d’une véritable aide à la maison en cas de besoin (pour réviser avant un contrôle, pour faire ses devoirs, pour apprendre ses leçons), comme complément du cours (notamment avec les capsules vidéos), comme découverte de nouveaux livres (avec les rubriques « Lire / Booktube / Livre audio »)… Après, ce sera à chaque élève de s’approprier l’outil et de l’utiliser selon ses besoins.
Quels vous semblent les intérêts d’une telle application par rapport à un ENT ou un site internet ?
B.B. – L’utilisation n’est pas la même qu’un ENT : les utilisateurs ne peuvent pas interagir (messagerie, forum ou autre). Le grand avantage est la facilité d’accès, depuis le téléphone portable. La consultation est fluide et aisée. Du côté du concepteur, il est aussi très facile de mettre à jour le document.
O.J. – Absolument tous les élèves et parents qui l’ont testée insistent sur l’aspect pratique de cette application qui leur donne un accès direct et beaucoup plus rapide à l’ENT, sans avoir besoin de s’identifier avec mot de passe. C’est pour eux un atout indéniable. Viennent ensuite d’autres intérêts annexes : un meilleur ordonnancement, une meilleure visibilité des rubriques, une application très complète pour le français, une aide immédiate, un supplément aux révisions, le fait d’avoir l’application sur son téléphone qui permet de la consulter n’importe quand et n’importe où et enfin la possibilité de communiquer avec l’enseignante. J’ai créé un onglet où j’ai mis les coordonnées de l’établissement et toutes les miennes (mail pro, compte Twitter…), et les parents trouvent ainsi facilement mes coordonnées.
Votre bilan actuel ?
O.J. – Le site Glideapps est très utile car il permet la création gratuite d’une application, sans connaissance du codage informatique. L’application de français que j’ai créée a connu un certain succès auprès des élèves et des familles du fait de sa simplicité d’utilisation. Il n’en reste pas moins que le site nécessite une expertise technique minimale qui peut rebuter les plus rétifs à l’informatique. Enfin, un point de vigilance doit être ajouté concernant Glideapps qui nécessite la création d’une base de données via Google ; il convient de conserver un principe de précaution sur les données transmises, qui concernent les élèves et d’avoir bien toutes les autorisations parentales au préalable.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
L’application de Blandine Bihorel
L’application du Réseau des lettres
Rubrique « Français » du collège d’Ophélie Jomat