Zoé Yadan, doctorante sous la direction d’Anne Barrère à l’université Paris Descartes, prépare une thèse sur le vécu de parents de milieu populaire dont l’enfant a fait l’objet d’une sanction disciplinaire au collège. Dans un article de la Revue française des affaires sociales (2019/4), elle dresse une typologie des parents face au jugement du conseil de discipline. Parce qu’au final, » les parents peuvent être bouleversés et sanctionnés au même titre que l’enfant ».
Vous abordez la place des parents dans les conseils de discipline, c’est assez nouveau. Pourquoi ?
Il me semble que cet objet donne à penser les relations école familles sous un angle intéressant. Les conseils de discipline et leur corolaire, les sanctions disciplinaires, vont cristalliser un certain nombre de tensions qui sont présentes de manières sous-jacente et qui rejaillissent dans ces situations particulières : la question de la responsabilité, des pratiques d’autorité, de la coéducation, du crédit accordé à la parole des uns et des autres… Ce qui est intéressant c’est que ces thématiques se retrouvent, en quelques sortes, en miroir chez les parents et les acteurs scolaires.
De plus, cette thématique me permet de questionner les pratiques parentales et les prescriptions normatives qui pèsent sur les parents et qui sont aussi véhiculées par l’institution scolaire et ses acteurs. L’idée qui circule parfois chez les acteurs scolaires mais plus largement dans la société c’est que les parents dont l’enfant manifeste des difficultés comportementales seraient en partie responsables de la situation. S’érigent alors deux figures de ces parents. La première verrait les parents comme démissionnaires et ayant peu d’intérêt pour la scolarité de leur enfant. La seconde figure, verrait les parents pleins de bonnes intentions mais peu armés face aux questions éducatives que pose leur adolescent. Ils seraient donc trop autoritaires ou pas assez, ils ne mettraient pas en place les bonnes pratiques permettant à l’enfant d’avoir l’attitude d’élève qui est attendue par l’institution. Mon propos consiste donc à déconstruire ces représentations qui circulent largement et à interroger le lien mécanique qui est trop souvent fait entre comportement indiscipliné de l’élève et éducation parentale. Cela conduit généralement à occulter les autres causes pouvant conduire l’élève à commettre un manquement au règlement.
Enfin, je m’intéresse à l’interprétation que les parents font des jugements de l’institution à l’égard de l’enfant ou d’eux-mêmes. Qu’est-il fait de ces jugements ? Comment les intègrent-ils ou pas ? En d’autres termes je me demande si l’expérience du conseil de discipline vient modifier, bousculer les parents et/ou la famille dans leur quotidien. Le regard est donc porté sur la sphère privée afin de comprendre de quelle manière ce qui se passe à l’école pénètre et transforme parfois la famille.
Leur parole est-elle niée ?
Sur cette question, la position de l’institution est paradoxale. Concernant les relations avec les familles, le discours général va dans le sens d’une ouverture plus importante aux parents, d’un dialogue plus prégnant et d’une dynamique qui reposerait sur la coéducation. Cependant, en ce qui concerne les parents d’enfant convoqué en conseil de discipline, les relations sont plus cadrées et souvent plus tendues. Si officiellement le discours de l’institution fait état d’une place plus importante laissée aux parents, en pratique et en ce qui concerne les instances disciplinaires, la parole et le rôle des parents sont contraints voire limités par l’institution elle-même. Pendant le conseil de discipline ils se retrouvent plus souvent à devoir répondre aux questions des membres du conseils, les interventions des parents sont rythmées et réglées par les membres du conseil de discipline.
Par exemple, il est arrivé à plusieurs reprises durant les conseils de discipline que les parents fassent état d’un élément, d’une situation vécue au collège par leur enfant, plus ou moins en lien direct avec la convocation en conseil de discipline. Ces interventions sont souvent rejetées par les membres du conseil de discipline en invoquant le fait que ce n’est pas le propos de cette instance. Toutefois ces derniers ont la possibilité, eux, de faire appel à ce même genre d’évènements qui pourront être retenus à charge contre l’élève. Les membres du conseil décident donc des éléments pertinents qui peuvent ou non être cités et pris en compte pendant le conseil. Si bien que cela vient limiter les capacités de défense des parents. Et c’est un exemple parmi d’autres.
De plus, les parents ne sont pas associés aux délibérations ou à la décision de sanction votée par le conseil de discipline. Ce qui interroge sur la place qui leur est concédée. Pour beaucoup de parents cela renforce l’idée qu’ils sont, au même titre que leur enfant, mis sur le banc des accusés.
Enfin, lorsque l’élève est exclu définitivement du collège, les relations avec l’établissement sont interrompues souvent de façon assez brutale. Plusieurs parents rencontrés ont évoqué cette frustration, ce sentiment amer qu’ils ont pu ressentir lorsqu’ils ont vu que l’établissement ne cherchait pas à s’informer sur le devenir de leur enfant. Cela souligne le fait que l’établissement ne propose pas de dialogue sur le vécu de la situation par l’enfant ou la famille.
C’est finalement plutôt au niveau des acteurs que la parole des parents peut se libérer plus. Des témoignages de parents ont fait état d’un CPE ou chef d’établissement qui a pu les écouter. Toutefois, il s’agit bien plus de confidences sur leurs difficultés à la maison ou des difficultés scolaires qu’un retour sur l’expérience vécue au travers des instances disciplinaires.
Vous dressez une typologie de ces parents. Quelle est-elle ?
Le conseil de discipline est une instance censée établir la responsabilité de l’élève à l’égard d’un manquement au règlement dont il est accusé. Il m’a semblé intéressant de faire un parallèle entre cette recherche de responsabilité effectuée par l’institution et la quête de responsabilité que les parents eux-mêmes pouvaient mettre en place.
Pour cela, j’ai établi une typologie qui répondrait donc en quelque sorte à la question qui est-ce que les parents tiennent pour responsable de la situation, à savoir le manquement en lui-même et/ou la tenue du conseil de discipline ? L’enquête a permis de révéler trois figures sur lesquelles les parents faisaient porter la responsabilité. Tout d’abord, une partie des parents rencontrés estiment que l’enfant est le seul responsable de la situation. Ce sont des parents qui font confiance à la version donnée par l’institution et qui donc ne remettent pas tellement en question le déroulement du conseil de discipline ou encore la sanction donnée dans la mesure où ils sont d’avis généralement que l’enfant l’a cherché. Il y a parfois une désolidarisation avec l’enfant pendant le conseil de discipline, les parents affirment alors qu’ils n’ont pas plaidé pour lui. Les parents faisant partie de ce groupe connaissent plus souvent des difficultés avec leur enfant à la maison ou du moins ils en font plus part. Ce qui se passe finalement c’est que ces parents espèrent et vont parfois trouver un soutien en l’institution. Ainsi, ils attendent que le conseil de discipline ou encore l’exclusion viennent faire office de déclic à leur enfant.
Le deuxième groupe de parents, moins nombreux, estiment que l’institution scolaire est responsable de la situation. Dans ce cas, les parents considèrent que leur enfant n’a pas commis l’acte qui lui est reproché ou alors considèrent qu’il s’agissait d’une réponse légitime dans une situation donnée. Ils jugent plus souvent que la réponse de l’institution, le conseil de discipline et la sanction, sont disproportionnés. C’est donc sur le mode de l’injustice que l’expérience est vécue. Malgré l’injustice dont ils pensent avoir été victime, ces parents n’osent pas généralement faire état de leur revendication à l’institution scolaire.
Enfin, le dernier groupe réunit uniquement des mères. Il s’agit ici de faire porter la responsabilité sur les parents et bien souvent sur elles-mêmes. Ces mères estiment que si l’enfant a eu un comportement indiscipliné c’est parce qu’elles ont dû faire preuve d’une défaillance éducative. Étant donné que ces mères prennent en charge la plus grande partie des tâches éducatives, elles considèrent que les écueils rencontrés par l’enfant sont le signe de leur incompétence. Elles vont alors tenter de donner du sens à cet acte, s’interroger sur leurs pratiques éducatives ou encore questionner le schéma familial. Finalement, cela va faire naitre de nombreux doutes chez elles et certaines peuvent être en proie à de réelles angoisses à la suite de cet épisode.
Qu’en concluez-vous ?
Le conseil de discipline est un moment éprouvant pour de nombreux parents mais pour différentes raisons : parce qu’il peut être vécu comme une injustice ou comme une preuve de leurs difficultés parentales. Pour d’autres, au contraire, ce face-à-face permet de trouver un soutien, d’être orienté vers un dispositif qui va leur permettre d’être accompagné. Ce que l’enquête révèle tout de même c’est que les pratiques éducatives tout autant que la relation à soi et à l’institution peuvent être affectées par cet évènement. La réception de l’épisode par les parents dépend en partie de l’attribution de la responsabilité. Et nous pouvons penser que cette lecture va jouer sur le vécu de l’enfant. Finalement, cela nous donne à voir que les parents peuvent être bouleversés et sanctionnés au même titre que l’enfant.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda