Comment traiter des inégalités sociales à l’école de façon succincte mais problématisée ? La FCPE publie deux Notes de Pierre Merle et Marie Duru-Bellat qui relèvent ce défi et offrent, aux parents et aux acteurs de l’Ecole, deux textes courts mais riches.
Démocratisation et démocratisation ségrégative
« Dans les discours de Jean-Michel Blanquer, ses réformes ont pour objet, tout comme celles de Najat Vallaud-Belkacem avant 2017, de favoriser l’égalité des chances. Dans les discours politiques, cette recherche d’une plus grande égalité se traduit fréquemment par le slogan consensuel d’une école « plus juste ». Au-delà des mots, quelles sont les réalités de l’école française ? », interroge Pierre Merle. Il montre comment s’est construite une « démocratisation ségrégative » dans le système éducatif. Certes tous les jeunes, ou presque, vont au lycée. Mais « moins la filière du baccalauréat est prestigieuse et plus la proportion d’enfants d’origine aisée et moyenne diminue. Parallèlement, celle des enfants d’origine populaire augmente. Depuis 1990, l’accroissement considérable de l’accès au baccalauréat n’a pas eu d’effet sur le recrutement social des voies générale, technologique et professionnelle. Le terme de démocratisation ségrégative a pour objet de définir ce double mouvement d’accroissement de l’accès au baccalauréat et de maintien de la ségrégation des parcours scolaires selon l’origine sociale ».
Comment expliquer cette évolution des inégalités ? P Merle donne plusieurs interprétations , depuis celle de Bourdieu et Passeron jusqu’aux analyses qui donne sa place au système scolaire dans les inégalités. « Si une grande part des réformes du XXe siècle a eu pour objet de réunir formellement les réseaux de scolarisation primaire et secondaire du XIXe siècle, les scolarités des élèves restent sensiblement différenciées selon leur origine sociale. Cette différenciation augmente les possibilités de réussite des enfants des catégories aisées et réduit celle des enfants de catégories populaires ».
Les inégalités et Blanquer
Pour P Merle, « L’héritage du passé est encore présent dans la loi Blanquer adoptée en 2019. La création des EPLEI (établissements publics locaux d’enseignement international) a pour objet de créer une nouvelle filière d’excellence scolarisant, du primaire à la terminale, les enfants disposant de compétences linguistiques remarquables dès leur plus jeune âge. Fondés sur le modèle du lycée napoléonien, les EPLEI participent d’une révolution conservatrice (Merle, 2019) puisque qu’ils ne peuvent que maintenir, voire renforcer, la ségrégation académique et sociale qui caractérise le système scolaire français. » Et on sait que le ministre veut revoir l’éducation prioritaire.
Egalités des chances à l’école et dans la société…
Il revient à Marie Duru-Bellat d’interroger la notion même d’inégalités sociales à l’école. « Parler d’inégalité exprime le fait que telle performance importe : les inégalités de maîtrise de la lecture ne sont pas tolérées car on estime que lire fait partie du bagage commun dont l’école doit doter tous les petits Français. Il en va de même – ou il devrait en être de même – concernant la maîtrise du socle commun de connaissances, de compétences et de culture que notre pays a défini pour tous les élèves sortant de l’école obligatoire : cette maîtrise devrait être le fait de tous, et toute différence à cet égard serait une inégalité. Par contre, on ne pose guère la question de l’évaluation de la qualité de l’expérience scolaire quotidienne des élèves, sans doute parce que la tâche paraît difficile, mais peut-être aussi parce qu’on en reste à une conception de l’école comme devant plus instruire qu’éduquer », note-elle.
En conclusion, M Duru-Bellat rappelle que « les analyses sociologiques ou économiques prenant une perspective plus globale montrent que la relative démocratisation de l’éducation n’a guère eu d’impact sur les phénomènes de reproduction sociale et que la baisse de l’inégalité des chances scolaires a été plus marquée que la baisse de l’inégalité des chances sociales. Les individus s’insèrent dans une société où des « places » sont définies, et si l’école est un moyen relativement efficace pour atteindre les meilleures places, la définition des places n’est pas de son ressort. Il faut compter en particulier avec le rapport entre le nombre de diplômés et le volume des « places » à occuper dans l’espace économique. Si, comme on l’observe ces trente dernières années, la structure sociale se déplace moins vite vers le haut que celle des niveaux d’éducation, l’ajustement va se faire au prix d’une dévaluation des diplômes, ce qui tend à entretenir les inégalités ».
F Jarraud