A quoi servent les évaluations nationales ? Très critiquées dans leur conception dès 2018, puis sur leur utilisation par l’Inspection en 2020, les évaluations nationales de CP et CE1 font l’objet de deux Notes de la Depp. Toutes deux illustrent les finalités de ces évaluations : une excellente machine à imposer des pratiques pédagogiques et un bel outil pour soigner une popularité politique.
Deux Notes de la Depp
En CP, « en français, les élèves présentent le niveau de maîtrise le plus élevé dans le domaine de la compréhension orale et le plus faible dans celui de la connaissance des lettres. En mathématiques, les résultats pointent des difficultés en résolution de problèmes mais un bon niveau de maîtrise des nombres », note la Depp dans une nouvelle Note sur les évaluations. Au CE1, la Depp titre sur » des performances en hausse.. Les performances sont en hausse en début de CE1 entre 2018 et 2019 et l’on observe une réduction des écarts entre les élèves de l’éducation prioritaire et ceux scolarisés hors éducation prioritaire. En français, les élèves rencontrent des difficultés marquées dans le domaine de la lecture et de la dictée de mots. En mathématiques, les résultats pointent un bon niveau de maîtrise des nombres mais des difficultés en résolution de problèmes ».
Le scepticisme de R Goigoux et de l’Inspection
En mai 2019, dans une longue analyse, Roland Goigoux s’était livré a un savant démontage des évaluations nationales. Il avait mis en question les repères choisis pour les évaluations et la méthodologie qui les sous tend. Début 2020 c’est l’Inspection générale qui souligne des problèmes avec les évaluations. Bien que dirigée de très près vers les « bonnes écoles », au final l’Inspection ne trouve pas d’utilisation satisfaisante de ces évaluations. Les finalités des évaluations lui semblent tout sauf évidentes.
Pourtant c’est sur ces finalités que titre la Depp. En CP « des résultats stables ». Au Ce1 : « des performances en hausse ». On comprend que ces évaluations ont pour but de faire progresser les élèves. Elles sont l’outil qui pousse le système éducatif vers un meilleur « rendement ». Après tout pourquoi pas ? Si les évaluations permettent vraiment des progrès scolaires.
Un outil pour aligner les pratiques…
Mais y regarder de plus prêt c’est prendre conscience qu’autre chose est en jeu. Ainsi que veut dire la mention « des résultats stables » d’une année sur l’autre en début de CP ? Chaque année de nouveaux élèves arrivent à l’école élémentaire pour apprendre à lire et à écrire. A moins d’une mutation génétique de l’espèce, on se demande comment les résultats pourraient ne pas être stables d’une année sur l’autre.
En fait en lisant les items évalués (avec toutes les réserves émises par R Goigoux sur elles et les seuils définis), on se rend compte de choses intéressantes. On évalue en septembre en CP la capacité à connaitre le nom des lettres , à manipuler des phonèmes, à comparer des suites de lettres. C’est à dire que l’utilité de l’évaluation de début de CP ne vise pas les enseignants de CP mais les pratiques pédagogiques de maternelle. Ce qu’évalue la Note CP c’est la prise en compte en maternelle de l’évaluation de début de CP.
On entre là dans les effets bien connus de ces évaluations, déjà largement installées dans les pays anglo saxons. Elles servent à imposer des pratiques et surtout à apprendre aux élève ce qui sera évalué plus tard.
… sur la communication ministérielle
C’est encore plus net avec la Note de CE1. Forcément on a « des performances en hausse ». Imaginez si ça baissait ! Il faut que ça monte et R Goigoux a montré comment on obtient ce résultat. Effectivement d’année en année, au fur et à mesure que les tests seront enseignés en CP, on verra le niveau des CE1 monter. Du moins tant que la pression politique sera là.
Ces effets des évaluations nationales sont déjà bien documentées dans les pays anglo saxons. On en connait les limites mais cela n’empêche pas de les importer en France.
Coté limites, rappelons ce que Christian Maroy disait au Café pédagogique à propos des évaluations au Québec. « Du coté des résultats, en apparence il y en a. Le taux de diplomation augmente un peu. Mais ce n’est pas très clair notamment parce qu’on crée de nouveaux diplômes qui permettent de diplômer les élèves ayant des qualifications semi professionnelles. Par exemple un professeur d’histoire me dit que les résultats s’améliorent en cours de citoyenneté. Mais il ne peut plus emmener les élèves à l’Assemblée nationale car il doit consacrer tout son temps à l’examen ministériel. Donc la finalité de l’éducation à la citoyenneté est affectée. Cela montre que même quand les résultats évoluent favorablement certains apprentissages pâtissent de ce pilotage. Toutes ces politiques aboutissent à des réductions curriculaires… Au Québec on voit un net alignement entre les commissions scolaires locales et le ministère central grâce au suivi statistique. On voit une forme de coordination s’installer avec un alignement des pratiques pédagogiques en fonction des plans ministériels ». Cet alignement vient d’ailleurs de prendre la forme de la suppression des commissions scolaires autonomes.
Les risques de ces évaluations sont connus. Il sera de plus en plus difficile de savoir exactement ce que savent les élèves. Par contre on aura une bonne évaluation de leur capacité à répondre aux évaluations. L’Ecole entre dans un système où la communication politique dirige les pratiques pédagogiques. Il « faut » que les performances soient en hausse d’année en année…
F Jarraud