« J’ai passé l’info à 300 familles. S’il y a contrordre maintenant, on passe pour des rigolos ». C’est le genre de messages que l’on a lu ce week-end sur les réseaux sociaux. Directeurs faisant du zèle à la veille d’un retour de vacances, professeurs se demandant s’ils devaient accueillir ou non les élèves de retour d’Italie du nord. Alors que les élèves sont, d’après les travaux médicaux, d’excellents vecteurs du coronavirus, les enseignants reçoivent des consignes non seulement contradictoires mais surtout impossibles à faire respecter. « Quel amateurisme », concluait l’internaute cité un peu plus haut…
Les écoles premières zones d’infection
Les enfants jouent un rôle particulièrement important dans la transmission de la grippe ; ils sont plus réceptifs à l’infection que les adultes, sont responsables de plus de cas secondaires dans les foyers que les adultes, ont un portage viral plus important et prolongé, « maîtrisent » beaucoup moins leurs sécrétions respiratoires, et sont en contact étroit avec les autres enfants à l’école, favorisant ainsi les transmission. L’école constitue une zone d’amplification de la grippe », écrit le Haut Conseil de la Santé Publique dans une étude sur les fermetures d’école en cas de pandémie (citée dans notre article du 27 février).
Avec déjà un enseignant décédé du coronavirus sans avoir séjourné à l’étranger, on comprend que les professeurs se fassent du souci. Ils ont la prétention de demander des consignes claires à leur ministère ainsi qu’une protection tenant compte de leur exposition.
Trains de retard rue de Grenelle
« Tout est prêt », n’a pas hésité à dire JM Blanquer. Il est même allé jusqu’à parler de la mobilisation de médecins de l’éducation nationale : rappelons qu’ils sont moins de 900 pour 12 millions d’élèves… En réalité, du coté des consignes, le ministère de l’éducation nationale a toujours un train de retard et ne sait pas trop où il va.
Les premières consignes ministérielles sont arrivées dans la journée du 24 février. Elles demandaient de ne pas accepter en classe les élèves de retour de Chine et d’Italie du Nord. Mais ceux-ci étaient en classe depuis le matin.
Le 28 février, consignes nationales dans les temps pour le retour de la zone B. Ca tombe bien puisque dans la zone B , l’académie d’Amiens compte de nombreux malades. Consigne est donnée de ne pas accueillir les élèves de retour des zones à risque et aux personnels de se déclarer auprès de leur hiérarchie. Des messages sont envoyés en ce sens aux familles. Mais le 29 février, le ministre de la santé annonce que ces élèves peuvent aller en classe. IL faut encore attendre 24 heures pour que l’Education nationale réagisse : dans un communiqué du 1er mars elle annonce que les élèves et personnels de retours de Vénétie et Lombardie peuvent retourner à l’école.
Mêmes hésitations pour les voyages scolaires. Le 28 février il faut reporter tous les voyages scolaires dans les zones à risque. La consigne est parfois arrivée que le 1er mars dans les établissements. Mais le 1er mars il est question d’interdire « tous les voyages internationaux et dans les clusters ».
« Continuité pédagogique » improvisée
Le 29 février le gouvernement a décidé la fermeture de tous les établissements scolaires et écoles de 9 communes de l’Oise à partir du 2 mars, soit 83 écoles, 10 collèges et 9 lycées.
Des mesures de « continuité pédagogique » sont prises. Selon le site académique d’Amiens, « les académies peuvent s’appuyer sur la plateforme dédiée du Centre National d’Enseignement à Distance (CNED), Ma classe à la maison. La plateforme propose des parcours pédagogiques permettant de couvrir une période de quatre semaines, de la grande section de maternelle à l’année de terminale… Le directeur d’école ou le chef d’établissement communiquera aux élèves l’adresse pour se connecter à la plateforme Ma classe à la maison, ainsi que les modalités d’inscription. Chaque élève pourra alors créer son compte et accéder à l’ensemble des contenus. En outre, en fonction des besoins des élèves et des choix des professeurs, les écoles et établissements concernés pourront bénéficier du dispositif des classes virtuelles du CNED, qui permet à chaque professeur qui le souhaite de faciliter l’organisation de l’enseignement à distance (échanges de documents avec les élèves, séances avec les élèves en direct, interaction avec les élèves,…). Indépendamment de la mise à disposition de cette plateforme ou de manière complémentaire, les équipes pédagogiques prendront les initiatives et mesures nécessaires pour préserver un lien pédagogique à distance, et pour continuer à dispenser un enseignement, en exploitant notamment les possibilités d’échanges par messagerie électronique et les espaces numériques de travail… Les professeurs pourront accompagner leurs élèves dans l’utilisation de ces ressources, en leur adressant des supports de cours et des exercices, via les espaces numériques de travail ou la messagerie électronique pour les élèves disposant d’un accès à internet. Ils leur adresseront les travaux à faire à la maison. Pour les élèves les plus jeunes, et pour tous ceux qui nécessitent une prise en charge spécifique impliquant la présence d’un adulte, la mise en place d’activités éducatives et pédagogiques devra reposer sur leur famille. Dans toute la mesure du possible, les directeurs d’école veilleront à ce que leur soient proposées, à distance via les outils numériques, des activités adaptées, réalisables en contexte familial. Pour les élèves ne disposant pas d’un accès à internet, sera proposé un ensemble de documents à étudier et de travaux à réaliser, adaptés à la situation d’un accompagnement en famille ».
Ces belles consignes baignent dans un flou artistique. Si le service du Cned existe, on ne voit pas comment les directeurs et chefs d’établissement contacteront les élèves pour leur donner les consignes de connexion. On ne sait pas non plus comment élèves, parfois très jeunes, et professeurs sauront utiliser des outils qu’ils ne connaissent pas. Encore une fois on envoie aux enseignants des injonctions en leur demandant de se débrouiller pour les appliquer. On sait pourtant que pour que l’enseignement à distance fonctionne il faut que les outils soient connus et que les situations pédagogiques soient déjà installées. Mais aucune consigne en ce sens n’est données par le ministère aux autres établissements.
Il y a pire. Le ministère a généreusement envoyer des affiches (en fichier pdf) en demandant aux établissements et école de les imprimer et de les placarder. Dans toutes les écoles les élèves verront ceci : » Pour se protéger et protéger les autres : Se laver très régulièrement les mains… Utiliser un mouchoir à usage unique et le jeter ». Mais la plupart des écoles et établissements n’ont pas de savon, ne sont pas équipés pour que chaque élève puisse passer 30 secondes à se laver les mains plusieurs fois par jour et n’ont pas de mouchoirs jetables. Ils ne sont d’ailleurs pas plus équipés pour nettoyer les poignées de porte plusieurs fois par jour. Evidement ces réalités relèvent des collectivités territoriales. Mais les enseignants auraient pu attendre de leur employeur qu’il leur évite le ridicule d’un affichage inutile voire qu’il les dote du nécessaire dans l’intérêt de tous. Le ministère inonde les enseignants d’ordres, de contrordres, d’injonctions impossibles à réaliser. Et au final : débrouillez-vous !
François Jarraud
Quand faut-il fermer les écoles : Coronavirus : L’Ecole est-elle vraiment prête ?
Une séquence pédagogique pour le primaire