Peut-on amener les élèves à considérer le travail comme plus important que l’évaluation ? Au collège Pasteur à Villejuif, une équipe enseignante a fait d’une sixième une « classe coopérative à évaluation continue ». Stéphanie Dubarry y enseigne le français. Elle en éclaire ici les principes : « L’objectif est que l’élève soit toujours dans le faire de manière à ce qu’il n’y ait finalement plus besoin d’évaluer régulièrement puisque le professeur observe à chaque séance l’élève en action. Pour cela, il est indispensable que l’élève soit autonome et en activité et cela nécessite des scénarios pédagogiques particuliers. » Avec des conséquences : transformation du bulletin, de l’organisation annuelle, du conseil de classe, nouvelles modalités de travail, apprentissage de l’autoévaluation, représentations de l’Ecole à faire évoluer. Un projet inspirant présenté au 11ème Forum des enseignants innovants …
Comment ce projet de « classe coopérative » est-il né ?
Le projet de classe coopérative est le fruit d’un cheminement professionnel personnel, mais aussi comme souvent de rencontres, en particulier avec Aurélie Fontaine, professeure d’Histoire Géographie, et Thomas Guiraud, professeur d’EPS. Chacun de notre côté, nous avions fait évoluer nos pratiques en classe, persuadés que l’élève devait être central dans nos expérimentations pédagogiques. Dans le champ de nos préoccupations se recoupaient des interrogations liées au bien-être des élèves et surtout à leur motivation face au travail. Nos pratiques pédagogiques se rejoignaient également dans la même démarche de recentrer les élèves vers le travail, l’épanouissement personnel et le droit à l’erreur et non la performance ou le résultat.
C’est ainsi que l’on constate ce que l’évaluation peut avoir de clivant et de stressant pour les élèves. L’effet pervers se traduit par une perte de motivation des élèves liée aux premiers résultats et en particulier au conseil de classe du premier trimestre. A l’inverse, certains élèves scolaires ne travaillent que dans le but d’obtenir de bons résultats, sans laisser exprimer leur créativité, leur curiosité, leur plaisir.
Mettre en place la classe coopérative fut donc aisé car nous avions déjà tous les ingrédients dans nos cours respectifs et les mêmes objectifs tant dans le travail de l’élève que dans le climat scolaire : conserver la motivation des élèves, notamment des élèves en difficulté de manière à réduire le décrochage, observer si cela a un impact sur le climat scolaire (moins de stress, moins de compétition, plus de collaboration), apprendre aux élèves ce qu’est être un collégien. Nous avons soumis notre projet à l’établissement et avons monté une équipe volontaire pour expérimenter et interroger la notion d’évaluation au collège.
Pourquoi le choix de mener ce projet en 6ème ?
L’entrée en 6è est un moment crucial dans la construction du rôle d’élève. Nous avons fait le choix dans notre établissement de favoriser ce niveau (heures dédoublées, projets artistiques et culturels, voyages scolaires…) afin d’accompagner au mieux l’arrivée dans le secondaire. Trois compétences transversales sont particulièrement développées en 6e : l’autonomie, la responsabilisation et la coopération, solides soubassements à la construction de l’élève. La classe coopérative d’inspiration Freinet permet de travailler ces compétences.
D’autre part, notre réflexion sur l’évaluation nous a conduits à considérer la maturité de l’élève et ses capacités à utiliser cet outil qu’elle représente. Apprendre à utiliser son évaluation autrement que comme une sanction ou une simple information requiert des savoir-faire et savoir-être difficiles à exiger d’un élève de 6e. Nous nous sommes donc posé la question de savoir si l’évaluation était indispensable pour faire progresser chaque élève à sa mesure. Si elle ne fait aucun doute pour nous au niveau du lycée puisque les élèves ont déjà vécu quatre ans de secondaire, un examen et vont devoir être confrontés au baccalauréat, c’est ce qui nous a poussés à choisir le niveau 6e, qui est sans enjeux si ce n’est la validation du cycle 3. Au contraire, la place particulière de fin de cycle à cheval sur le primaire et le collège nous a semblé propice pour la liaison école-collège.
Vous avez changé bulletin, organisation annuelle, conseil de classe : pouvez-vous nous éclairer sur ces modifications ?
Modifier le système d’évaluation a nécessairement un impact sur les instances qui l’entourent. Le bulletin n’était plus adapté, le conseil de classe devenait caduque et l’organisation annuelle trop contraignante. Il a fallu repenser ces moments afin qu’ils aient du sens et représentent un atout pour les élèves.
Nous voulions un bulletin qui laisse plus de place à l’appréciation qu’aux évaluations. Notre établissement n’évaluant que par compétences, les bulletins sont saturés par les points rouges, jaunes, verts clairs et verts foncés. Avant de créer un nouveau bulletin, j’avais fait un test avec des élèves de 6e afin qu’ils préparent leur bilan et se donnent trois objectifs à partir des conseils glanés dans le bulletin. Je leur ai donné la consigne puis leur ai distribué leur bulletin. Ils ont d’abord commencé par compter leur nombre de points rouges ou verts et se comparer parfois de manière peu bienveillante. Ils ont fini par s’intéresser à l’appréciation : ils devaient repérer les points forts, les points faibles, les conseils et les souligner d’une couleur différente. Un nombre important d’élèves est incapable de faire ce travail sans aide : on peut donc s’interroger sur l’intérêt du bulletin si les élèves n’arrivent pas à en retirer les informations que le professeur lui donne. J’ai donc demandé à l’équipe de travailler sur un bulletin plus clair dans lequel les évaluations n’apparaissent pas mais, sous forme d’un tableau, les compétences qui ont été travaillées, les acquisitions, les progrès et les conseils ou objectifs.
Et le conseil de classe ?
De la même manière, le conseil de classe, centré sur les résultats des élèves, dissonait avec la philosophie de notre classe coopérative dans laquelle c’est l’élève et son travail qui sont au centre. Ce rôle d’acteur central est accru par le conseil sous forme de présentation orale. En effet, après avoir reçu leur bulletin, les élèves préparent leur bilan en analysant les conseils donnés, en faisant une activité autour des compétences transversales et en choisissant trois objectifs à atteindre pour le prochain semestre. Ce travail est à présenter à l’oral sous la forme de leur choix devant leurs parents, un professeur et un membre de l’administration ou de la vie scolaire.
Lors des conseils de coopération, les élèves choisissent les exposés qu’ils veulent faire, les ateliers de remédiation ou d’approfondissement, les projets qu’ils souhaitent mener (par exemple, lorsqu’un élève a demandé à travailler l’orthographe car il se sent en difficulté, les élèves ont réfléchi et ont décidé de lancer un concours d’orthographe qu’ils organisent entièrement).
Quid de l’ancien conseil de classe ?
Il n’a pas complètement disparu, mais devient une réelle réunion d’équipe et non plus un passage en revue de bulletins. Ce sont au départ les parents qui ont demandé au CA de le maintenir. En effet, j’avais décidé de le supprimer totalement mais, de manière très pertinente, les représentants des parents ont argué que le bilan général de la classe manquerait. Nous avons donc convenu ensemble d’inviter à la réunion d’équipe avant les conseils les délégués parents et élèves (nous avons une heure banalisée dans notre emploi du temps en fin de journée qui nous permet de nous réunir facilement).
Ce conseil de classe inversé demande du temps, pour l’organisation, pour la préparation. Le planning par trimestre semblait trop contraignant et chronophage. D’autre part, en fonction des matières, observer la progression dans l’acquisition des compétences peut s’avérer très difficile en un trimestre. Dès lors, il était plus pertinent de fonctionner sur des intervalles de temps plus longs. L’année est donc divisée en deux temps, eux-mêmes dédoublés. Le premier semestre court de septembre à janvier. A la mi janvier ont lieu les conseils de classe inversés. En novembre, nous recevons les parents pour un bilan intermédiaire. Le deuxième semestre est similaire : conseil en juin et rencontre parents professeurs en avril.
En quoi le projet transforme-t-il aussi les modalités de travail dans la classe ?
Ce projet s’inscrit dans le cadre d’une classe coopérative inspirée de la pédagogie de Freinet. L’objectif est que l’élève soit toujours dans le faire de manière à ce qu’il n’y ait finalement plus besoin d’évaluer régulièrement puisque le professeur observe à chaque séance l’élève en action. Pour cela, il est indispensable que l’élève soit autonome et en activité et cela nécessite des scénarios pédagogiques particuliers.
La classe participe donc à un projet artistique et culturel en partenariat avec le théâtre Romain Rolland dont l’objectif est de créer une fiction radiophonique dans le studio radio du collège à partir d’une œuvre étudiée en cours de français mais aussi dans les autres matières. Cela permet de développer des compétences transdisciplinaires et transversales, tout en fédérant la classe dans un projet coopératif d’envergure.
Les professeurs de la classe se sont chacun emparés du projet à leur manière et les outils pédagogiques développés dépendent de chacun. En cours de français, les élèves travaillent en îlots avec un plan de travail individualisé. Un îlot est réservé à des ateliers de remédiation ou d’approfondissement avec le professeur ; les autres élèves travaillent en autonomie. L’élève est fortement responsabilisé car il doit organiser son planning et doit lui-même évaluer quand il a besoin d’aide ou quand il peut passer à une autre activité. Pour que le professeur soit disponible pour guider les élèves qui en ont besoin, les documents nécessaires sont tous donnés en début de séquence sur le blog de la classe. Mettre en activité les élèves et faire de la différenciation n’est pas très difficile, mais différencier la correction et apprendre à l’élève à corriger, réviser et analyser son travail est une tâche beaucoup plus complexe.
Comment les aidez-vous dans cette tâche d’autoévaluation ?
Réduire les évaluations pousse l’élève à devoir lui-même évaluer son travail. Pour l’aider dans cette voie, je donne le corrigé écrit des activités à faire en classe. Ils y ont accès quand ils le souhaitent. Mais nous avons tous déjà pu constater que cela ne suffit pas à certains élèves pour lesquels consulter un corrigé, passer de son travail au corrigé, comprendre le corrigé est une tâche qu’ils ne peuvent absolument pas faire seuls. C’est pourquoi je double les corrigés d’un corrigé en vidéo. Une fois mon travail de correction fait au format PDF, j’utilise un logiciel qui me permet de filmer ce PDF tout en enregistrant ma voix qui lit et commente ce corrigé. En clair, les élèves ont sous les yeux le corrigé mais entendent ma voix lisant le document, explicitant les points difficiles et ajoutant des notions plus complexes pour les élèves qui ont des facilités. Je peux ainsi expliciter les démarches à faire pour corriger efficacement son travail et leur donner des conseils de méthode tout en apportant des notions plus complexes. Les élèves doivent également apprendre à prendre des notes s’ils veulent garder trace de ce que je dis, tout en ayant le temps puisqu’ils peuvent faire pause quand ils le souhaitent. Enfin, la mémorisation est rendue plus efficace, ainsi que la compréhension, par le fait qu’ils lisent et écoutent en même temps.
Vous avez abandonné les notes : comment mettez-vous en œuvre l’évaluation des élèves ?
Il est important de préciser qu’avant même la création de cette classe coopérative, notre collège était passé à l’évaluation par compétences. L’ensemble des acteurs de l’établissement est donc rompu à l’absence de notes qui ont disparu il y a plusieurs années. Les élèves sont évalués par compétences selon leur niveau d’acquisition. Le terrain était donc favorable puisque nous travaillions tous déjà par compétences et avions déjà tous adapté nos cours. D’ailleurs, je travaillais déjà en classe coopérative mais de manière moins poussée que dans le projet présenté aujourd’hui. Nous sommes allés plus loin pour cette classe en supprimant les évaluations finales et en ne formalisant pas les évaluations diagnostiques ou formatives. De la même manière, il convient de rappeler qu’évaluer l’élève fait partie des missions du professeur et il ne s’agit pas pour nous de contester cela : nos élèves sont évalués avec les évaluations nationales et le socle commun de compétences à la fin du cycle 3. Nous avons juste, dans le cadre de notre liberté pédagogique, expérimenté une manière détournée d’évaluer les élèves.
Dans chaque matière, l’élève doit travailler sans avoir d’évaluation proprement dite et l’enseignant fait avancer l’élève à son rythme grâce à de fréquents conseils personnalisés. De manière générale, les professeurs doivent gérer les activités des élèves et prévoir des temps réguliers d’entretiens individuels. C’est encore l’autonomie de l’élève qui va permettre à l’enseignant de faire des retours très personnalisés à chaque élève. Nous avons constaté que l’écoute du groupe classe s’avère très fragile et très éphémère : il est très difficile, voire impossible, de garder l’attention de tous les élèves plus de 20 minutes et ce dans toutes les matières. Exposer les consignes d’une activité d’EPS pendant 20 minutes est contre-productif, il faudra répéter à plusieurs élèves des éléments qui n’ont pas été écoutés. L’idée est donc de remplacer ces moments d’écoute collective inefficaces par autant de temps individuels que possible sans pour autant baisser l’exigence de ce temps collectif : en français comme en EPS, les dix minutes de début de cours sont forcément silencieuses pour les élèves (écoute du professeur ou lecture avec la pause lecture) ; par la suite, durant le reste de l’heure ou des deux heures, le professeur évite de faire plus de deux autres temps d’écoute collective.
De manière individuelle, les professeurs organisent leur évaluation à leur convenance. Étant donné qu’ils ne font plus d’évaluation proprement dite, ils doivent trouver un moyen détourné de faire des retours sur le travail des élèves, car il ne s’agit pas de ne pas évaluer. L’enseignant annote beaucoup les travaux des élèves et, selon son propre système, consigne les remarques qu’il a faites de manière à observer les besoins et les progrès de chaque élève. Il a donc un plus grand travail d’accompagnement puisqu’il doit expliciter ce qui est réussi ou non au lieu de se restreindre à une note ou un niveau d’acquisition. Paradoxalement, alors que dans un système classique le professeur n’évalue « que » lors des évaluations, nos élèves sont donc constamment évalués !
Quels vous semblent les intérêts de cette évaluation continue ?
D’une part, l’élève prend l’habitude d’être évalué très régulièrement comme si c’était un acte constitutif de l’apprentissage et non plus un acte de vérification ou de contrôle. Apprendre, c’est regarder régulièrement derrière soi pour évaluer ce que l’on a produit, ce qui a été difficile ou facile, la façon dont on peut s’améliorer. Le regard de l’enseignant sur le travail de l’élève devient normal et un outil comme un autre pour progresser.
D’autre part, ce système d’évaluation est beaucoup plus en adéquation avec la logique de compétences et de cycle. En effet, acquérir une compétence ne peut se faire qu’après un long processus d’apprentissage jalonné d’entraînements constants. On ne sait pas skier dès qu’on met des skis… De la même manière on ne sait pas écrire dès qu’on a un stylo dans la main. L’enseignement par compétences implique donc d’être constamment dans le faire pour l’élève et les seules évaluations finales cohérentes sont celles en fin de cycle.
Or, ce n’est pas du tout la représentation qu’en ont les parents, les élèves et les professeurs. Une évaluation sommative ne devrait pas avoir la valeur d’un bilan définitif, mais devrait éventuellement simplement être le signe que l’on passe à un autre chapitre. Pourtant, ce sont les évaluations finales qui tiennent une importance prépondérante car elles sont censées évaluer les acquis des élèves. Elles sont vécues comme LE moment à ne pas rater : on peut réussir cette évaluation alors qu’on a raté tous les autres entraînements (sans donc une réelle maîtrise), on peut rater cette évaluation alors qu’on avait réussi tous les entraînements (en ayant donc une réelle maîtrise). Cette mise en œuvre de l’évaluation génère inévitablement du stress chez l’élève et de la compétition. L’élève a en général peur de l’échec, peut même préférer ne pas essayer plutôt que de rater, n’a donc pas envie de se dépasser « pour voir » et reste dans ce qui va lui ôter son angoisse. L’évaluation continue lui permet par conséquent de dédramatiser l’acte de se faire évaluer et d’apprendre les réels enjeux d’une évaluation par compétences, à savoir identifier ses acquis et ce qui doit être encore travaillé. Le regard rétrospectif que doit avoir un élève sur son travail pour aller de l’avant est aiguisé, la remise en question est plus facile. Elle l’est d’autant plus que l’élève est suivi de près par les enseignants grâce aux appréciations orales quasi quotidiennes. Le dialogue individuel entre le professeur et l’élève permettant l’explicitation est bien fondamental dans notre classe coopérative à évaluation continue.
Votre projet vient heurter bien des habitudes et des représentations : quelles difficultés cela a-t-il pu vous causer ?
Ce projet bouleverse bien des choses dans le bon sens du terme : il ne s’agit pas d’une révolution pour mettre à mal l’institution mais bien d’une expérimentation qui interroge nos pratiques. Dans notre système scolaire, l’évaluation est centrale, en plus d’être obligatoire. Elle incarne l’élève, dans tous les sens du terme, comme le professeur et même la tendance pédagogique du moment si l’on en croit son évolution, du contrôle à l’évaluation par compétences. On m’a appris à concevoir mes séquences en commençant par l’évaluation finale pour être sûre que ma séquence aboutisse bien à l’évaluation. Là encore, l’évaluation semble être la finalité de tout apprentissage et être finie puisqu’elle symbolise le passage à une autre séquence.
Nous nous sommes interrogés sur la motivation de l’adolescent dans un tel système. Insidieusement, l’image qui est renvoyée est celle de la performance : l’élève doit réussir pour sa moyenne, pour son bulletin, pour passer ou réussir son examen ou son orientation sans que l’on insiste réellement sur la façon de progresser. Les difficultés dans ce type de projet sont donc plurielles : nous avons rencontré des obstacles institutionnels qui sont finalement les plus faciles à gérer, mais aussi des obstacles auprès des parents et élèves ou auprès de l’équipe pédagogique.
Les difficultés institutionnelles s’apparentent à un travail d’équilibriste. Il s’agit bien évidemment de rester dans le cadre légal de l’institution et de ne pas lui nuire, ce n’est pas du tout notre objectif. Il a fallu réfléchir à ce projet sans qu’il ne contredise nos missions de professeurs. D’autre part, les modalités choisies ont des conséquences administratives. Nous avons donc soumis notre projet au vote du conseil d’administration. Si dans notre établissement nous n’avons pas rencontré de difficulté, cela peut en devenir une.
Les parents adhèrent-ils à la démarche ?
C’est tout à fait compréhensible mais ce projet est source d’inquiétude pour les parents qui sont habitués à suivre leur enfant grâce au résultat qu’il rapporte de l’école. Leur supprimer cela, c’est, à première vue, leur ôter toute visibilité sur ce qui se passe en classe. Les parents se disent convaincus mais perdus car ils ne savent pas où se situe leur enfant dans la classe, s’il a progressé, s’il réussit et même s’il travaille. Les parents ont du mal à se départir de leurs représentations. C’est intéressant car cela signifie que, bien que leur enfant soit tout le temps dans le faire en classe, sans évaluations les parents ont l’impression que leur enfant ne fait rien, comme si l’évaluation était l’objectif final. Les deux années où nous avons mis en place ce projet, les parents n’ont pas été hostiles à la présentation du projet et ont même soutenu cette initiative. Ils sont soucieux du bien-être de leur enfant et observent souvent son stress. Cependant, au cours du projet, ils ont eu du mal à trouver leur rôle de parent. En tant que professeur principal, j’entends souvent leur désarroi car ils ne savent pas où se situe leur enfant : les parents, formés avec le système scolaire classique, ont besoin de comparer leur enfant aux autres et à ce qui est « normal » en 6e. C’est un point sur lequel nous réfléchissons car il nous semble capital : bon nombre d’élèves manquent d’un parent qui sache les accompagner autrement qu’en vérifiant les résultats.
Il ne serait pas inintéressant de travailler avec les parents sur ce rôle ; c’est ce que nous essayons de faire dans les nombreuses rencontres ou discussions que nous avons avec eux. La communication avec les parents est donc renforcée puisqu’il faut les informer et les rassurer. Très vite, leurs inquiétudes sont estompées car ils voient que leur enfant travaille, progresse et reste très motivé toute l’année, et même très heureux de venir au collège même pour les élèves à profil décrocheur.
En revanche, il est un point qui reste à ce jour une difficulté : les élèves en très grande difficulté pour lesquels il faudrait envisager des aménagements particuliers. En effet, les critères qui permettent de mettre en place des dispositifs sont fondés sur les résultats des élèves. De la même manière, il devient plus difficile de faire comprendre à des parents que leur enfant aurait besoin d’une orientation ou d’une aide particulière. C’est également ce point qui nous a fait choisir le niveau de 6e, car il y a deux garde-fous : les évaluations nationales et la validation du cycle 3. Lorsqu’un parent semble dans le déni quant aux difficultés de son enfant, il nous reste ces deux outils institutionnels.
Et les élèves ?
Moins difficiles à convaincre, les élèves peuvent être néanmoins rétifs, en particulier les élèves en réussite et très scolaires. Ne plus avoir de bons résultats c’est leur enlever leur motivation première et même leur identité. Cependant, ils sont vite conquis par ce projet car ils découvrent une vraie différenciation. Étant donné que les apprentissages ne sont plus balisés par des évaluations, ils peuvent aller bien plus loin et bien plus vite que ceux qui ont besoin de temps. On se place souvent du point de vue des élèves en difficulté et on oublie parfois les élèves qui s’ennuient beaucoup dans nos classes hétérogènes. La classe coopérative répond à la gageure d’enseigner dans une même classe à un élève qui est très petit lecteur en même temps qu’à celui qui est lecteur expert. Sa place au sein de la classe se transforme : il n’est plus celui qui a des bons résultats et qui s’ennuie parfois, mais celui qui devient un modèle pour les autres par sa motivation et sa curiosité qui l’amènent loin dans les apprentissages et surtout celui qui peut les aider quand le professeur n’est pas disponible. Ainsi se trouve-t-il valorisé de manière positive dans la classe. Il me semble inutile d’insister sur le soulagement que ressentent les élèves en difficulté dans un tel système. Néanmoins, cela n’entraîne absolument pas davantage de décrochage.
L’équipe pédagogique adhère-t-elle au dispositif ?
C’est l’équipe pédagogique qui se trouve peut-être la plus heurtée. Nous sommes très loin du consensus, que ce soit au sein de l’établissement ou plus généralement. Partant du principe de la liberté pédagogique et du fait que nous ne cherchons pas à convaincre mais plutôt à expérimenter objectivement, cela n’est finalement pas un problème, chacun est libre d’enseigner comme il le souhaite. En revanche, il faut reconnaître qu’il a été difficile de constituer une équipe qui accepte le dispositif, certains professeurs, seuls dans leur matière, ont même été fatalement désignés d’office sans conviction. L’adhésion de l’équipe est donc complexe, entre les collègues sincèrement curieux, d’autres qui intègrent le projet pour faire plaisir ou rendre service mais sans s’investir réellement, et ceux qui finalement se rétractent. Ces déboires sont inhérents à tout projet et nous encouragent à penser ce projet sur le long terme. Il est normal qu’il faille du temps à tous pour digérer un mode de fonctionnement aussi différent. En réalité, les conséquences des difficultés à fédérer sur ce projet jouent principalement sur le bilan que l’on peut tirer. Cela n’a pas d’incidence sur les élèves mais cela n’aide pas à voir les changements que cela entraîne sur eux. Cela est dû au fait que certains professeurs n’ont pas modifié leurs pratiques, continuent même à faire les évaluations qu’ils font avec les autres classes mais en ne donnant qu’une appréciation. Les conséquences sont donc minimes et nous sommes convaincus que l’adhésion de l’équipe se renforcera en prenant notre temps et en acceptant que le cap soit plus difficile à passer pour certains d’entre nous.
Quel bilan provisoire tirez-vous de cette classe coopérative ?
Le bilan ne peut être que partiel pour l’instant puisque la classe coopérative à évaluation continue est née l’année dernière. Des éléments observés au sein de l’équipe ressortent néanmoins.
Tout d’abord, le projet ne semble pas nuire aux élèves. Diverses objections, à raison, avaient été soulevées : les élèves vont-ils travailler s’il n’y a pas d’évaluation classique ? Les élèves vont-ils apprendre si on ne vérifie pas par un contrôle ? Les élèves vont-ils pouvoir s’adapter ensuite dans un système plus classique ? Ne vont-ils pas rejeter toute forme d’évaluation ? Force est de constater que nous ne rencontrons aucun de ces problèmes. Nous n’avons pas eu d’élèves décrocheurs qui auraient pu profiter du système pour ne vraiment rien faire. Certains élèves en difficulté ont bien progressé, d’autres non, il n’y a pas de miracle mais pas de catastrophe non plus. D’une manière générale, on observe une continuité dans la scolarité des élèves, c’est-à -dire peu d’impact, ce qui semble normal à l’échelle d’une année : les élèves en difficulté le restent, les élèves en réussite également, ceux qui arrivaient chez nous avec une attitude peu propice au travail rencontrent souvent encore des difficultés à intégrer le métier d’élève (problèmes de comportement en particulier). En revanche, il faut remarquer qu’aucun n’a eu de mal à repasser au système classique et ne se trouve en rupture avec la nouvelle organisation. Ils ont intégré les enjeux de l’évaluation en 5e. Les professeurs ne voient pas de différence entre les élèves issus de cette classe et les autres : je précise que les élèves ont été mélangés aux autres en 5e et qu’il ne reste donc « rien » en 5e de la classe.
D’autre part, les retours qui ont été faits par les élèves et les parents sont plutôt positifs. Il revient fréquemment que leur enfant a fortement progressé en autonomie, ce qui était un de nos objectifs, mais aussi qu’ils ont gagné en confiance en eux. Les parents ont apprécié finalement la bienveillance de cette classe.
Du côté des professeurs, l’inquiétude concernant la potentielle rébellion des élèves est donc levée. Comme ils sont tous séparés et mélangés aux autres, il me semble délicat de tirer des conclusions. Il aurait pu être intéressant de garder le même groupe classe afin de les observer plus facilement. Par ailleurs, un point a rencontré du succès auprès de l’équipe pédagogique : le conseil de classe inversé. Dès l’année dernière, les enseignants qui y ont participé ont trouvé que l’expérience était positive et ont apprécié le moment d’échange plus riche que le conseil de classe habituel. Cette année, nous envisageons donc de faire une formation à l’échelle de l’établissement sur ce point et c’est le seul qui semble pouvoir être étendu à l’ensemble des niveaux. En effet, fonctionner pour toutes les classes comme notre classe est inenvisageable pour les raisons évoquées plus haut notamment. À plus long terme, nous réfléchissons à expérimenter ainsi sur tout le niveau 6e, mais il y a encore un long chemin à parcourir pour y parvenir.
Malgré les limites évoquées, le bilan est pour nous très positif car il insuffle une réflexion au sein de notre établissement et apporte une nouvelle relation avec les élèves. Ces derniers sont très motivés et se sentent très bien au collège. On observe une relation de confiance avec l’adulte. En outre, dès le mois de novembre, on voit les progrès des élèves sur les compétences transversales. Lors des conseils de coopération, ils analysent déjà finement leur travail ou celui de la classe. Cela constitue pour nous déjà un très beau bilan.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Vade-mecum du cours de français