L’article intitulé “Échec scolaire : échec des dispositifs ?” rédigé par François Jarraud et publié dans le Café pédagogique le 1er octobre 2019 pose la question de l’efficacité des dispositifs mis en place pour lutter contre l’échec scolaire. La FNAREN (Fédération Nationale des Rééducateurs de l’Éducation Nationale) souhaite apporter sa contribution à la réflexion sur l’échec scolaire et les moyens d’y remédier. Ce sujet est régulièrement abordé dans de nombreux médias généralistes car il inquiète bon nombre d’entre nous : en premier lieu les élèves, mais aussi leurs parents et leurs enseignants. C’est pourquoi il semble primordial de faire un pas de côté et de choisir le recul réflexif indispensable pour tenter de mieux comprendre ce qui se joue actuellement autour de l’aide aux élèves afin que ces derniers restent toujours au centre de nos préoccupations.
Pour répondre à cette question portant sur l’efficacité des aides, l’éditorialiste cite à plusieurs reprises une note réalisée pour la FCPE par Céline Piquée, maître de conférences en Sciences de l’Éducation à l’université Rennes 2. Cette chercheuse dresse une liste des nombreux dispositifs mis en place au fil du temps pour lutter contre l’échec scolaire et affirme que « les effets sont nuls voire négatifs ».
Des aides extérieures à l’école
Il nous semble important de distinguer les différentes aides, non dans l’objectif de les hiérarchiser mais pour mieux comprendre le fonctionnement et les objectifs de chacune d’entre elles. Il ne nous paraît pas judicieux de mettre « dans le même sac » des dispositifs internes à l’Éducation nationale qui répondent à des politiques éducatives d’État et les autres. Céline Piquée nomme par exemple « l’aide aux devoirs hors école » sans plus de précisions. Il s’agit très souvent d’une aide apportée par des bénévoles, pas toujours formés, dans le cadre d’associations souvent subventionnées par les mairies ou les collectivités locales en général. Une participation financière est parfois demandée aux familles. L’objectif premier est avant tout un soutien éducatif, culturel et social apporté aux enfants : en conséquence, le taux de réussite aux évaluations PISA ne peut être un critère pertinent de la réussite ou non de ce travail. De la même manière, citer les orthophonistes au milieu de cette énumération crée de la confusion. En effet, ces derniers interviennent dans un cadre médical pour soigner des troubles du langage oral ou écrit. Les soins sont remboursés par la sécurité sociale. Si un enfant va consulter un orthophoniste, à cause d’un bégaiement par exemple, l’évaluation de la rééducation portera sur l’arrêt ou non du trouble et pas sur les compétences de l’enfant à résoudre un problème mathématique.
Cette référence à une aide relevant du soin est le symptôme d’une forme contemporaine de la médicalisation de la difficulté scolaire. Il faut lire à ce sujet l’ouvrage datant de 2014 intitulé La médicalisation de l’échec scolaire (aux Éditions La dispute) de Stanislas Morel, sociologue. Il explique que ce transfert de l’expertise en dehors de l’école, s’accompagne d’une dévalorisation des enseignants. Les parents inquiets de l’avenir scolaire de leurs enfants se tournent eux aussi vers les médecins qui se retrouvent ainsi qualifiés pour parler apprentissages et pédagogies.
D’autres personnes se positionnent aussi sur ce nouveau marché de l’échec et de la difficulté scolaire et proposent des ateliers de relaxation, yoga, sophrologie… Ces ateliers, souvent payants, animés par des personnes dont on ne connaît pas toujours la formation, se prévalent de permettre aux enfants de réussir leur scolarité et donc de limiter la difficulté scolaire grâce à une meilleure gestion du stress. Un exemple a été présenté le 20 octobre 2019 lors du journal télévisé de France 2 qui proposait un sujet sur les bienfaits de la méditation et son impact sur la réussite scolaire des élèves. La méditation solution d’avenir contre l’échec scolaire ? Elle participe au bien-être de l’enfant certes, mais peut-elle aller au-delà ?
A ce rythme, en osant la caricature, les fabricants de matelas pourront bientôt expliquer qu’ils luttent contre l’échec scolaire en permettant aux enfants de passer de meilleures nuits et donc d’être plus disponibles en classe… Il faut aussi garder à l’esprit que l’élève est devenu une cible pour les entreprises qui surfent parfois sur cette peur de l’échec scolaire qui affecte désormais tout le monde.
Des aides au sein de l’école : l’exemple des RASED ou la force d’un réseau
A l’intérieur des murs, des dispositifs sont mis en place parfois dans la précipitation sans concertation avec les acteurs du terrain. ( APC, Stages de remise à niveau..) Le RASED, quant à lui, est un dispositif beaucoup plus ancien : depuis sa création en 1990, un outil précieux dans l’accompagnement des enfants qui rencontrent des difficultés importantes à devenir « élèves”. Les fondements philosophiques du RASED sont en lien avec la notion de complexité chère à Edgar Morin qui est d’ailleurs membre du Comité scientifique de la FNAREN. L’institution, en créant ce dispositif, estimait que devenir un élève n’allait pas de soi, que la difficulté scolaire n’était pas forcément pathologique et qu’il était nécessaire de diversifier les approches pour permettre « une meilleure efficience dans les activités proposées en classe et dans les apprentissages » (extrait de la circulaire n°2002-113 du 30-4-2002). Le RASED était pensé comme égalitaire puisque chaque école pouvait bénéficier de son intervention.
Aujourd’hui, l’aide proposée par les membres du RASED s’inscrit encore dans le service public d’éducation, est gratuite et se déroule toujours sur le temps scolaire. Elle répond à une double contrainte : celle d’individualiser les apprentissages pour tenir compte des besoins de chacun tout en parvenant à inclure chaque élève au sein d’un groupe classe. En effet, les enseignants spécialisés et les psychologues de l’Éducation nationale travaillent de manière individuelle ou en petit groupe avec des élèves en difficulté mais aussi parfois avec le groupe classe dans le cadre des missions de prévention.
Céline Piquée écrit que « l’efficacité des RASED est mise en cause régulièrement selon un cycle politique. » Elle cite le rapport de l’IREDU qui juge l’action du réseau stigmatisante et peu efficiente. Ces critiques ne semblent pas réellement fondées. Il est reproché aux membres du RASED de sortir les élèves de la classe, ce qui participerait à un effet d’étiquetage. Or, si les enfants quittent pour une courte période le groupe, c’est parce qu’ils ne parviennent pas à s’y inscrire dans la durée. Par ailleurs, il s’agit d’une décision collégiale puisque l’enseignant(e), la famille, le RASED les autorisent à s’extraire provisoirement du groupe pour mieux y revenir. Cette aide a donc du SENS et ne peut étiqueter l’élève qui est autorisé à bénéficier d’une aide particulière. De plus, si l’on redoute la stigmatisation, il serait cohérent de se questionner sur la présence d’ AVS et d’ AESH auprès d’enfants dans les classes. Présences qui soulignent la différence de certains élèves. Dans ce cas, la stigmatisation souvent mise en avant pour disqualifier les aides RASED ne semble choquer personne. En ce qui concerne l’effet Pygmalion qui s’appliquerait là encore de manière négative sur le RASED, il n’existerait plus quand les enseignant(e)s prennent connaissance et transmettent aux parents les résultats des évaluations nationales normatives de début CP qui classent les élèves en fonction de leurs résultats dans des groupes ?
Depuis 2008, les emplois implantés dans les RASED sont en forte baisse : 4 876 postes en moins à la rentrée 2012 (selon le rapport de la cour des comptes), ce qui a des conséquences sur le terrain : moins de prise en charge des élèves, peu ou pas de prévention, des écoles où le RASED n’intervient plus, une explosion des listes d’attente dans les CMPP et de demandes de reconnaissance de troubles dans les MDPH.
Malgré tout, le RASED, dispositif intégré dans l’école, est toujours bien repéré par la communauté éducative et reste un rempart contre l’externalisation des aides que dénonce Céline Piquée. En 2008, la FCPE lors de son congrès d’Épinal disait déjà la même chose dans sa déclaration solennelle : « La FCPE dénonce depuis plusieurs années la diminution des moyens en personnels formés et en crédits de fonctionnement des RASED prévus pour le soutien et la remédiation (…) Le désengagement de l’État démantèle les structures d’aide et de soutien internes à l’Éducation Nationale. » S’il n’est pas un remède miracle à la difficulté scolaire, il n’en existe pas, il permet une meilleure compréhension de chaque situation, un pas de côté qui remet souvent du « jeu » du mouvement possible indispensable à tout changement, de (re)donner de la confiance à chacun, dans sa posture d’élève, d’enseignant et de parent.
Comme François Jarraud, la FNAREN pense qu’il est indispensable d’écouter les professeurs, de réfléchir à l’amélioration de leur formation et de leurs conditions de travail car ce sont eux qui enseignent. Ce serait une erreur de les laisser seuls dans leurs classes face à des difficultés multiples qui sont aussi celles de notre société. Nous avons vu que ce n’est pas en multipliant les aides que la situation s’améliore. Il s’agit de ne pas tout mélanger car sinon on prend le risque de tout confondre. Aider un élève en difficulté scolaire n’est pas un acte neutre. Le soutien doit s’inscrire dans un cadre, avoir du sens et être assuré par des professionnels possédant des compétences mais aussi des savoirs, conditions indispensables pour adopter la bonne posture et ne pas se contenter d’appliquer des protocoles. Le RASED, grâce à ses fondements théoriques, à son travail relationnel auprès des familles, peut jouer un rôle dans la lutte contre l’échec scolaire à condition qu’on lui en donne les moyens. Dispositif à la marge de l’école, il est, à mon sens, indispensable car comme le disait Jean Luc Godard « …la marge, c’est ce qui permet aux pages de tenir ensemble. »
Le Bureau national de la FNAREN