Raphaël Koné est professeur d’histoire et formateur en centre de formation professionnelle dans les Yvelines. Il est depuis 2018 doctorant chercheur sur les processus d’apprentissage, en didactique professionnelle au Laboratoire Bonheurs à l’Université de Cergy Pontoise. Il travaille sur la formation des jeunes apprentis soudeurs de Dédougou au Burkina Faso. Il se demande s’il faut voir une complémentarité ou une opposition entre la salle de classe et l’atelier ?
L’école et l’atelier sont des lieux de formation. Y apprend-on de la même manière ?
L’apprentissage est un jeu de négociation et de diplomatie. C’est la combinaison de plusieurs éléments qui vont concourir à la réussite ou à l’échec du processus de formation. Parmi ces éléments à prendre en compte, nous avons entre autres l’état psychique et physique des acteurs, le facteur temps et surtout le cadre dans lequel s’effectue la formation, c’est-à-dire le lieu d’apprentissage. Pastré dit d’ailleurs que chaque lieu est un espace probable d’apprentissage dès lors qu’il y a une activité. Aussi, le lieu choisi peut avoir une incidence sur le processus de formation. En effet, un espace ouvert et accueillant peut avoir un effet entrainant et motivant, au contraire de l’espace fermé qui peut produire un effet repoussoir. Pour bon nombres d’apprenants, les murs symbolisent l’enfermement. Comment susciter alors l’attrait pour un tel endroit ? Il me semble que la formation est différente selon le cadre dans lequel l’on évolue. Il n’est pas rare d’entendre des apprentis dire que la classe est théorique et en enfermant alors que l’atelier est plus concret et plus dynamique.
Quel dispositif(s) avez-vous conçu(s) ? Dans quel objectif ?
Afin de susciter l’intérêt et la curiosité des apprenants, j’ai fait aménager deux salles de formation dans le but de mettre en mouvement les jeunes que j’accompagne. Il faut dire que le cadre s’y prête. Pour nos activités, nous avons décidé d’appeler ces séances « la classe en mouvement ». En fonction des thèmes étudiés, les élèves en petits groupes sont amenés à collaborer, à se déplacer, à se mouvoir. Cela attenue le sentiment d’enfermement. Être assis et visionner des documents demande de la concentration et souvent donne le sentiment d’être surveillé. En effet, pour beaucoup de jeunes en situation d’apprentissage, l’école et à travers elle, la classe, c’est l’enfermement, ce sont les quatre murs, les règles à respecter, le face à face avec l’adulte, le contenu souvent théorique de la formation…
Se mouvoir donne le sentiment de liberté à l’apprenant. Je pense aussi que l’entrée du jeu à l’école rompt un peu avec la monotonie de la classe. Pour moi, le jeu est un support et un artefact intéressant. Je m’en sers beaucoup car c’est un facilitateur dans les apprentissages. Toutefois, il faut noter que l’organisation d’activités complémentaires (jeux, théâtre…) peut poser problème. En effet, la mise en place des jeux demande souvent un plus grand espace et peut mobiliser un ou des formateurs supplémentaires. En thème de résultats, les apprenants apprécient et s’en réjouissent.
En plus des jeux, le troisième levier dont je me sers souvent est le contrat de « découverte des métiers ». Il s’agit de contrat d’immersion en entreprise pendant deux ou trois semaines. Cette immersion permet à la fois de changer de cadre mais aussi de découvrir le monde « réel » du travail. Cette phase de découverte confirme ou infirme des projets en construction.
Vous avez travaillé sur les apprentis soudeurs de Dédougou au Burkina Faso. Qu’en avez-vous appris ?
Dans le cadre de mes recherches, je me suis intéressé à des ateliers de soudure au Burkina Faso. La soudure est un métier atypique, en ce sens qu’il nécessite une poly-compétence, c’est-à-dire que le professionnel est à la fois soudeur, chaudronnier et ferronnier. Le métier couvre plusieurs domaines d’activité de la vie quotidienne. Cela va de la construction des bâtiments, à la réparation d’engins mécaniques en passant par la fabrication de cantines, de seaux, d’outillages nécessaires à la vie de tous les jours. Devenir soudeur ou chaudronnier, c’est avoir un rôle social, c’est être utile aux autres, être utile à soi et sa famille. Le travail ici donne un sens à la vie et une utilité sociale. Ce sentiment crée une émulation et favorise un apprentissage heureux.
La formation ici se fait dans un cadre que d’aucuns diront informel. C’est un informel bien organisé. Je dirai même que la journée est si bien organisée qu’elle est ritualisée. Cela va de l’ouverture de l’atelier le matin à la fermeture le soir en passant par les prises de nouvelles des familles, les pauses café ou thé selon, ou encore les longues causeries avec les clients…
Le poids et les contraintes du temps sont moindres.
Le plus souvent, pour les jeunes qui entrent en formation d’apprentis soudeurs, la formation s’apparente à l’école de la dernière chance. C’est une occasion à ne pas rater. Se former devient un défi pour soi et pour la famille. Ce challenge augmente la motivation. En outre, à la fin de leur parcours, ils sont certains de s’installer à leur compte ou à défaut d’avoir un emploi salarié. Néanmoins, il peut arriver que la formation se passe moins bien en raison de la cohabitation difficile entre le tuteur et l’apprenti. Dans tous les cas, on peut noter que l’apprenti s’accroche, il persévère, il y met du cœur et de la joie, malgré les difficultés rencontrées.
Comme le dit Clot (2015), « l’activité comme praxis est bien une pratique sociale de construction et de transformation d’un monde commun ». L’atelier est non seulement le lieu de formation et des apprentissages, mais c’est également un lieu de convivialité et de rituels. À partir de là, être heureux en formation, peut être conditionné à plusieurs éléments à prendre en compte. Ce sont en apparence de petites choses : l’attention des collègues, un sourire, un bonjour, une oreille attentive, la liberté de se mouvoir, un formateur bienveillant, un apprentissage dynamique, de petits rituels (pause-café …). Comme quoi, souvent, il faut peu chose pour être heureux, que l’apprenant soit en classe ou en atelier.
Propos recueillis par Béatrice Mabilon-Bonfils
Directrice du laboratoire BONHEURS
(Bien-être, Organisations, Numérique, Habitabilité, Education, Universalité, Relation, Savoirs) Université de Cergy-Pontoise