Les enseignants sont-ils toujours les « hussards noirs » de la République laïque ? Et l’Ecole a-t-elle encore besoin de tels hussards? L’enquête réalisée par le Cnesco apporte de bonnes nouvelles. Contrairement aux « agitateurs d’angoisse » sur la laïcité, les élèves partagent à 90% les valeurs de la laïcité et les enseignants à 100%. Et l’enquête prouve que c’est le résultat du travail effectué par les enseignants. Le problème de l’Ecole française est plutôt dans la préparation des jeunes à vivre dans une société pluriculturelle. Le Cnesco demande une évolution de l’éducation civique vers une ouverture au vivre ensemble religieux. Prenant à contre pied les propos alarmistes du ministre et d’un lobby influent au ministère depuis le rapport Obin, cette enquête ne manquera pas de susciter le débat.
Le Cnesco renait
On s’interroge beaucoup sur la solidité des engagements pris par JM Blanquer notamment sur le chapitre retraites. Alors notons que l’engagement qu’il avait pris devant le parlement de continuer à faire vivre le Cnesco a été tenu. Certes, depuis la loi Blanquer, le Cnesco n’est plus une institution. Il est devenu un centre d’étude, doté d’une chaire au Cnam et d’une équipe, comme le ministre s’y était engagé. Le 28 janvier, pour la première présentation de travaux du nouveau Cnesco, Nathalie Mons manifestait son plaisir. Le Cnesco a des moyens de fonctionnement. Il continuera à amener de l’information et des débats dans le champ des politiques publiques d’éducation. Il annonce en novembre un travail sur la formation continue, puis un rapport sur le numérique et les apprentissages et une conférence de consensus en 2021-2022 sur l’évaluation des élèves dans la classe.
Une enquête importante
Pour sa renaissance, le Cnesco s’empare d’un dossier particulièrement vif dans le système éducatif et particulièrement délicat, celui de la laïcité. Vif parce que, depuis le rapport Obin en 2005, tout un courant présent dans l’institution scolaire s’est focalisé sur l’islam plus que sur la laïcité. Et les circulaires et les chartes pleuvent. Il y a eu la loi interdisant les signes religieux ostensibles en 2005, la charte de la laïcité en 2013, la mobilisation pour les valeurs de la République en 2015 puis un conseil des sages en 2018. Délicat car il y a une conception française de la laïcité qui est assez unique. En France l’Etat et l’Eglise sont séparés mais l’Etat entretient les lieux de culte chrétiens et les écoles catholiques. Et il a oublié de se séparer sur une partie du territoire national. Cela rend les comparaisons avec nos voisins européens difficiles, d’autant, on le verra, que le système éducatif met plus l’accent sur l’enseignement des règles laïques françaises que sur la connaissance des autres pays.
Le Cnesco s’appuie sur une enquête particulièrement riche. 16 000 élèves de 3ème et terminale ont été interrogés ainsi que 500 professeurs d’EMC et 350 chefs d’établissement. Les questions portant sur la laïcité sont noyées dans d’autres questions de façon à ne pas orienter les réponses.
Très forte adhésion des jeunes à la laïcité
Le principal enseignement de cette enquête c’est la très forte adhésion des élèves à la laïcité. Ainsi 90% des élève set 100% des professeurs et personnels de direction trouvent importants qu’à l’école les élèves soient tolérants entre eux quelques soient leurs croyances et que les enseignants respectent tous les élèves. 67% des élèves et 90% des professeurs estiment qu’un enseignant n’a pas à évoquer ses croyances en classe.
Les élèves sont aussi majoritairement contre l’influence religieuse dans la société. 90% des élèves de terminale sont contre l’idée que les responsables religieux devraient avoir davantage de pouvoir et 83% estiment que les règles religieuses sont moins importantes que les lois de la République.
Il reste des points d’achoppement. Ainsi deux élèves sur trois jugent qu’on doit pouvoir s’absenter pou rune fête religieuse alors que seulement 40% des enseignants et personnels de direction sont d’accord.
L’impact des cours d’EMC
Et qui est particulièrement intéressant dans l’enquête du Cnesco c’est que son échantillon est tellement important qu’on peut aller au delà pour voir ce qui divise les élèves et les établissements.
Cela permet au Cnesco de faire une belle découverte : » Plus les connaissances civiques des élèves augmentent (à caractéristiques équivalentes : filles comme garçons, favorisés comme défavorisés, immigrés ou non, en éducation prioritaire ou non…), plus ils ont tendance à considérer comme important le respect de la religion de chacun ainsi que la libre expression de leur religion par les élèves » dans l’école. L’EMC a donc un impact bien réel. Ainsi 42% des élèves de 3èem ayant de faibles connaissances civiques estiment que les règles religieuses doivent primer sur les lois contre 12% des élèves ayant de très bonnes connaissance.
La participation à un mouvement religieux ne change pas grand chose sur la laïcité dans l’école mais ces jeunes considèrent plus souvent que les règles religieuses sont plus importantes que les lois. Le fait d’être d’origine immigrée a aussi peu d’importance.
« Le lien entre l’environnement familial des élèves et leur vision de la place de la religion dans l’enceinte scolaire est faible pour les élèves de 3e et légèrement plus élevé pour les élèves de terminale, tant pour les élèves défavorisés que pour les élèves favorisés (comparativement à ceux ayant un environnement familial intermédiaire). Cependant, ce lien est plus intense concernant le regard qu’ils portent sur la religion dans la société, notamment pour les élèves issus de milieu favorisé et particulièrement au collège », note le Cnesco. » Les élèves défavorisés sont plus souvent d’accord avec le fait que les règles prescrites par la religion sont plus importantes que les lois de la République et en 3e, ils ont moins tendance à considérer que la neutralité et l’indépendance de l’État vis-à-vis des religions favorisent la démocratie ».
Mais des différences entre établissements
Ainsi on ne sera pas surpris que l’enquête montre des différences entre établissements dans un système aussi ségrégatif que notre système scolaire. » Les élèves scolarisés dans un collège privé considèrent plus souvent qu’il est important que les élèves puissent exprimer leurs croyances ou non-croyances tant qu’ils respectent l’opinion des autres, que les élèves puissent être autorisés à s’absenter pour une fête religieuse », note le Cnesco. En dehors de l’école, « le fait d’être scolarisé dans le secteur privé n’est pas un élément déterminant hormis concernant les règles de vie prescrites par la religion ».
Ce que montre très bien l’enquête c’est l’impact du type d’établissement. Ainsi 98% des professeurs d’EMC estiment qu’il n’y a pas de problème de remise en cause de leur enseignement pour des motifs religieux. Mais 15% des professeurs d’EMC en Rep et 5% en Rep+ signalent des problèmes. Les lycées professionnels ne sont pas eux aussi favorables à la laïcité note le Cnesco. Dans ces deux cas, Rep et LP, le Cnesco estime que c’est le résultat de la ségrégation sociale et scolaire. Ces établissements concentrent les catégories d’élèves les plus à risque de ne pas connaitre ou ne pas respecter les principes de laïcité.
La nécessité d’ouvrir culturellement l’Ecole
« Globalement on a l’impression que l’Ecole inculque les principes de la laïcité », nous a dit Barbara Fouquet-Chauprade qui a dirigé l’étude. « C’est un panorama pacifié ». Nathalie Mons souligne la sécularisation de la société française par rapport à ses voisines et le fait que les jeunes soient en 1ère ligne dans ce phénomène. Les jeunes respectent la laïcité à l’école même s’ils sont moins stricts pour la vie privée hors école.
C’est ce qui amène le Cnesco à faire des préconisations. Pour N Mons il faudrait introduire dans l’EMC un cadre de compétences sociales correspondant au fait de vivre dans une société pluraliste comme cela se pratique chez nos voisins comme les Pays Bas ou l’Angleterre. « Il faut une réflexion sur l’école qui réussit la laïcité dans l’enceinte de l’école mais moins en dehors.Il faut ouvrir l’école sur la société civile dans le cadre de projets citoyens ». Pour cela il faut développer la formation continue des enseignants. Et aussi développer la mixité sociale à l’école aussi pour empêcher les établissements à problèmes.
Ces préconisations prennent le contre pied des orientations ministérielles. Ainsi JM Blanquer juge « regrettable » le voile des accompagnatrices scolaires. En 2012, il avait signé comme Dgesco une circulaire interdisant les accompagnatrices voilées, mesure écartée par un avis du Conseil d’Etat de 2013. En décembre 2017, le jeune ministre déclare sur RTL que les accompagnatrices voilées ne doivent pas être acceptées par les directeurs d’école. Une déclaration non suivie d’effets. La question revient dans le débat sur la loi Blanquer avec un vote du Sénat interdisant les accompagnatrices voilées. Cet article est retiré du texte définitif. Mais le ministre fustige les parents des petits garçons de maternelle qui refuseraient de prendre la main des filles pour des raisons religieuses et, en dépit des statistiques, des petites filles qui seraient non scolarisées pour des raisons religieuses.
Face à ce angoisses, le rapport du Cnesco apporte des données claires. Il n’y a pas de problème grave de laïcité dans les établissements. Ceux ci savent gérer les problèmes quand ils arrivent. Il y a par contre des progrès à faire pour enseigner la laïcité et ouvrir au monde dans des établissements ségrégés.
FRançois Jarraud