Les journées ordinaires de l’Education nationale sont devenues des journées extraordinaires. Chaque jour apporte son lot d’événement tous incroyables, des faits qu’on n’aurait pas imaginer il y a seulement quelques mois. Alors que le refus du nouveau bac s’ajoute à celui de la réforme des retraites, se profile déjà une troisième crise. On en arrive à un état de désordre dans l’institution scolaire qui signe la faillite d’un ministère ?
Impréparation
On se rappelle les mots du député P Hetzel adressés à JM Blanquer le 21 janvier à l’Assemblée à propos des épreuves de controle continu du nouveau bac. « Au stress habituel lié au passage d’épreuves, il serait bon de ne pas ajouter, à chaque étape de leur parcours (des élèves NDLR), l’angoisse créée par les blocages, les rétentions de notes ou encore les reports d’épreuves. Vous avez la responsabilité de la bonne organisation du service public de l’éducation nationale : les lycéens n’ont pas à être sacrifiés au gré de votre impréparation ! »
Des élèves refusent les épreuves
Or chaque journée apporte de nouveaux incidents, une détérioration de la situation. Regardons celle du 27 janvier en ne prenant que quelques faits rapportés par la presse régionale. A nouveau les épreuves du bac sont perturbées un peu partout et certaines reportées, comme, par exemple, aux lycées de Bourg en Bresse ou au lycée La Martinière de Lyon ou encore à Sète.
Le ministre accusait des professeurs radicalisés. Mais à Landerneau, comme à Lillebonne, Sète, et encore à bien d’autres endroits, ce sont des élèves qui refusent de passer les épreuves. Le ministre, semble t-il, ne croise que des lycéens qui apprécient sa réforme. C’est miraculeux. Car à Landerneau, par exemple, selon le quotidien pas radicalisé Le Télégramme, une quarantaine d’élèves de STMG sur 80 ont refusé de passer l’épreuve de maths. Ils réclament le retour de l’ancien bac. « C’est une question d’équité. Que tous les candidats aient les mêmes chances »; disent ils au Télégramme. Ce sont les mêmes sujets qui sont donnés en STMG et dans la série générale.
Désordre dans les épreuves
Mais la désorganisation touche d’autres domaines. Comme de très nombreux enseignants font la grève des surveillances, les établissements font appel à des personnels administratifs ou à des surveillants. Cela génère des erreurs dans la transmission des sujets. Par exemple dans plusieurs lycées les élèves n’ont pas eu les vidéos liées au sujet de langue. Les syndicats dénoncent aussi des questions de sécurité : nombre de surveillants insuffisant, portes fermées à clé et alarmes débranchées par peur des intrusions etc.
Désordres dans les sujets
Parlons des sujets. A Cholet, des élèves de STMG ont eu des sujets portant sur des chapitres non étudiés en classe (en l’occurrence les espaces ruraux en histoire-géographie). Ils ne sont pas les premiers, cela arrive chaque jour. Les enseignants ayant largement refusé de choisir les sujets, ce sont les inspecteurs qui font le choix. Or ils n’ont pas toujours toutes les informations pour le faire.
A Béthune l’épreuve d’histoire géo a du être reportée par le proviseur suite à une fuite de sujet, selon L’avenir de l’Artois. Mais c’est un secret de Polichinelle que de dire que les sujets des épreuves de controle continu se trouvent très facilement sur internet. Les élèves ont ouvert plusieurs sites proposant des banques de sujets très bien classées. Au total cela fait certes de nombreux sujets. Mais en ce début d’année, seuls quelques chapitres ont été vus par les élèves. Il leur est donc facile de réviser les quelques sujets correspondant au programme qu’ils ont suivi (en espérant que l’inspecteur ne se soit pas trompé…).
Surenchères
Ce 27 janvier encore, les forces de l’ordre ont souvent été appelées devant les lycées. Sur instructions rectorales, il semble que l’appel à la police soit devenu systématique avec les risques que cela comporte. Parfois cet appel génère un blocage comme à Paris. Peut-être aussi sur consigne rectorale, un nouveau moyen de pression est utilisé sur les élèves. Les établissements envoient des SMS menaçants les élèves qui ne se sont pas présentés aux E3C d’un zéro. Cela s’est passé par exemple le 27 à Sète. On ne reviendra pas sur les menaces de poursuites disciplinaires voire judiciaires adressées aux enseignants à Montbrison ou à Clermont par exemple.
Dimension nationale
On nous dira que ces quelques exemples sont exceptionnels. Mais non. Un relevé syndical nominatif et circonstancié mentionne près de 300 lycées perturbés sur 400 établissements organisant des épreuves d’E3C la semaine dernière, avec une centaine de reports d’épreuves. Ce relevé est peut-être exagéré. Mais la presse quotidienne régionale est remplie chaque jour de nouveaux cas. Et on sait que certains chefs d’établissement ont jugé sage de remettre à plus tard les épreuves.
Une nouvelle crise arrive
Or ce n’est pas fini. Maintenant arrivent un autre motif de trouble qui relève de la gestion ministérielle. Le ministère supprime près d’un millier de postes à la rentrée dans le second degré. Cela se traduit dans de nombreux établissements par des enseignants en moins. Comme on attend aussi 30 000 jeunes de plus dans le second degré, partout la rentrée va se faire avec des classes très chargées. Les dotations horaires commencent à être communiquées dans les établissements. Pour les enseignants qui jusque là n’ont pas participé aux grèves, c’est dur à encaisser. Chaque jour des établissements se mobilisent pour ce motif, le 27 par exemple à Dieppe.
Une crise sans précédent
Finalement, tous les acteurs des communautés éducatives participent maintenant à ces désordres : administratifs, enseignants, élèves, chefs d’établissement, recteurs. Chacun joue sa partition de plus en plus fort.
Tous les verrous ont sauté. Le bac qui était sacré, sur lequel pesait un tabou qu’aucune crise sociale jusqu’en 2019 n’avait touché, est devenu maintenant un outil d’affrontement ordinaire. Il faut bien comprendre que ce qui se passe en ce moment autour du bac n’a pas de précédent.
Qui pourrait arrêter cela ? Normalement c’est au ministre de siffler la fin de partie en trouvant une issue. Mais que lui reste-il de crédibilité auprès de ses personnels notamment après les derniers épisodes de la loi retraites ? Il n’aura fallu que deux années et demi de ministère pour arriver à cette situation, sans précédent.
François Jarraud
Quelques faits du jour