« Travailler de cette façon permet aux élèves de comprendre l’histoire autrement que ce qu’apportent les manuels ». Professeure d’histoire-géographie au lycée Aimé Césaire de Clisson (44), Riselaine Chapel a fait travailler ses élèves de 1ère sur deux enfants cachées juives, Fanny et Cécile Rajngewic. Une initiation à l’histoire qui a mené ses élèves à Paris puis à Auschwitz et finalement à la rencontre de Cécile, déclarée disparue. Un vrai travail d’historien qui ancre la Shoah dans le cadre quotidien des élèves.
Vous abordez la Shoah sous l’angle de l’histoire personnelle, de la micro-histoire. Pourquoi ce choix ?
Je l’aborde aussi sous l’angle de l’histoire locale, celle de la Vendée limitrophe à Clisson. Le projet a existé parce qu’il a été soutenu par une aide régionale. Passer par l’histoire de la famille Rajngewic donne des apsects concrets aux élèves. Ils découvrent la vie des victimes avant qu’elles soient victimes. C’est la vie de gens qui ont un métier, qui vivent dans un quartier parisien où ils sont intégrés, qui voyagent et viennent en Vendée. C’est une histoire incarnée. Car la Shoah c’est pas 6 millions de personnes. C’est 1 +1 +1 +1.
Travailler de cette façon permet aux élèves de comprendre l’histoire autrement que ce qu’apportent les manuels. En partant de la vie de la famille, des archives, des listes de convois de déportation, les élèves se rendent compte de la mise en place du processus d’exclusion jusqu’à l’organisation de la déportation. On peut parler de la façon dont les villageois de Vouvant n’ont rien dit de 1940 à 1944 alors que tout le monde connaissait ces deux soeurs. Il faut aussi montrer cela aux élèves.
Les élèves ont travaillé de quelle façon ?
Un livre d’histoire locale cite les deux soeurs Rajngewic et j’ai proposé aux élèves d’enquêter sur ce qu’elles étaient devenues. Ils se sont tout de suite rendu sur Internet pour trouver finalement des récits contradictoires : dates d’arrestation et de de déportation différentes, numéros de convoi différents. On trouve sur plusieurs sites que Cécile Rajngewic est morte alors qu’on aura la surprise de découvrir qu’elle vit. C’est une prise de conscience du manque de fiabilité d’Internet qui est intéressante pour ces jeunes.
Il faut donc consulter les documents des archives. Les archives de Vendée ont mis à ma disposition un important dossier documentaire. Ils ont eu la liste des rafles en Vendée et ont revécu l’évolution des arrestations. Ils prennent conscience du travail d’historien où il faut lire beaucoup de documents avant de trouver des informations. Là il faut attendre le 31 janvier 1944 pour voir le nom des 2 jeunes filles dans les listes.
Puisqu’elles sont envoyées à Poitiers il faut suivre leur trace, grâce aux archives de la Vienne. Là on a les convois vers Drancy. Et ça nous mène aux archives du Mémorial de la Shoah avec la découverte des premières photos des deux jeunes filles et leur fiche de Drancy. Ils découvrent qu’il y a des témoignages vidéo, notamment grâce à la fondation Spielberg. Pour voir ces témoignages il faut faire le voyage au Mémorial. Et c’est un grand moment pour les élèves. Cela nous mènera au voyage à Auschwitz où ils trouveront aussi des réponses à leurs questions. Ils découvrent ainsi ce qu’est le métier d’historien : l’importance de questionner et vérifier.
Les élèves font revivre cette démarche dans le livre magnifique qu’ils ont réalisé. Dans les documents d’archive il y a les PV d’arrestation des deux fillettes. Ca fait quoi aux élèves de voir que l’état français poursuit ses citoyens pour les envoyer à la mort ?
Ce qui a fait le plus réagir les élèves c’est de lire les noms de lieux familiers. POur eux les rafles c’était Paris. La rafle du 31 janvier 1944 pour eux c’était la rafle du Vel d’hiv. Ils se rendent compte que la Shoah s’est passée aussi en Vendée dans leur univers quotidien. Ce qui les a choqué aussi c’est l’heure de l’arrestation des deux jeunes filles : 5 heures du matin. A 5 h du matin trois gendarmes se sont déplacés pour deux enfants. Ils découvrent aussi que la famille avait été prévenue par le maire. Lequel tenait peut-être l’information des gendarmes.
Quand on travaille de cette façon comment fait-on face à l’émotion ?
Etre dans une enquête rigoureuse permet de mettre l’émotion de coté parfois. On analyse un processus. Mais il y a évidemment des moments particuliers comme quand nous avosn été contactés par Cécile que l’on croyait morte. La classe pleurait.
Vous avez travaillé avec le professeur de français Anne Richard. Qu’est ce que ca apporte au travail d’histoire ?
C’est passionnant de travailler ainsi car Anne apporte une culture que je n’ai pas. Elle fait un choix de lectures qui est une autre approche. La littérature peut apporter une autre compréhension dont on ne s’empare pas toujours en histoire. C’est un autre outils pour les élèves. Et pour eux voir que le projet leur sert pour l’oral de français est une motivation.
Qu’avez vous appris dans ce projet ?
J’ai appris qu’il faut faire confiance aux élèves. Quand on leur propose un vrai projet où ils peuvent s’impliquer vraiment, comme ce livre numérique qu’ils ont réalisé, ils s’impliquent jusqu’au bout avec leurs qualités. L’élève qui a pris les photos a fait ensuite des études de photographie et ses photo, reprises par Ouest Frace, sont dans son book. Les élèves qui ont dessiné dans le livre numérique font des études de graphisme. En s’engageant comme cela dans ce projet ils se sont engagés contre l’intolérance et c’était mon but.
Propos recueillis par François Jarraud