Dans une lettre envoyée aux syndicats le 11 janvier, le premier ministre propose de retirer l’âge pivot pour la retraite sur les années 2022-2027. Après un mois de conflit et 4 journées de grève nationales, cette concession d’un gouvernement qui n’en voulait aucune, permet à certains syndicats de sortir du conflit. Sur le fond elle ne change rien à la réforme définie par le gouvernement si ce n’est que les syndicats pourraient porter le chapeau de mesures immédiatement impopulaires. Pour les enseignants, mobilisés sur d’autres thèmes que l’âge pivot, la manoeuvre gouvernementale, si elle réussit, risque de les isoler alors qu’ils sont ceux qui ont le plus à perdre avec cette réforme.
La lettre d’E Philippe
Dans un courrier envoyé le 11 janvier aux syndicats, E Philippe propose de revenir sur l’âge pivot pour les années 2022-2027. Mais il entoure ce retrait de conditions draconiennes. « je suis disposé à retirer du projet de loi la mesure de court terme que j’avais proposée consistant à converger progressivement à partir de 2022 vers u âge d’équilibre de 64 ans en 2027 », écrit E Philippe. « Le gouvernement modifiera leprojet de loi pour demander au parlement une habilitation large lui permettant de prendre par ordonnance toute mesure permettant d’assurer l’équilibre du système e retraite à l’horizon 2027… Les mesures destinées à rétablir l’équilibre ne devront entrainer ni baisse des pensions… ni hausse du coût du travail pour assurer la compétitivité de notre économie ». Le premier ministre précise aussi que « le projet de loi prévoira que le futur système universel comporte un âge d’équilibre ».
En clair, la notion d’âge d’équilibre avec malus et bonus, calculé automatiquement comme principal outil pour assurer l’équilibre du système de retraite est maintenu après 2027.Le seul changement concerne les années d’entrée dans le nouveau système entre 2022 et 2027.
Pour ces années 2022-2027, les syndicats pourront proposer un système assurant l’équilibre à condition de ne pas augmenter les cotisations patronales et de ne pas diminuer le montant des pensions. Dans ces conditions, pour assurer l’équilibre ce sont les syndicats eux-mêmes, s’ils arrivent à se mettre d’accord, qui seraient amenés à définir un nouvel âge pivot et qui en assumeraient l’impopularité. A défaut d’accord, le gouvernement pourra faire ce qu’il veut par ordonnance.
Une victoire ou un piège ?
D’une certaine façon, ce courrier marque une victoire pour les syndicats : ce gouvernement qui n’entend rien et qui les ignore depuis plus d’un mois, leur a finalement ouvert une lucarne. Mais on mesure que rien n’est changé sur le fond de son projet et que cette lucarne est aussi un piège. Au passage, le gouvernement en demandant des ordonnances s’affranchit aussi d’un douloureux débat interne à l’Assemblée au sein de LREM…
La porte à peine ouverte, la CFDT et l’Unsa se sont félicités. « L’UNSA avait fait du retrait de cette mesure une condition indispensable… C’est une avancée majeure, à mettre à l’actif de la mobilisation et de l’action de l’UNSA. Les échanges peuvent enfin démarrer. L’équilibre financier, dès 2027 et à long terme, de notre régime de retraites est indispensable. La future conférence de financement doit y concourir et permettre de trouver rapidement un accord », écrit l’Unsa. « La CFDT a pris connaissance du courrier envoyé aujourd’hui par le Premier ministre. Elle salue le retrait de l’âge pivot du projet de loi, retrait qui marque la volonté de compromis du gouvernement. Dans cet esprit, la CFDT va poursuivre les discussions dans le cadre proposé pour répondre aux interrogations qui demeurent sur le futur régime universel.
La CFDT s’engage pour porter ses revendications : meilleure prise en compte de la pénibilité, de la situation des femmes, sécurisation des transitions, notamment dans la fonction publique, amélioration du minimum contributif, développement de la retraite progressive et amélioration des fins de carrière », répond la Cfdt.
L’intersyndicale (CFE-CGC, CGT, FO, FSU, Solidaires, UNEF, UNL, MNL) qui porte la contestation du projet depuis un mois, n’a pas saisi la porte de sortie ouverte par E Philippe. « Non seulement l’âge pivot n’est pas retiré mais en plus le Premier ministre confirme sa détermination à reculer l’âge de départ à la retraite en refusant toute augmentation de cotisation sociale », note -elle. Les syndicats « exigent le maintien du système de retraite existant… portent en commun des propositions pour améliorer les droits de toutes et de tous. Pour ce faire, il faut augmenter les financements assis sur les cotisations sociales et les richesses produites par le travail ». Dans l’immédiat, ils « appellent à poursuivre les actions et la mobilisation le 15 et à faire du 16 une nouvelle journée de mobilisation interprofessionnelle massive de grèves et de manifestations ». Une 5ème journée nationale de grève et manifestations est donc convoquée le jeudi 16.
La Cfe-Cgc résume fort bien le sentiment de l’intersyndical : la lettre d’E Philippe est « la mise ne place d’une mécanique infernale que la victime est chargée de déminer sans codes ni outils et dont l’artificier reste à distance raisonnable des dégâts à prévoir. Il n’y a ni victoire ni défaite à lire entre les lignes sinon un acte supplémentaire d’un piège qui se referme comme un cliquet pour faire disparaitre ce qui reste du modèle social français ».
Pour les enseignants
Pour les enseignants, la manoeuvre d’E Philippe pourrait être catastrophique. Les enseignants ne sont pas particulièrement mobilisés sur l’âge pivot. Trois sujets expliquent leur mobilisation exceptionnelle depuis décembre. Le premier c’est évidemment le montant futur de leur retraite : le nouveau système se traduirait par une baisse très importante des pensions. Le ministre promet une revalorisation dans le cadre d’une loi de programmation adoptée, au mieux, six mois après la loi retraites. Le second ce sont les contreparties que le président de la République, le premier ministre et le ministre de l’éducation nationale exigent en échange de cette éventuelle revalorisation et qui visent à instaurer un nouveau métier enseignant. Enfin il y a les nombreux sujets de mécontentement liés à la gestion de JM Blanquer.
De tous les salariés mobilisés contre la réforme des retraites, les enseignants sont ceux qui ont le plus à perdre financièrement. Leurs pensions devraient diminuer d’au moins un tiers. Pour les mettre à niveau il faudrait relever fortement leurs salaires. Mais le pire c’est que la réforme veut les obliger à regarder l’avenir, un avenir redéfini par JM Blanquer. De tous les salariés mobilisés contre la réforme des retraites, les enseignants sont aussi les seuls qui sont soumis à un chantage ministériel. Leur ministre les enjoint d’accepter une redéfinition de leur métier pour pouvoir bénéficier d’une revalorisation amortissant, dans une proportion qui reste complètement à définir, les pertes liées à la réforme.
Autrement dit les enseignants ont besoin d ‘un rapport de force tel qu’il permette soit le retrait total du projet soit de réelles négociations sur les contreparties et la revalorisation et qu’elles soient bouclées avant l’examen de la loi sur les retraites. Le calendrier gouvernemental prévoit que la loi de programmation sur les enseignants vienne à la suite de la loi retraites à un moment où les enseignants seraient seuls face au gouvernement.
On mesure que pour eux la lucarne ouverte par le premier ministre n’est pas une bonne nouvelle. Elle devrait affaiblir le mouvement contre la réforme. Et elle fait passer leur cas particulier au second plan. Les journées de mobilisation du 14 au 16 janvier devraient prédire leur avenir.
François Jarraud
Le conflit peut se refermer sur les enseignants