Alors que le gouvernement vient de donner l’orientation aux régions que vont devenir les conseillers d’orientation, renommés psychologues de l’éducation nationale ? Paul Lehner, chercheur à l’université de Cergy, publie un ouvrage qui fait revivre le combat des conseillers d’orientation pour trouver une place dans le système éducatif. Mais ils se retrouvent au coeur de tensions tellement fortes dans le système éducatif qu’elles les entrainent. D’abord parce que les conseillers d’orientation portent la dimension de tri social de l’Ecole. Ensuite parce qu’ils sont aussi au coeur des oppositions entre organisations syndicales. Toujours en quête de légitimité dans l’Ecole, le conseiller d’orientation voit son identité ballottée par l’institution. Le 21ème siècle commence pour elle par de nouveaux défis.
On dit des conseillers d’orientation qu’ils font le métier le plus détesté par les jeunes en France. Vous écrivez que c’est un « métier impossible ». Que voulez-vous dire ?
A travers son histoire, on voit que les conseillers d’orientation n’ont jamais réussi à occuper une place reconnue, valorisée et stable au sein de l’Ecole. Ils ont toujours vu leur métier changer. Leurs missions ont toujours été augmentées et redéfinies. Ils ont toujours du batailler pour leur reconnaissance. Ajoutons que leur identité a été changeante et qu’ils ne sont pas d’accord entre eux sur ce qu’est un conseiller d’orientation. Des tendances s’affrontent entre psychopédagogues et éducateurs au choix. Et cette tension sur leur identité participe aussi à rendre ce métier, non stabilisé, « impossible ».
C’est le « déficit de légitimité » que vous évoquez. Comment se manifeste-il ?
On le voit par exemple quand on regarde le socle sur lequel reposent les pratiques professionnelles. Avant la 2de guerre mondiale il est basé sur la psychologie expérimentale qui se dévalue dans les années 1950. Dans les années 1960 et 1970, c’est la psychologie clinique et relationnelle qui a le vent en poupe. Puis elle décline avec l’arrivée de la psychologie cognitive. Cette instabilité théorique rejaillit sur la légitimité de leurs revendications à intervenir en tant que psychologue ou éducateur des choix au cours du processus d’observation des aptitudes des élèves. En outre, la définition du métier toujours changeante contribue à sa faible reconnaissance.
Un de mes enquêtés parle de « métier fantôme », de « courant d’air ». Certes certains conseillers d’orientation ont réussi à s’implanter dans leur établissement. Mais le déficit de légitimité se situe au niveau de l’administration centrale de l’éducation nationale.
Le conseiller d’orientation est au coeur du rôle de tri de l’institution scolaire. Est-ce ceci qui le rend impossible ?
C’est vrai qu’au début des années 1970, à la suite de Mai 68, le système scolaire devient moins contraignant, l’autorité moins légitime. On crée alors les CIO et des procédures d’orientation où le conseiller d’orientation doit produire le consentement de l’élève à son orientation. Cela complexifie la mission des conseillers d’orientation.
Le métier semble au coeur aussi de rivalités syndicales. Qu’est ce qui oppose les syndicats ?
C’est un aspect important car il marque l’histoire du métier des conseillers d’orientation. Le Sgen et le Snes défendent des conceptions différentes de ce métier. Le Snes veut préserver l’héritage de la psychologie expérimentale tout en montrant qu’elle doit être davantage éducative. Le Sgen promeut un métier d’éducateur s’appuyant sur la psychologie relationnelle et clinique.
Les enjeux syndicaux sont aussi au niveau des corps enseignants. Le Snes et le Sni s’affrontent pour le contrôle de l’école moyenne (le collège NDLR). Cela passe par la définition de savoirs à enseigner et aussi d’aptitudes qui relèvent du jugement des enseignants. Dans cette lutte, les deux syndicats marginalisent les conseillers d’orientation. Cet affrontement va durer jusqu’à la fin des années 1970. Le Sni valorise les instituteurs devenus PEGC qui peuvent devenir psychologues scolaires du 2d degré. Sur ce point il rejoint une politique gouvernementale qui veut faire des conseillers d’orientation des informateurs sur les débouchés professionnels. Il faudrait ajouter aussi le rôle de l’ACOPF (association des conseillers d’orientation de France aujourd’hui APSYEN) qui valorise aussi une certaine conception du métier.
La dernière étape de cette longue histoire des conseillers d’orientation c’est la création du corps des psychologues de l’éducation nationale (PsyEN) et l’orientation scolaire confiée aux régions. Est ce la fin de l’orientation dans l’histoire des conseillers d’orientation ?
La dimension orientation n’est pas totalement évacuée puisqu’elle arrive en 3ème position de la définition du nouveau métier de PsyEN. Mais il faut attendre 2 ou 3 années pour voir comment les choses vont évoluer. Aujourd’hui, les PsyEN sont concurrencés par les régions mais aussi par les coachs, les plateformes web, des associations comme Article 1 qui proposent différents accompagnements en matière d’ orientation.
Soit les PysEN vont réussir à garder la dimension orientation dans leurs missions, et dans ce cas il faudra qu’ils se battent, soit ils vont investir d’autres questions comme la santé. Ce qu’ils défendent actuellement c’est leur intervention au sein de l’école plus qu’une compétence spécifique.
Face aux régions, les PsyEN promeuvent un autre registre. Les régions veulent rapprocher les élèves des besoins locaux du monde professionnel en mettant en relation formation et prévisions sur l’emploi. Les conseillers d’orientation sont dans un autre registre. Ils promeuvent plutôt l’accompagnement du projet scolaire des élèves indépendamment des prévisions sur l’emploi. Pourront ils composer avec les régions ? C’est une question…
Il n’y a qu’environ 4500 conseillers d’orientation. Est ce un corps en extinction douce ?
C’est la grande question des deux décennies à venir. L’effectif stagne depuis 40 ans. On peut supposer que la question de l’éducation à la santé va générer un débouché important pour eux. Il y aura toujours des gens pour vouloir faire ce métier mais celui-ci va changer très vite.
Propos recueillis par F Jarraud
Paul Lehner, Les conseillers d’orientation. Un métier impossible. PUF 2020. ISBN: 978-2-13-081766-6