Comment se combinent l’origine migratoire et le genre dans la construction des inégalités scolaires ? Dans Education & formations (n°100), Yaël Brinbaum propose une lecture fine et à jour des trajectoires scolaires des enfants d’immigrés. Les trajectoires scolaires apparaissent genrées et différenciées selon l’origine. A l’augmentation du taux de réussite, plus élevé parmi les filles, s’ajoute une forte différenciation à la fois selon l’origine, le genre, le type de baccalauréat et sa série. Surtout, Y Brinbaum donne à voir la construction de ces inégalités tout au long de la carrière scolaire de ces jeunes. Construction qui donne sa place à la famille mais aussi au système éducatif et à la société dans son ensemble.
Un avantage aux filles et une hiérarchie ethnique…
Y Brinbaum analyse la construction des inégalités d’origine et de genre dans la carrière scolaire des élèves jusqu’au bac en utilisant les données récentes du panel 2007 de la Depp qui couvre le devenir d’un échantillon de 35 000 jeunes entrés en 6ème en 2007.
Le bilan semble simple : « Les secondes générations détiennent moins souvent un baccalauréat que les Français d’origine, sauf les descendants du Portugal qui s’en rapprochent et les descendants d’Asie qui les dépassent… Le baccalauréat est aussi fréquent parmi les filles d’immigrés du Portugal (83 %), d’Afrique subsaharienne (84 %) et proche des Françaises d’origine (85 %), alors qu’il apparaît même plus élevé pour les filles d’immigrés asiatiques (92 %) et plus faibles pour les descendantes d’immigrés turcs (75 %). Parmi les garçons, les taux d’obtention sont proches entre ceux d’origine portugaise (72 %) et les Français d’origine, alors qu’ils sont bien plus faibles parmi les autres groupes, à l’exception des descendants asiatiques (88 %) ». Quelle que soit l’origine, les filles dépassent les garçons et même les filles d’origine turque voient leur accès au bac progresser rapidement.
Encore faut-il regarder de quel bac il s’agit. Pour Y Brinbaum, les inégalités se sont déplacés dans les filières: « Si les filles de plusieurs groupes ont autant un baccalauréat que les filles françaises d’origine (51 %), elles ont beaucoup moins obtenu des baccalauréats généraux (– 15 points pour les filles d’immigrés portugais ou maghrébins, – 22 points pour celles originaires d’Afrique subsaharienne ou de Turquie). Elles obtiennent davantage des baccalauréats technologiques et surtout professionnels. À l’inverse, les descendantes d’immigrés d’Asie surpassent les filles françaises d’origine, avec 63 % de baccalauréats généraux (+ 12 points). »
… qui reflètent les inégalités sociales…
Evidemment certains ne manqueront pas de déduire de ces données des conclusions ethnicisantes selon une tendance qui est très à la mode. L’intérêt du travail de Y Brinbaum c’est de resituer ces résultats dans leur contexte social et institutionnel. Pour cela il retrace la carrière scolaire de ces jeunes. Et le résultat interroge directement la société et aussi l’Ecole.
Le premier constat c’est que la situation sociale des familles de ces enfants est très différente de celle des jeunes français d’origine. « Alors que plus de la moitié des élèves français d’origine (54 %) appartiennent à des familles favorisées, ils ne sont que 18 % à 20 % dans les familles portugaises, d’Afrique subsaharienne ou d’Asie et ne représentent que 9 % des familles turques… En 2008, la majorité des parents sont en emploi dans les familles françaises d’origine, portugaises et asiatiques (les pères plus que les mères), alors qu’ils sont sous-représentés parmi les Africains subsahariens…
… et celles du système scolaire
La hiérarchie scolaire apparait très étroitement lié à un ordre social qui s’est construit sur une base ethnique.
Malheureusement , et c’est lié à la ghettoïsation de la société, l’ordre scolaire lui aussi reflète les inégalités ethniques. « les enfants sont inégalement confrontés à la ségrégation scolaire : près de la moitié des descendants d’immigrés du Maghreb (47 %) et de Turquie (51 %) sont passés par un établissement en éducation prioritaire, et ils atteignent 61 % parmi les descendants d’Afrique subsaharienne ; les enfants des autres origines y sont moins nombreux. Les familles immigrées ne disposent ainsi pas des mêmes ressources que les familles françaises sans ascendance migratoire pour accompagner leurs enfants scolairement, ressources variables selon l’origine géographique et en fonction de leurs parcours migratoire, scolaire et familial ».
Contrairement à ce qu’on entend souvent, les familles de ces jeunes ont des aspirations scolaires élevées et souvent plus élevées que les familles « françaises de souche ». « Particulièrement élevée dans les familles immigrées maghrébines, subsahariennes et asiatiques (80-82 %), l’aspiration au Bac rejoint le niveau d’ambition des familles françaises d’origine. Ces aspirations s’avèrent fortes pour les filles et pour les garçons (avec un écart de 5 et 7 points respectivement pour les familles maghrébines et asiatiques, 6 points pour les françaises d’origine), toujours en faveur des filles ». Mais là aussi, le système scolaire a sa part : « Une scolarisation en éducation prioritaire réduit l’aspiration au Bac « toutes choses égales par ailleurs » ».
Le poids des ségrégations urbaine et scolaire
En conclusion, T Brinbaum met l’accent sur les causes sociales et scolaires de ces inégalités. « Les inégalités scolaires de genre et d’origine sont donc notables, depuis l’école primaire jusqu’au baccalauréat − y compris au niveau des filières et des séries du Bac. La construction d’inégalités s’élabore tout au long de la carrière, en combinant les effets des origines migratoires, sociales et du genre et d’autres facteurs en jeu. L’importance de ces facteurs est confirmée dans les inégalités de réussite des enfants d’immigrés. Le poids des origines sociales et du niveau d’éducation des parents expliquent une bonne partie des écarts de réussite. Le système scolaire français est très inégalitaire et inéquitable socialement. Une fois ces facteurs pris en compte, les désavantages des descendants d’immigrés sont sensiblement réduits, voire s’inversent, de nombreux groupes étant en « sur-réussite », particulièrement élevée pour les filles ».
« Les conditions de scolarisation sont notamment en lien avec la ségrégation urbaine », écrit Y Brinbaum. « « Toutes choses égales par ailleurs », la scolarisation en éducation prioritaire, loin de corriger les inégalités sociales, diminue le niveau scolaire. Elle augmente également les orientations dans les filières professionnelles ». Selon lui, « Les moins bonnes conditions d’enseignement, l’envoi d’enseignants moins expérimentés et le niveau plus faible ne permettent pas d’améliorer les résultats, sans compter les effets de la stigmatisation de ces établissements. Une politique effective d’éducation dès les premières années demeure plus que jamais une priorité, avec des moyens, mieux ciblés et un accompagnement scolaire des enfants très tôt en échec, et plus de mixité sociale ». On ne revient à l’exigence de mixité sociale à l’Ecole. Un objectif perdu de vue par le ministre.
F Jarraud