L’album de littérature jeunesse est un superbe outil au service de l’apprentissage de la langue. Il est utilisé par tous les enseignants du premier degré. Reconnaitre et valoriser les langues parlées à la maison favorise la réussite scolaire en permettant aux élèves de sortir d’une forme de conflit de loyauté et aux parents de se sentir légitimés par l’école. L’association Familles Langues Cultures en a bien conscience, et pour cause, Françoise Leclaire la présidente est une professeure des écoles à la retraite. Son association utilise les albums de littérature jeunesse pour créer des ponts entre l’univers familial et l’école quelle que soit la langue maternelle. Traduire des albums et les mettre en voix, telles sont les missions que se sont donnés les membres de l’association au travers de leur projet « Livre-ensemble » qu’elles proposent aux écoles, aux collectivités, aux associations depuis maintenant sept années.
Aujourd’hui, Françoise intervient en classe de moyenne section de l’école Claude Bernard au Mans (72). Une journée assez ordinaire pour ces petits bouts de chou de quatre ans. Mais qui le serait peu dans d’autres écoles. En effet, leurs parents ne les ont pas seulement déposés devant la salle de classe, ils ont eux aussi retiré leur manteau et investi les lieux. Il faut dire que dans cette école, les parents sont des partenaires à part entière et ce depuis plusieurs années, notamment dans le cadre des interventions de l’association Famille Langues Cultures qui y expérimente nombre de ses outils, comme le livre ensemble ou encore l’espace multiculturel.
Valoriser les langues familiales pour reconnaître l’expertise parentale
Aujourd’hui, c’est donc lecture d’histoire et pas seulement en français mais aussi dans les langues maternelles de la classe avec les parents. Un travail initié par Françoise et son association qui milite depuis de nombreuses années à la valorisation des langues familiales. « Livre-ensemble est un projet centré sur les langues familiales comme vecteur de reconnaissance sociale et sur l’album de littérature de jeunesse comme support d’un fond commun de valeurs partagées. Valoriser les langues familiales, c’est reconnaître l’expertise parentale et quoi de mieux pour favoriser le lien école-famille ? » explique-t-elle.
« Faire des langues un doudou, objet transitionnel pour l’enfant »
Cette jeune retraitée en connaît un rayon sur le lien école-famille mais aussi sur l’intérêt et l’impact de la place des langues maternelles au sein de l’école. Enseignante dès 1978, elle a occupé moult postes : en maternelle, comme enseignante dans ce que l’on nommait classe d’adaptation, en tant que directrice ou encore maitre E dans un RASED… Parallèlement, elle était enseignante bénévole FLE (enseignement du Français langue étrangère) dans un centre social, mais aussi dans un CADA (centre d’accueil pour les demandeurs d’asile). Et, comme elle trouvait qu’elle avait encore trop de temps libre, elle reprend ses études en 2010 en préparant un diplôme universitaire de clinique transculturelle avec marie Rose Moro (spécialiste de l’enfance en migration). C’est dans le cadre de sa recherche qu’elle met en place avec des collègues pédopsychiatres et orthophonistes en CMP un dispositif sur l’éveil aux langues.
« Nous partions sur l’idée de faire de la langue un « doudou », un objet transitionnel entre la maison et l’école pour sécuriser l’enfant, et les parents, de faire entrer les parents dans l’école comme expert de leur langue et culture, et de faire de l’éveil aux langues – en se basant sur les langues familiales, une matière-pont entre les apprentissages langagiers ». C’est dans cette dynamique qu’elle décide de fonder l’association Famille langues cultures (l’association a depuis reçu l’agrément de l’état). Depuis, elle propose plusieurs types d’actions, dont celles qu’elle anime régulièrement à l’école Claude Bernard dont l’équipe est un partenaire privilégié, « Kevin, le directeur, porte nombre de nos projets ».
Un espace interculturel autour de l’album
Toutes les semaines, l’association intervient dans les classes pour un travail autour des albums. Il s’agit de lire, traduire, mettre en voix des albums avec les parents de la classe. Un espace interculturel est aussi animé tous les vendredis de 8h30 à 9h30 par l’association. Enfants et parents y ont à leur disposition des albums de littérature jeunesse en version bilingue mais aussi en versions audio via un QR code. « Ces audio permettent aux parents non-lecteurs – en tout cas en langue française – de lire avec leurs enfants et d’interagir avec eux ». Et pour finir, une fois par période et hors temps scolaire, des rencontres autour d’une histoire contée en plusieurs langues ont lieu.
Même si l’école Claude Bernard est un partenaire privilégié, l’association intervient aussi aussi auprès d’autres écoles du Mans.
Les bénéfices de ce type de dispositifs sont nombreux selon Françoise. « On note un changement de regard sur les parents de la part des équipes enseignantes. Il y aussi une plus grande implication des parents qui participent de plus en plus aux différentes rencontres. Ils se sentent reconnus, légitimes. Les enfants semblent passer plus sereinement de la maison à l’école et inversement. Et le plus important, la communauté éducative se forme progressivement en se découvrant des valeurs communes largement portées par la littérature de jeunesse ».
Lilia Ben Hamouda