Comment la machine Enigma peut-elle servir de point d’ancrage pour l’histoire des mathématiques et l’apprentissage du codage ? Les lycéens de Christelle Sjollema, professeure de mathématiques au lycée Jules Supervielle d’Oloron Sainte Marie (64) ont conçu un escape game sur Alan Turing. Avec ses nombreux partenaires scientifiques, ce projet original des élèves a été plusieurs fois primé. « Les élèves ayant fait le choix de ne pas avoir recours au numérique », souligne l’enseignante. Comment se structure le jeu ? Pour quels prolongements pour les lycéens ?
Quelle est l’origine de ce projet mené autour des travaux d’Alan Turing ?
Je voulais plonger les élèves de mon atelier dans l’histoire des mathématiques, les aider à faire le lien avec l’histoire et leur montrer des facettes des mathématiques. Ils avaient déjà crée des jeux mais je souhaitais qu’ils travaillent tous ensemble sur un projet, que l’atelier s’ouvre à un plus large public que des scientifiques.
Les Escape game sont des jeux d’immersion, des jeux coopératifs, des jeux à la mode. J’étais sûre que ça allait plaire et que ce support me permettrait d’atteindre mes objectifs. J’ai très vite eu un bon groupe d’élèves motivés, aussi bien des filles que des garçons de la 2nde à la Terminale dont une première L. Je leur ai proposé de travailler sur plusieurs scientifiques, ce sont eux qui ont choisi Alan Turing.
Quel regard ont vos élèves sur le personnage ? Quelles sont les difficultés rencontrées ?
Ils ont été fascinés par Alan Turing le mathématicien et l’homme. Le film Imitation Game joué par Benedicte Cumberbatch les a beaucoup inspirés pour le scénario du jeu et le fonctionnement du codage d’Enigma. Mais pour faire comprendre les travaux de Turing, je les ai fait travailler sur des ressources scientifiques la vidéo « le modèle Turing » et le hors série Alan Turing, génie au destin brisé du CNRS , et « apprendre à programmer avec la machine Turing » de l’ APMEP. Ils ont été amusés par le test Turing et la vision mathématique du monde par Turing.
J’ai imposé la structure du jeu : 4 équipes de 4 joueurs, chacune avec une mission, qui se retrouvaient à la fin sur une énigme finale. Je pouvais ainsi répartir les concepteurs en 4 équipes qui travaillaient chacune sur une mission suivant leurs affinités.
C’était un projet ambitieux qui a pris beaucoup de notre temps. Certains groupes ont dû changer leur plan car leur projet était trop ambitieux comme créer Enigma en Arduino. Il a fallu aussi réadapter des énigmes afin qu’elles soient diversifiées, scénarisées et bien imbriquées dans le jeu. Les élèves ayant fait le choix de ne pas avoir recours au numérique, il a fallu faire preuve de créativité pour le décor. Nous avons trouvé des trésors dans le laboratoire de sciences-physiques et dans les granges des maisons de chacun.
J’avais aussi sous estimé le temps de préparation de l’animation. Mais enfin, ils y sont arrivés.
Quels ont été les apports extérieurs au projet ?
Le Centre de Culture Scientifique (CCSTI) Lacq Odyssée est le référent de cet atelier. Severine Marcq, médiatrice scientifique est venue au lycée proposer un Escape game sur l’impact des sciences du numérique. Cette animation a aussi permis à tous de vivre un tel jeu, de s’inspirer des énigmes et d’avoir des conseils pour la réalisation du jeu. Thierry Derive, responsable du FabLab de Lacq Odyssée, a reçu un groupe pour concevoir des pièces du jeu qui ont ensuite été vieillies grâce à l’intervention de Melgart Carthagot, figuriniste d’Oloron. Jacky Cresson, enseignant chercheur en mathématiques à l’Université de Pau, a animé un atelier sur les jeux à stratégies gagnantes. Sebastien Loustau, chercheur en Machine Learning, a animé une conférence sur les maths de l’Intelligence artificielle. Pour la clôture de l’atelier, Olivier le Goaer, enseignant en Informatique à l’Université de Pau est venu parler des CAPTCHA, les tests du Turing inversés. Ces 3 conférences étaient ouvertes à tous les élèves du lycée.
Ludovic Pellerin, concepteur en Escape Game a analysé le jeu et conseillé les élèves et Maxime Gally, animateur socio culturel et président du festival du jeu a rassuré les élèves pour l’animation. Certains élèves ont établi une correspondance avec Bletchley Park en Angleterre, pour en savoir davantage sur Turing et avoir des documents de Turing en meilleure qualité.
Beaucoup de personnes sont intervenues pour aider les élèves à créer leur jeu mais aussi à comprendre les maths de Turing. Ce sont des occasions de créer des liens, valoriser les ressources locales, découvrir des métiers, des parcours et des formations et surtout rencontrer de belles personnes à l’écoute des jeunes.
En quoi votre projet a-t-il pris de l’ampleur ?
Les élèves l’ont proposé dans leur établissement ainsi qu’à des collégiens et lycéens d’établissements Oloronais en mars et juin (même après leurs épreuves du bac). Ils ont été invités à l’animer au festival de jeu de Pau, puis sélectionnés pour le concours André Parent. Certains sont allés à Paris présenter leur jeu au salon des Jeux et de la Culture mathématiques. Ils ont obtenu le prix spécial du jury pour la créativité. A la rentrée, le nouveau groupe de l’atelier l’a testé. Puis ils ont été invités au festival de l’Intelligence artificielle, les participants à l’événement l’ont apprécié : des lycéens, des étudiants mais aussi des chercheurs en Intelligence Artificielle, et même Fan Hui, champion de jeu de Go.
Les élèves ont plaisir à montrer leur création, s’amusent à l’animer, à aider certains qui sont en difficultés. A la fin du jeu, ils reviennent sur Enigma et sur Turing. On sent alors leur fascination pour ce scientifique.
Entretien par Julien Cabioch
Dans le Café