Mesure phare du ministre, le dispositif « Devoirs faits » reste d’une grande diversité dans son fonctionnement, dans ses objectifs, dans les intervenants et dans son public, selon le dernier rapport des inspectrices générales Carole Sève et Nicole Ménager. Lancé en novembre 2017, Devoirs faits n’a toujours pas atteint la maturité. Parmi les préconisations des inspectrices, on notera qu’elles souhaitent « inscrire la mesure dans la politique de l’établissement ». Ce qui veut dire qu’on en est encore loin…
Déjà deux années
« Il est proposé aux collégiens, dans leur établissement, un temps d’étude accompagnée pour réaliser leurs devoirs. Cette étude est gratuite. Chaque enfant doit pouvoir travailler individuellement, au calme, pour faire des exercices, répéter ses leçons ou exercer sa mémoire et son sens de l’analyse, avec la possibilité d’être aidé quand il en a besoin ». Créé par JM Blanquer en 2017, souvent en continuité avec des dispositifs antérieurs, Devoirs faits est régulièrement mis en avant par le ministère comme un exemple de politique sociale au ministère. En novembre 2017, nous avions pu montrer les écueils de ce genre de dispositif, trop souvent sans rapport avec la classe. A la rentrée 2018, le Snpden, syndicat de personnels de direction, avait montré les limites du dispositif : seulement 6 ou 7% des collégiens en bénéficiaient et pas forcément ceux que l’on voudrait… Très récemment, le ministre envisageait de rendre Devoirs faits obligatoire pour certains élèves.
Un dispositif qui interroge les pratiques enseignantes
Il y a des cotés positifs dans Devoirs faits. Par exemple, les inspectrices soulignent que « conduit les enseignants intervenant dans les séances « Devoirs faits » à s’interroger sur la difficulté scolaire et sur leurs pratiques en termes de prescriptions de devoirs, et engage une dynamique de réflexion collective plus ou moins importante au sein des équipes ». Là où des enseignants encadrent Devoirs faits (on verra que c’est loin d’être le cas partout) , « la séance « Devoirs faits » apparait comme un révélateur et un observatoire de la difficulté scolaire. Lors de ces séances, les enseignants interagissent différemment avec les élèves par rapport aux cours. Ils ont la possibilité de prendre le temps d’observer la manière dont les élèves s’y prennent pour faire leurs devoirs ou apprendre leurs leçons. Ces observations permettent à la fois de mieux cerner « ce que font réellement les élèves quand ils apprennent » et les types de difficultés rencontrées par les élèves pour faire leurs devoirs ». On a là quelque chose d’important qui interroge le fait de donner des devoirs et peut faire évoluer des pratiques. Dans certains collèges cela aboutit à la constitution de groupes d’enseignants qui réfléchissent aux devoirs.
Une mise en place encore très inégale
Maintenant le bilan, subjectif, dressé par l’Inspection montre qu’on est très loin d’une véritable aide aux devoirs et d’un dispositif apportant une aide sérieuse aux élèves. Les auteures du rapport soulignent qu’un effort a été fait par les rectorats pour abonder les budgets des établissements et soutenir le dispositif. Ce qui ne veut pas dire que tous les collèges proposent 4 heures de devoirs faits par trimestre. Des collèges n’ont pas les 4 heures disponibles dans leurs emplois du temps. D’autres sont contraints par le transport scolaire, une situation déjà relevée par le Snpden. D’autres ont déjà des dispositifs concurrents dont il faut tenir compte. Enfin dans beaucoup d’endroits les établissements manquent de personnel, et particulièrement d’enseignants pour encadrer devoirs faits. Les inspectrices parlent d’enseignants hostiles à la mesure ce qui ne surprendra personne dans le contexte Education nationale depuis une bonne année.
De fait, « devoirs faits » trouve sa place dans les interstices du temps scolaire, souvent sur le temps de déjeuner, plus rarement dans les creux des emplois du temps.
Le pilotage de la mesure est très variable d’un collège l’autre. Souvent la mise en place st purement administrative. « L’absence, dans certains collèges, d’une véritable dynamique pédagogique associée à la mesure, conjuguée au manque de mobilisation pédagogique des enseignants, que déplorent des chefs d’établissement, s’explique soit par la réserve de certains intervenants, qui ne se sentent pas suffisamment légitimes pour entraîner leurs collègues, ne serait‐ce que dans une réflexion partagée sur leurs pratiques respectives concernant les devoirs, soit par l’indifférence, le désintérêt ou le rejet de la mesure pour des questions de principe ».
Des objectifs flous
Il y a pire. Les objectifs du dispositif varient d’un collège à l’autre. Ils sont souvent sociaux, parfois pédagogiques. Mais le rapport cite aussi des collèges où la mesure vise avant tout à diminuer le nombre d’incidents liés aux devoirs non faits. Selon le rapport, Devoirs faits a pu s’installer dans la continuité de dispositifs pré existants dans de nombreux collèges. Mais comme eux, « la mission a souvent constaté une absence d’articulation entre la mesure et d’autres dispositifs, et, entre autres, avec l’accompagnement personnalisé (AP) ».
Selon le rapport, « De manière récurrente, les équipes soulignent que certains élèves qui auraient besoin d’être accompagnés ne s’inscrivent pas dans les séances « Devoirs faits ». Même s’il existe parfois des effets d’entraînement entre élèves pour participer aux séances « Devoirs faits », leur volontariat spontané, malgré d’importants efforts de communication sur le dispositif, est faible. Ceci amène les équipes de direction, dans un certain nombre d’établissements, à opter pour des organisations visant à contraindre de manière plus ou moins forte les élèves à participer aux séances « Devoirs faits » ». En fait 10% des collèges ont déjà rendu obligatoire devoirs faits. Cette solution permet de remplir les objectifs fixés par le rectorat. On l’a dit le ministre pourrait rendre Devoirs faits obligatoire. Mais cela semble aussi indiquer que, deux ans après sa mise en place, les élèves ne voient toujours pas le bénéfice de Devoirs faits.
Ce que montrent les études internationales, c’est la difficulté d’un encadrement efficace des élèves et de leurs devoirs. En réalité cet encadrement devrait être fait dans la classe et sur les heures de classe. A défaut, pour pouvoir aider les élèves en difficulté et réduire les inégalités, l’aide aux devoirs devrait être effectuée par des enseignants ou par des personnels formés travaillant en lien avec les enseignants. Prétendre réduire les inégalités sociales de réussite scolaire par l’aide aux devoirs est un leurre , une utopie quand cette aide utilise du personnel non formé et étanche à la classe.
F Jarraud