Depuis plusieurs années, Sylvie Cèbe et Roland Goigoux ont organisé une recherche sur l’apprentissage de la compréhension des élèves de 8 à 13 ans, en collaboration avec 250 enseignants, avec l’optique de mettre au point des outils pour la classe.
En effet, depuis que les évaluations internationales sont publiées, on sait à la fois que l’école fait bien son travail pour 80% d’élèves, mais qu’on constate des différences d’efficience précoces et cumulatives. Au CE2, 4% ne maîtrisent pas le décodage, 15 à 20% ont du mal à comprendre. En 6e ou aux journées de la JAPD, 20% ont une compréhension défaillante. L’écart entre les ZEP et les hors-ZEP est d’environ 8 points, l’écart passe à 15 points quand on regarde l’écart de performance entre les enfants de cadres et les enfants d’ouvriers. Les résultats PISA montrent que ce sont les élèves de seconde technologique qui font plonger les résultats français.
Dans les vingt dernières années, les performances en compréhension sont stables.
Fabriquer des instruments qui permettent aux enseignants de mesurer les progrès des élèves« Je postule que les élèves qui ne lisent pas sont ceux qui ne comprennent pas ce qu’ils lisent. La preuve, c’est que quand l’enseignant propose de raconter une histoire, tout les élèves sont « demandeurs ».
Pour redonner confiance aux enseignants, il faut que leurs efforts se voient dans les performances des élèves. Sylvie Cèbe propose donc d’aider les enseignants, notamment les débutants, par la mise au point d’outils didactiques adéquats. « On ne demande pas au maçon ne fabriquer sa truelle, ni au médecin de mettre au point le stéthoscope ».
Quand on observe les pratiques des enseignants, on voit qu’ils se calent sur le niveau moyen de la classe, ne différencient que dans les aides personnalisées ponctuelles ou en réduisant le nombre de tâches. Ces pratiques sont fonctionnelles, permettent de faire tourner la classe, mais laisse parfois hors-jeu les élèves les moins performants.
On peut évidemment proposer des remédiations en plus petit groupes. Mais elle propose de s’appuyer sur les pratiques pédagogiques majoritaires (travail en classe entière), en développant des outils qui aident les enseignants à mettre en œuvre des pratiques au service des élèves les plus en difficulté. « Parce que notre conviction est que l’Ecole a les moyens de réduire les inégalités à l’Ecole, si les enseignants parviennent à mieux repérer les compétences critiques pour comprendre : lorsque l’Ecole n’enseigne pas ce qu’elle évalue, alors elle renvoie une part des apprentissages vers les pratiques familiales ».
Elle se pose en modeste : les activités qu’elle propose « ne sont jamais que la réorganisation de plusieurs outils disponibles », mais « nous avons particulièrement travaillé du point de vue de l’enseignant : que fait un enseignant dans sa classe ? »
Si elle est d’accord sur le fait que les compétences de décodage sont à enseigner, elle conteste la thèse des cognitivistes, selon lesquels lire, ce soit simplement le produit du décodage par la compréhension de la langue orale. Pour beaucoup d’élèves, c’est la compréhension de la langue écrite qui est déficitaire : inférences, anaphores, connecteurs, ponctuation, pour « tricoter les informations entre elles », faire du lien, faire de la cohérence à partir d’informations éparses. C’est un nœud de la compréhension : le texte veut qu’on l’aide à fonctionner. « Un texte est un tissu d’espaces blancs qu’il faut remplir » disait Umberto Ecco, et il faut aider le lecteur à le faire.
Faire surgir les difficultés invisibles
Parfois, les difficultés des élèves sont « invisibles » : on pense savoir ce qu’ils comprennent avec des réponses aux questionnaires, mais il suffit de les faire dessiner pour voir que les élèves prennent des îlots d’information sans les mettre en cohérence. Les élèves se leurrent sur « ce qu’il faut faire pour comprendre » : ils vont à « pêche aux mots », recopient ceux qui sont derrière la question, s’appuient sur des îlots d’indices picorés au hasard des textes. Souvent, c’est parce que les questionnaires posés par l’enseignant sont ambigus : les élèves pensent que le questionnaire sert à vérifier la compréhension de l’élève, quand l’enseignant pense que son questionnaire peut aider l’élève à comprendre.
Lorsqu’on regarde les pratiques des enseignants efficaces, on voit :
– qu’ils précisent le sens de la tâche et le but de la lecture
– ils mobilisent les connaissances nécessaires sur l’univers de référence
– ils expliquent quelques mots de vocabulaire spécifique s’il peuvent être un obstacle majeur à la compréhension
– ils segmentent le texte
– ils aident à relier les éléments du texte, à mettre de la cohérence
– ils reformulent, synthétisent
– ils traitent l’implicite, « remplissent les blancs du texte »…
Mais souvent, ces aides sont implicites, elles ne permettent pas de comprendre « comment on fait pour comprendre » et risquent de laisser les élèves perdus lorsqu’ils se retrouveront seuls dans un texte.
L’outil Lector et Lectrix propose de travailler ces questions, en organisant l’enseignement des procédures efficaces, leur régulation et leur prise de conscience par les élèves, mais aussi en leur enseignant les procédures requises pour ne plus se faire piéger par les tâches scolaires, comme les questionnaires. Il entend ajuster le travail de la classe sur les besoins des plus faibles lecteurs, favoriser la « clarté cognitive », l’action conjointe des élèves (travailler au vidéo-projecteur ou avec des affiches), travailler à des mises au jour collectives…
Ses auteurs (dont les droits sont intégralement reversés à une ONG malgache) ont donc prévu un livre du maître qui guide précisément le détail des tâches que l’enseignant doit mener, mais aussi les raisons pour lesquelles les auteurs proposent ce cheminement. Par exemple, pour entraîner les élèves à se faire une représentation cohérente d’un bref texte, on n’hésite pas à lire le texte à haute voix, après avoir énoncé l’objectif de la séance : il va falloir se faire le film.
Et les questions de l’enseignante, après la lecture, vont permettre de se mettre d’accord sur ce que le texte autorise, mais aussi impose ou au contraire interdit. On dépasse le seul recours au « vrai » ou au « faux« , pour aller vers ce qui importe, au-delà des mots du texte, de comprendre : les idées du texte, qu’on va pouvoir reformuler avec ses propres mots.
Tout un programme.
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