Que sait-on du travail des enseignants français ? Est-il moins lourd que celui de leurs collègues européens ? Alors que le premier ministre annonce qu’avec la réforme des retraites on va revoir « l’organisation du travail » des enseignants, le moment est venu de faire le point. D’autant que JM Blanquer annonce une conférence pour comparer le travail enseignant en France et en Europe. Avant que la vaste réforme du métier enseignant soit lancé, la mise au point s’impose.
Combien d’heures travaillent réellement les enseignants ?
Il faut remonter à 2010 pour avoir une évaluation officielle du temps de travail des enseignants. Cette année là la Depp, la division des études du ministère, organise une enquête auprès des enseignants dont les résultats sont publiés en 2013.
La Depp évalue le temps de travail hebdomadaire des enseignants du premier degré à 44h07 dont 25h34 devant élèves. Précisément ce temps comporterait 12h57 de préparation et correction, 2h26 de rencontres avec les parents et les collègues et 3h10 d’autres tâches. Chaque semaine les enseignants passeraient 9h30 à travailler à la maison. Le temps varierait selon la fonction : un directeur travaille 45h26, un enseignant dans l’élémentaire 43h27 et en maternelle 36h38.
On observe une grande inégalité selon l’âge des enseignants. Les débutants travaillent 52 heures par semaine et les plus âgés 44 heures. Entre les deux le temps de travail diminue. L’observation est également valable dans le second degré (45h pour les débutants, 44h30 pour les plus de 50 ans).
Par comparaison, les enseignants du second degré travaillent un peu moins : 41h17 par semaine mais un peu plus à domicile : 12h36. Le temps d’enseignement est évalué à 20h04, les préparations à 8h14, les corrections à 7h26, la documentation à 2h07. Les temps d’échanges avec les parents et collègues représentent 2h43.
On observe de plus fortes inégalités selon les corps d’appartenance ou les disciplines. Les agrégés travaillent 39h15 (rappelons que leur temps devant élèves est plus faible), les certifiés 42h53, les PLP 39h30. Les professeurs de langues sont ceux qui travaillent le plus longtemps (42h39), devant les disciplines littéraires (41h47), les matières professionnelles (41h16), les sciences (40h54) et l’EPS (37h37).
Oui mais il y a les vacances… En fait, à ces temps de travail en semaines où il y a cours, il faut ajouter 20 jours de vacances travaillés dans le premier degré et 18 dans le second. Et si vous additionnez tout cela vous dépassez largement les 1607 heures annuelles dues par les agents de l’Etat en général et les 35 heures hebdomadaires des salariés ordinaires.
Les enseignants du primaire travaillent nettement au dessus de la norme européenne
Mais comment c’est ailleurs ? Les enseignants français travaillent-ils moins que les autres ? Selon l’OCDE (Regards sur l’éducation 2017), on compte 794 heures d’enseignement dans le premier degré en moyenne dans l’OCDE mais 900 en France. Les enseignants français du premier degré travaillent nettement plus que la norme européenne. Et cela pèse d’autant plus que le nombre de semaines de cours est le plus faible en France.
La commission européenne évalue (dans « La profession enseignante en Europe ») la durée du temps de travail dans le second degré. A vari dire c’est plus compliqué que pour le premier degré. Les pays imposent généralement un nombre d’heures d’enseignement (tous sauf 3). Moins de la moitié comptent aussi un nombre d’heures de présence dans l’établissement. En France le nombre d’heures d’enseignement dues varie de 14 à 20 heures hebdomadaires. A cela il faut ajouter 2 heures supplémentaires exigibles. En moyenne en Europe, les professeurs assurent entre 19 et 20 heures hebdomadaires. Le maximum est en Allemagne avec 28 heures. Les professeurs hongrois ou bulgares n’assurent pas plus de 14 heures.
Et les vacances ?
Ah oui, les vacances ! On ne cesse de les mettre en avant pour stigmatiser les enseignants. JM Blanquer ne cesse de dire qu’il va y toucher. Et on peut penser que la « réorganisation du travail » annoncé comportera l’obligation d’encadrer des élèves durant l’été. Dès juin 2017, devant les parents de la Fcpe, JM Blanquer relançait la question des congés scolaires. Un mois plus tard , dans le JDD, le ministre précisait : » A chaque fois qu’on parle du rythme de l’enfant au 21e siècle, on doit se poser la question des vacances, qu’il s’agisse de l’été ou des vacances intermédiaires ». Puis encore en aout 2017 : » Si vous prenez le cas des vacances de la Toussaint, qui durent depuis quelques années deux semaines, personnellement, ça m’a toujours semblé un peu long » (sur BFM). En juin 2018 il revenait sur le sujet dans Le Figaro : » Ça fait longtemps que je dis que l’on va devoir le poser (le problème des vacances scolaires NDLR) ». Puis en juin 2019 il y a une saisine du Conseil constitutionnel qui aboutit à donner au ministre le droit de revenir par décret sur l’alternance régulière des périodes de cours et de congés et d’avoir des congés intermédiaires de durée variable. Alors puisque la question des vacances est visiblement dans le calendrier ministériel, que sait-on vraiment des congés des jeunes Français ? Eurydice répond là aussi.
A-t-on des congés d’été particulièrement longs ? Eurydice relève chaque année la durée des congés dans les pays européens. Avec ses 7 semaines de congés d’été, la France fait partie des pays très raisonnables. Certes l’Allemagne, les Pays Bas et l’Angleterre se contentent de 6 semaines. Mais d’autres pays ont des vacances d’été nettement plus longues : 13 semaines en Albanie, Turquie ou au Portugal, 12 ou 13 en Italie et même 15 semaines en Bulgarie. Au total 35 systèmes éducatifs européens sur 44 ont des congés d’été plus longs que les notres. Sur ce terrain là l’exception française ce serait plutôt leur faible durée.
C’est différent en ce qui concerne les congés scolaires intermédiaires. En France on compte 4 congés intermédiaires (automne, noël, hiver et pâques) de durée régulière (2 semaines). Mais 16 pays européens comptent moins de 4 séquences de congés intermédiaires, par exemple 8 pays n’en ont que deux. Et ces congés sont loin d’être réguliers. Ainsi en Belgique comme au Royaume Uni les congés d’automne et d’hiverne ne durent qu’une semaine. Si l’on prend les congés d’automne, 19 pays n’ont qu’une semaine de congés. Dans les autres pays cela varie de 2 jours (République tchèque, Serbie) à 3 semaines (Suisse) ou rien du tout pour 13 pays. Clairement la régularité française fait figure d’exception en Europe.
Des statuts variables
Le statut des enseignants varie selon les pays. On voit bien les efforts qui sont faits pour le localiser en multipliant les contractuels, en donnant des droits au recrutement aux chefs d’établissement, en établissant une gestion de proximité et demain peut-être en séparant concours et affectation. Nul doute que la question arrive bientôt dans le débat.
En Europe on trouve trois systèmes. Il y a des pays comme le France où les enseignants publics sont des fonctionnaires. C’est aussi le statut des enseignants allemands, finlandais ou espagnols. Il y a des pays où ce sont des contractuels. C’est le cas des pays nordiques, du Royaume Uni, de l’Italie ou encore de l’ex Europe de l’Est.
Une note récente de la Depp souligne la particularité française. « Dans le modèle majoritaire, les établissements scolaires occupent le rôle d’employeur des enseignants en poste. Ils sont directement responsables de la nomination des enseignants, ils définissent leurs conditions de travail (souvent en collaboration avec d’autres partenaires) et veillent au respect de ces conditions », note la Depp. Mais c’est que le système d’un corps national avec recrutement par concours est minoritaire en Europe. Evidemment le développement de la contractualisation (prévu par la loi de transformation) devrait remettre ce système en cause en France aussi. Le statut de fonctionnaire est déjà minoritaire en Europe.
Progression professionnelle
» La moitié des pays européens (22 sur 43) a un système de carrière à plusieurs niveaux qui offre aux enseignants la possibilité d’exercer des responsabilités plus complexes, reconnues comme telles, et donnant lieu, dans la plupart des cas, à une rémunération complémentaire », explique la même note de la Depp. « Ces nouvelles responsabilités s’ajoutent à leur mission d’enseignement et requièrent des compétences supplémentaires. En devenant maîtres-formateurs, formateurs académiques, conseillers pédagogiques ou encore tuteurs, les enseignants français ont cette possibilité. C’est également le cas de la Grande-Bretagne, de l’Irlande, de la Suède, de Chypre, de Malte, des pays baltes et d’une grande partie de l’Europe de l’Est. Cette progression professionnelle découle le plus souvent de compétences particulières (17 sur 22), d’une évaluation positive des performances de l’enseignant (16 pays sur 22), d’une prise en compte des années d’expérience (15 sur 22) et de la participation aux activités de formation continue (12 sur 22). Par ailleurs, elle s’accompagne d’une valorisation salariale ou d’une indemnité de fonction supplémentaire dans tous les pays, excepté en Estonie et en Serbie, où cette promotion n’impacte pas la rémunération des enseignants concernés.
Un travail plus isolé
Il faut donc creuser davantage pour trouver les différences entre le travail enseignant en France et à l’étranger. Talis, une enquête OCDE, donne des indications précieuses pour toucher le quotidien enseignant.
La particularité du travail enseignant en France c’est son isolement. Selon Talis seulement 3% des enseignants français font appel à un tuteur, un taux 4 fois inférieur à la moyenne OCDE (13%). 78% n’observent jamais le travail d’un collègue soit deux fois plus que la moyenne Talis (45%).
Ecart aussi dans les pratiques pédagogiques : 37% des enseignants français font travailler les élèves en groupe contre 47% en moyenne des pays participant à Talis. 22% donnent des travaux différents selon les compétences des élèves contre 44%.
Autre particularité pédagogique : les problèmes de discipline. Les enseignants français sont parmi ceux qui déclarent consacrer le plus de temps à la gestion de la classe. Ce trait se retrouve dans Pisa 2018. Le climat scolaire apparait particulièrement dégradé en France.
Un métier peu attractif
Redonnons la parole à la commission européenne. « Une enquête visant à déterminer la perception de la profession par les enseignants eux-mêmes a été menée en France en 2013, couvrant un échantillon de 499 enseignants âgés de moins de 35 ans qui travaillaient aux niveaux 1, 2 et 3 de la CITE (primaire, collège, lycée). Selon les résultats de cette enquête, la moitié des répondants étaient frustrés par leur emploi et seuls 25 % d’entre eux avaient une opinion positive de leur profession. Les faibles niveaux de satisfaction professionnelle s’expliquaient essentiellement par le manque de reconnaissance économique et symbolique (reconnaissance sociale, prestige de la carrière, couverture médiatique positive) et de possibilités d’avancement. La deuxième source de frustration se situait au niveau des conditions de travail générales, suivies des questions d’organisation, telles que la fréquence élevée des réformes, l’absence de consultation sur le développement des établissements scolaires, le manque général de ressources et, pour un quart des répondants, l’absence de formation appropriée. En revanche, en 2012, une enquête menée auprès de 1 007 résidents français de plus de 18 ans a conclu que huit répondants sur 10 avaient une image positive de la profession enseignante, tandis que 77 % des répondants déclaraient que les enseignants méritaient une meilleure reconnaissance sociale. Une proportion similaire d’entre eux estimaient que la profession offrait de bonnes perspectives et seraient fiers de voir leurs enfants devenir enseignants ».
Un travail pénible
Résultat de ces considérations : le travail enseignant est perçu comme de plus en plus pénible par les enseignants. Selon la dernière enquête du Se Unsa (portant sur 7500 enseignants) 76% des enseignants estiment que leur activité professionnelle a des répercussions sur leur sommeil et 27% jugent leur métier épuisant. 51% ont déjà eu un arrêt de travail lié à leur métier. 46% déclarent des problèmes de voix et 32% d’audition.
Il y a un an, la Depp a publié les résultats d’une étude sur les risques psychosociaux. Elle montrait que les enseignants sont les plus exposés aux risques psychosociaux. Elle pointait particulièrement les professeurs du premier degré. » L’indice global d’exposition aux facteurs de risques psychosociaux (RPS) indique que les enseignants, hormis ceux du supérieur, ont une exposition moyenne significativement plus élevée que les autres populations, surtout dans le premier degré ».
Selon cette étude, la particularité des RPS des enseignants tient d’abord à l’intensité du travail. Les enseignants du premier degré sont les cadres qui déclarent le plus subir de contraintes de temps et de pressions dans leur métier. Là il y a une différence avec les enseignants du second degré qui sont ceux qui déclarent le moins de pression ressentie.
Mais la plus forte caractéristique des RPS des enseignants, premier et second degré confondus, selon cette enquête officielle, c’est le manque de soutien hiérarchique. « Ce sont surtout les enseignants qui déclarent manquer de soutien de leur hiérarchie et de moyens nécessaires pour bien faire leur travail, tant au niveau du matériel que de la formation », note l’étude. « Plus de 30 % des enseignants du premier degré et du second degré ne sont pas ou peu d’accord avec l’item « les personnes qui évaluent mon travail le connaissent bien »… L’indice moyen d’exposition au manque de soutien hiérarchique est le plus élevé chez les enseignants, hormis ceux du supérieur, surtout pour le premier degré. Les tensions avec la hiérarchie se font plus ressentir pour eux ».
François Jarraud
La discipline problème n°1 en FRance
La France le pays des vacances ?
Dégradation des conditions de travail