« La seule solution c’est travailler un peu plus longtemps », a déclaré E Philippe le 11 décembre en présentant son projet de réforme des retraites. Le gouvernement promet que les enseignants auront une retraite comparable à celles des cadres A de la Fonction publique. Mais pour cela ils devront accepter une redéfinition de leur service. Ni E. Philippe, ni JM. Blanquer n’ont voulu parler concrètement des engagements budgétaires de la revalorisation ou de ce qui pourrait changer dans les carrières et « l’organisation du travail » des enseignants. Soit le gouvernement n’a pas compris les inquiétudes exprimées lors des deux journées du 5 et du 10 décembre. Soit il a décidé de passer en force et de laisser pourri le mouvement d’opposition à sa réforme.
Une réforme présentée comme sociale
Le 11 décembre, E Philippe en appelait à P Mendes France et M. Rocard pour justifier son projet de réforme des retraites présenté comme un modèle de justice sociale. Même son de cloche chez JM Blanquer, s’exprimant après E Philippe. « C’est une réforme républicaine » assure le ministre de l’éducation nationale.
E Philippe en a fixé les grands principes et le calendrier. Il maintient la disparition des régimes spéciaux. « Le temps du service universel est venu. Celui des régimes spéciaux s’achève », dit-il. Tous les français, politiques compris promet le 1er ministre, seront au même régime de retraite. Autre dimension sociale : une pension minimum de 1000€ net pour une carrière complète au Smic.
Un calendrier précisé
Enfin le premier ministre parle d’un régime « favorable aux femmes » parce qu’il y aura des avantages pour les mères , une assimilation peut-être un peu rapide. En fait chaque enfant donnera droit à une majoration de 5% des ses points avec 2% en plus au delà de 3 enfants et cela pour tous les parents quelque soit leur revenu.
La réforme concernera les personnes nées à partir de 1975. Les autres resteront avec l’ancien régime et leurs points seront recalculés à l’entrée en fonction du nouveau régime en 2025. 2025 sera la date de généralisation du nouveau régime de retraite. Mais les premiers salariés entreront dans le nouveau système dès 2022 pour les jeunes arrivant sur le marché du travail.
L aloi sera présentée au conseil des ministres du 22 janvier 2020 .Elle sera au parlement en février et entrera en application au 1er janvier 2021.
Pour les enseignants pas de revalorisation sans redéfinition des services
Reste le cas des enseignants. Avec une retraite calculée sur toute la carrière au lieu des 6 derniers mois, le niveau de leur retraite devrait baisser fortement. La baisse serait d’environ un tiers.
Le premier ministre garantit que la pension des enseignants sera comparable à celle des autres cadres de catégorie A de la fonction publique. « On s’engage à une revalorisation de leurs traitements avant la fin du quinquennat », a promis E Philippe. « L’accent sera mis sur le début dans la carrière mais pas seulement ». Surtout il lie étroitement cette revalorisation à une redéfinition du métier enseignant. « Le temps doit nous donner l’ambition de repenser la carrière des enseignants », affirme E Philippe. Il parle d’évolution de la carrière et de l’organisation du travail. Et annonce des discussions qui se termineront à l’été 2020.
On comptait sur JM Blanquer pour entrer dans les détails de cette revalorisation et de cette redéfinition du métier enseignant lors d’un point presse dans l’après midi. Et on a été bien déçus.
JM Blanquer n’a pas manqué de formules flatteuses pour décrire la réforme. « C’est une opportunité de progrès considérables », a t-il déclaré. Il évoque une formule où tout le monde est gagnant. Il fixe trois principes à la réforme : la garantie que la pension ne baissera pas,ce qui n’est pas tout à fait la formule utilisée par E Philippe. La promesse d’améliorer la rémunération des enseignants Et enfin le principe d’une révision du métier d’enseignant.
Nous n’en saurons pas beaucoup plus. Alors qu’il avait évoqué une enveloppe de 400 à 500 millions par an pour permettre la revalorisation le 6 décembre, JM Blanquer ne veut pas la confirmer. La « revalorisation » concernerait surtout les enseignants nés avant 1975 et donc l’entrée dans le métier. L’enveloppe « sera très importante » et fera l’objet d’une loi de programmation. Mais son contenu reste un mystère. E Macron avait parlé de 10 milliards. Nul ne peut garantir qu’ils soient sur la table. Ou que ce soit 5. Ou 1. Ou même 0.
La revalorisation prendra t-elle la forme de primes ou de salaire ? Le ministre n’est pas précis mais estime que ce sera surtout des primes.
La seule certitude c’est qu’il y aura des discussions sur la redéfinition du métier enseignant. Le ministre annonce vouloir recevoir les syndicats à partir du 13 décembre. Et il organisera une conférence sur le métier de professeur au 21ème siècle en mars 2020 avec une comparaison internationale. Comme le dit JM BLanquer « il y a la garantie d’une amélioration de la rémunération. Il y aura des thèmes à discuter. Il y aura des devoirs et c’est ce dont on doit parler ». JM Blanquer n’en dira pas plus et il assume le flou.
Une opportunité surtout pour le ministre
Pour les enseignants finalement la réforme de la retraite se traduira peut-être par une revalorisation dans une proportion encore inconnue pour les enseignants entrant dans le métier. Mais pour tous ce sera surtout la redéfinition des obligations de service.
C’est ce qu’Emmanuel Macron avait annoncé le 5 octobre. » Le passage au nouveau système (de retraite) pour le corps enseignant ne peut aller qu’avec une transformation de la carrière. Il faudra repenser la carrière dans toutes ses composantes.. Il faut repenser la carrière. Il faut arriver à ce que la carrière progresse davantage. Comme on paye mieux on change le temps de travail (des enseignants) pour accompagner les jeunes différemment.. On regarde les vacances. Et on valorise la carrière de directeur ».
C’est l’opportunité exaltante dont parle JM Blanquer. La dernière redéfinition des carrières des enseignants date seulement de 2015. Mais visiblement pour le ministre elle a été insuffisante. Le nouveau régime de retraite lui donne l’occasion de modifier totalement le métier enseignant.
Ils vont entrer dans le scénario que nous avons annoncé le 10 décembre, celui de la personnalisation des carrières et des rémunérations. Personnalisation qui est aussi inscrite dans la loi de transformation de la fonction publique qui permet à la hiérarchie locale de jouer sur les rémunérations.
Ce principe de personnalisation sera renforcé par la part des primes dans la « revalorisation » annoncée. On sait que les primes sont versées aujourd’hui de façon très inégalitaire dans l’éducation nationale , au détriment des femmes et des corps les moins bien rémunérés. Demain les primes seront liées à l’acceptation de la redéfinition du métier voulue par JM Blanquer et ces inégalités ne pourront que grandir.
Pour conserver leurs droits de retraite les enseignants vont rentrer dans la politique ministérielle dont E Macron a esquissé les grandes lignes : augmentation du temps de travail, réduction de la durée des congés, acceptation de missions nouvelles d’accompagnement des jeunes dans l’établissement et sur le temps périscolaire. Voilà du moins là où le gouvernement veut les conduire.
Le choix de la confrontation avec les enseignants
Le plus surprenant ce n’est pas que les déclarations gouvernementales ne cachent rien des intentions d’une refonte complète du métier sous la menace du maintien des pensions. Ce n’est même pas la mise à l’écart d’une réelle revalorisation sans condition au profit d’un marchandage où tous les profs risquent de perdre beaucoup.
Le plus surprenant c’est que le gouvernement n’essaie à aucun moment de rassurer les enseignants et les autres salariés hostiles à la réforme. Pour les enseignants cela passerait par exemple par des garanties objectives sur le montant des pensions, par une enveloppe budgétaire la rendant possible, par des thèmes précis de discussion, par la garantie d’une revalorisation salariale pour tous et non de primes.
Bien au contraire le gouvernement sort de sa manche le report de l’age réel de la retraite de 62 à 64 ans (sauf pour les forces de l’ordre). Et il entretient un flou complet sur ce que va devenir la retraite des professeurs. Le seul point où il est précis c’est qu’ils vont devoir en passer par là ou le ministre le veut pour ne pas trop y perdre.
Le gouvernement semble faire le choix de la confrontation avec les enseignants. Il mise probablement sur un épuisement rapide de leur mouvement.
François Jarraud