« L’orientation scolaire est une des questions éducatives les plus sensibles et les plus controversées », écrit Aziz Jellab dans un texte rédigé pour le 42ème colloque de l’Afae. « Loin d’être l’expression d’un choix pour nombre d’élèves, l’orientation s’identifie à une distillation fractionnée, faite de renoncements, de résignation ou d’élimination différée. En France, où le poids des diplômes pèse beaucoup sur le destin social et professionnel de chacun, l’orientation met à l’épreuve l’égalité des chances et le modèle méritocratique, car à côté de l’origine sociale et de l’inégale maîtrise de l’information, le contexte scolaire et l’offre de formation modalisent aussi les inégalités de parcours. La distillation fractionnée interroge ainsi la capacité qu’a l’institution scolaire à lutter contre les préjugés comme le supposé « manque d’ambition des parents » et à offrir un accompagnement assurant à chaque élève la réalisation d’un parcours réussi. »
Il souligne les inégalités entre académies ainsi que l’importance de l’effet établissement. « Le choix repose sur des informations dont la pertinence est inégale selon l’appartenance sociale des individus », conclut-il. « C’est la notion même de choix qui suppose que l’individu dispose d’une liberté pour opter et décider entre plusieurs alternatives, qui est discutable. Ainsi, nos recherches menées auprès d’élèves de lycée professionnel ont permis de voir que nombre d’entre eux avaient intériorisé durant leur scolarité en collège une sorte de destin fonctionnant comme une fatalité, le choix d’orientation venant ponctuer une résignation, bien qu’ils puissent néanmoins déclarer avoir choisi la voie professionnelle faute d’avoir pu poursuivre en seconde générale et technologique. Ces dispositions intériorisées, le plus souvent sous l’effet de multiples signaux – les évaluations, les appréciations des enseignants, le niveau de la classe au sein de laquelle on est scolarisé – conduisent, pour reprendre le propos de Pierre Bourdieu, à ce que les agents refusent le refusé et à choisir le nécessaire. Les politiques d’orientation engagées par les établissements scolaires, un meilleur accompagnement des élèves, attentif tout autant aux apprentissages qu’à l’élaboration des choix, une ambition soutenue pour les publics les moins favorisés, atténuent les inégalités de parcours ».