Une humoriste déclarait récemment : désormais nous regardons des publicités entrecoupées d’émissions ! Le monde scolaire parle d’Education aux Médias et à l’Information (EMI) ou d’Enseignement Moral et Civique (EMI), mais on ne parle jamais de l’éducation à la publicité. On me rétorquera que cela fait partie de ces enseignements sauf que lorsque nous y regardons de plus près et analysons les discours dans ces domaines, la déconstruction de la place prise par la publicité y est très souvent absente, voire le parent pauvre. La publicité est désormais tellement présente dans notre quotidien que nous n’y prenons plus garde, nous nous en accommodons. Or la publicité à un coût financier, un coût cognitif, un coût moral et même parfois un coût politique et même culturel. Visible, mais aussi invisible parce qu’indirecte, la publicité devrait faire l’objet d’une étude systématique ainsi que de la formation des enseignants et éducateurs.
Un exemple permet d’en comprendre l’enjeu : un spot publicitaire récent (entendu le 3 décembre 2019) se termine par la phrase : » moi ce qui m’intéresse c’est ce qu’il y a dans mon assiette ». Même si les auteurs vont nous dire que c’est du second degré, il faut analyser le double sens et donc aussi le premier degré. Si à la fin d’une publicité pour des produits alimentaires on reconnait aisément la logique qui amène à associer le produit à la qualité (supposée), on peut aussi y lire qu’il s’agit de l’éloge de l’individualisme. C’est alors que le premier degré rencontre le troisième degré : pour le dire autrement le sens apparent de la phrase encourage, promeut en s’appuyant sur une analogie (culturellement située) une forme d’égoïsme ou de centration sur soi. Malheureusement la banalisation de la publicité fait que l’on ne se saisit pas de l’analyse de contenu qui pourtant permettrait de mettre à jour une idéologie.
Plusieurs exemples peuvent illustrer cette nécessité d’éducation qui n’est pas nouvelle pourtant. Le black Friday est, étonnamment car importé comme Halloween, un objet publicitaire du moment. Alors que d’aucuns s’empressent de reprendre le refrain anti-américaniste, la plupart des entreprises et commerces français sont entrés dans l’utilisation opportune de cette opération, qui s’inscrit dans un processus publicitaire plus large. Il suffit de regarder les publicités autour de cette date pour s’en convaincre. Agnès Crozet de l’Obsoco (L’observatoire société et consommation), dans une interview au journal Sud-Ouest, publiée le 29 novembre 2019, met en évidence l’ambivalence de nos comportements à propos du Black Friday. Elle s’appuie sur l’enquête menée dans son organisme (lien en bas de chronique) pour mettre en évidence l’acceptation effective de ce processus derrière un discours de méfiance. Quid de l’ambivalence dans l’école, dans la tête des jeunes, dans la tête des enseignants ?
Un autre aspect lié à la publicité est celui de la rentabilité de celle-ci. La lutte entre Google et les médias est d’abord basée sur la question des revenus de la publicité et surtout sur la manière de les capter. Car l’enjeu de fond est là. Ce n’est pas pour ou contre la publicité, mais c’est comment avoir des sources de revenus qui ne soient pas uniquement venus du lectorat. Les uns, médias antérieurs, voient arriver un acteur de taille mondiale qui capte la plus grande partie de la publicité. Mais les mêmes qui attaquent ces grands groupes ne rechignent pas à aller chercher, pour eux la publicité rémunératrice (le Canard Enchainé étant une exception historique notable). Cette publicité en ligne et rémunératrice touche aussi les particuliers qui développent des sites web, des chaînes vidéo en ligne et sont rémunérés indirectement ou directement par la publicité. Les attaques menées contre les acteurs mondiaux du numérique n’amènent pas à une réflexion, la publicité est une évidence acceptée par tous. Quand on nous dit que si c’est gratuit c’est vous (les données) le produit, on oublie encore de rappeler que le financement du gratuit vient justement de la publicité. Certains en sont à revendiquer même la rémunération des consommateurs de publicité…
Comme tentent de le montrer nos exemples, outre sa banalisation, la publicité est un objet compliqué dans une société qui en a fait un objet acceptable et accepté par tous (certains humoristes, acteurs et sportifs par exemple s’y sont associé). Ce qui est étonnant c’est que l’impact des messages publicitaires n’est pas suffisamment analysé. On critique plus facilement les écrans en général que ce qui est mis dedans en particulier. Nous sommes d’autant plus vulnérables que désormais nous avons aussi accès aux processus publicitaires. En effet si d’un côté il y a les professionnels, de l’autre il y a chacun de nous qui chercher la reconnaissance des autres et surtout la popularité. C’est ce mécanisme pervers qui invite chacun de nous à chercher à être populaire. Les réseaux sociaux numériques ont compris cela mais le détourne grâce à des algorithmes qui renforce le miroir de soi. J’ai l’impression d’être populaire, donc je vais accentuer mes propos pour renforcer celle-ci. Ainsi j’existerai ! Car ce qui est nouveau avec les moyens numériques c’est la puissance des canaux (notifications et autres inserts publicitaires non sollicités. Si certains sont en capacité de ne pas percevoir ces publicités, la plupart de la population est impactée car les messages sont aussi en « miroir de soi ».
En période de Noël il semble nécessaire que les enseignants se penchent sur les messages transmis par ceux qui veulent promouvoir leurs produits auprès des jeunes, des enfants. Il ne s’agit pas de dire « c’est pas bien », il s’agit d’apprendre à lire ces messages pour ensuite pouvoir, éventuellement, les retravailler avec les enfants. Mais ce travail n’est pas d’abord la déconstruction des produits publicitaires, mais plutôt un travail de fond sur la mise en scène d’idées au travers de discours multimédia et de dispositifs techniques qui tentent de nous faire céder à nos pulsions d’achat, de consommation. C’est très compliqué car l’impact de ces messages quotidiens sur les enfants est lié à leur banalisation, cela fait partie de leur paysage et leur permet de construire leurs représentations sociales. Il semble bien que chacun de nous, éducateur, soit appelé à analyser sa propre posture face à ce monde, à débanaliser cet environnement publicitaire. Il y a aussi un questionnement politique à avoir : à quoi sert la publicité dans notre société ?
Bruno Devauchelle
L’article et l’enquête de l’Obsoco (L’observatoire société et consommation)
Chronique du mardi 19 novembre 2019 par Charline Vanhoenacker
Sketch de Coluche sur la publicité
Les inconnus – la pub marketing sketch parodie