Sept enseignants sur dix étaient en grève dans le premier degré, six sur dix dans le second le 5 décembre. 700 000 manifestants à travers la France. Une mobilisation historique, comparable à celle de 1995. Ils étaient entre 700 000 et un million et demi, professeurs, cheminots, agents de la RATP, danseuses de l’Opéra, personnel hospitalier, gilets jaunes, salariés du privé. Bravant les lacrymos, les journalistes du Café ont suivi les cortèges à Paris et à Rennes.
« On s’est pris du gaz lacrymogène. On a manqué de peu de se faire charger… »
Seulement deux lignes de métro fonctionnaient normalement à Paris, pas de bus dans le centre de Paris et pourtant ils étaient nombreux dans les rues de la capitale où le cortège a eu beaucoup de mal à démarrer. Alors qu’une partie des manifestants arrivaient Place de la République aux alentours de seize heures, bon nombre d’entre eux étaient encore près de la Gare du Nord. La foule est compacte, les trottoirs pleins mais la bonne humeur est au rendez-vous, jeunes et moins jeunes côte-à-côte. Certains chantent, d’autres dansent… La bonne humeur est vite retombée pour les premiers arrivés Place de la République. Jeunes et CRS se sont confrontés. Ça gaze, ça charge, des départs de feu… La foule est si dense qu’aucun retour en arrière n’est possible. Il faut trouver d’autres alternatives pour aller Place de la Nation où là aussi il y a des affrontements. « On était sous le ballon du SNUipp-FSU, on essayait de sortir de place de la République, lorsqu’on s’est pris du gaz lacrymogène. On a manqué de peu de se faire charger… » témoigne Marianne, professeure des écoles en Seine-Saint-Denis (93). « Cela faisait longtemps que je n’avais pas vécu une manifestation aussi tendue ».
« Macron dit que cette réforme est sociale, va falloir qu’on lui redéfinisse le terme »
Malgré les tensions, les enseignants font entendre leur voix. Ils sont très nombreux à 18 heures Place de la République. « Je me suis organisée pour venir, j’ai marché plus d’une heure et demie pour arriver Gare du Nord, ce n’est pas pour partir maintenant » explique Linda, professeure de Maths dans le Val d’Oise (95). Mais les enseignants ne sont pas là seulement pour marquer leur refus de la réforme des retraites. Paul-Émile, professeur des écoles à Toussus-Le-Noble (78) fait preuve d’humour lorsqu’on lui demande ce qui explique sa présence, « Il y a quand même pas mal de réformes qui expliquent pourquoi on est là. Macron nous dit que cette réforme (ndlr : réforme des retraites) est sociale. Il va falloir qu’on lui redéfinisse le terme, il ne l’a pas bien compris. Et puis, nos conditions de travail sont de plus en plus pénibles. On a des classes surchargées, on n’est pas valorisés, on nous paie mal et là on va toucher à la seule chose qui nous reste. Le pire, c’est que l’on nous prend pour des idiots. Depuis quinze ans, on nous explique que l’on ne peut pas augmenter nos salaires et là, on nous promet une revalorisation qui compensera les 30% de perte de nos pensions. Sérieusement, ils pensent encore qu’on va leur faire confiance ? » Quentin, son collègue professeur du second degré, liste tous les reproches qu’il fait au gouvernement, et tout particulièrement à Jean-Michel Blanquer. « On a un Ministre qui, lorsqu’il est arrivé rue de Grenelle, a assuré qu’il ne voulait pas d’une loi à son nom. En fait, on avait mal compris le message, il n’en voulait pas une mais plein ». Une grève qu’ils assurent tous deux vouloir reconduire. « On ne va rien lâcher ».
« Notre ministre, une espèce de bulldozer qui n’écoute rien »
Audrey est enseignante en lycée, elle manifeste avec son frère qui travaille à la RATP, en grève lui aussi. « On s’est retrouvé, d’un point de vue symbolique et littéral (ndlr : à place de la République). Notre combat est commun ». Plutôt réformiste et modérée, elle a peu l’habitude des manifestations, privilégiant le compromis. Mais pour elle, là c’en est trop. « Je suis ici pour dire non à la réforme des retraites et à sa méthode de calculs. Mais pas que. La réforme du bac, du lycée, les indemnités inégales pour les E3C… C’est un vrai matraquage. Croyez-moi l’ambiance en salle des profs est morose ». Dans son lycée, seuls cinq enseignants assurent leurs cours. « Même la direction était en grève ».
Renaud du Lycée Balzac en Seine-et-Marne (77) est venu avec un grand nombre de ses collègues, regroupés derrière une banderole. Pour lui, même son de cloche, il est là contre la réforme des retraites « mais aussi pour nos élèves, pour leurs parents, pour qu’ils puissent vivre dignement après des années de travail alors qu’on a les riches, en haut, qui vivent en permanence de notre travail sans jamais être traités de privilégiés. Et s’il y a autant de profs dans la rue, c’est aussi parce qu’on est en colère contre notre ministre, une espèce de bulldozer qui n’écoute rien sur la réforme du bac, du lycée, sur la question des salaires et des conditions de travail ». Ils sont 75% de grévistes dans son établissement, enseignants et agents territoriaux, « un niveau rarement égalé auparavant ». Et ce n’est qu’un début puisque que le principe de reconduction est déjà voté jusqu’à mardi « au moins ».
« Épuisés, au bord du burn out, on veut nous imposer une réforme des retraites qui nous touche nous encore plus durement que les autres »
Chrsitian et Laadja sont venus manifester en famille. Lui est un jeune retraité professeur d’histoire géographie, elle directrice d’une école élémentaire parisienne. Pour lui, « cette réforme est un enfumage de première. Et les mensonges de Blanquer et ses sbires sur ce que sera la retraite des enseignantes m’horripilent. Je suis là pour les dénoncer ». Pour elle, il s’agit de « défendre un régime de retraite qui n’est pas parfait mais qu’il faudrait améliorer. Là on nous propose pire ». Isabelle, professeure dans un établissement privé, est des manifestants. « Nos conditions de travail sont dégradées, on est épuisés, au bord du burn out et là on veut nous imposer une réforme des retraites qui nous touche nous encore plus durement que les autres ».
Vendredi, un grand nombre de trains, métros et bus parisiens seront à l’arrêt. Beaucoup d’enseignants semblent aussi ne pas vouloir reprendre docilement le chemin de l’école. Pourtant, à l’Élysée, la tendance semble plutôt au bras de fer…
A Rennes
Le premier degré est très représenté dans le cortège rennais. Anne-Marie, professeure des écoles près de Rennes depuis 12 ans, gagne 1700 euros nets par mois. « Heureusement que mon mari a une meilleure situation, pourtant nous avons le même diplôme ! J’adore mon métier mais notre travail n’est pas reconnu ».
Première manifestation pour Sandrine, enseignante en espagnol dans un lycée privé du Morbihan qui a fait le déplacement à Rennes. « Je pense à ma retraite mais c’est surtout une accumulation depuis 2 ans. Nous avons des classes surchargées. La réforme du lycée demande énormément de travail. Le fossé collège-seconde s’est accru. L’accompagnement individuel est rendu très difficile. » A Rennes aussi des enseignants du privé sont dans la rue
Nadia Habassi et Julien Cabioch