La grève du 5 décembre contre la réforme des retraites va réunir un pourcentage inégalé d’enseignants. Selon le ministère de l’éducation nationale il devrait y avoir au moins la moitié des enseignants en grève. Selon les syndicats de 60 à 75%. Ce sont des taux qu’aucun mouvement n’a atteint depuis au moins une génération d’enseignants. Le 5 décembre c’est vraiment toute une profession qui se redresse contre la politique gouvernementale. Ce mouvement trouve ses raisons dans une réforme qui punit les enseignants et que le gouvernement ne cesse d’aggraver par ses mensonges et ses manoeuvres. Mais un réveil aussi puissant puise son énergie dans un ras le bol plus général que l’on a senti aussi cet été. Le risque d’un mouvement long existe. JM Blanquer, qui n’y est pas pour rien, en semble conscient.
Un mouvement d’une ampleur inédite
Jean-Michel Blanquer en bafouillait presque le 4 décembre en donnant les prévisions de grève pour le 5 décembre. Dans le premier degré, selon le ministère, il y aura 55% de grévistes. Le Snuipp Fsu, premier syndicat du primaire, parle de 70%. Dans le second degré, le ministre annonce 50% de grévistes. Le Snes Fsu, premier syndicat du secondaire, parle de 60%. Pou rune fois l’écart entre les chiffres officiels et ceux des syndicats est réduit. Cela montre la certitude d’un mouvement d’une très grande puissance. Pour rappel la précédente grève contre la réforme des retraites, le 25 septembre, avait eu un taux de participation très faible.
Une réforme qui punit les enseignants
Comment expliquer un mouvement aussi puissant? C’est que la réforme gouvernementale est très dure pour tous mais en plus très injuste envers les enseignants qui en sont les principales victimes. La réforme des retraites voulue par le gouvernement réalise une vraie coupure avec les régimes de retraite précédent. Parce qu’il installe un système qui passe de droits acquis à des points. Ces points peuvent facilement varier e cette réforme relève de la gestion et non d’une vision politique ou sociale.
Dans la réforme, le montant des retraites varie selon les points acquis. Ceux-ci correspondent aux salaires perçus tout au long de la carrière, primes inclus. Or les salaires enseignants ne s’élèvent qu’en toute fin de carrière. Ils sont très faibles auparavant. Calculer la retraite enseignante sur toute la carrière au lieu des 6 derniers mois fait chuter énormément le montant de la retraite. Rappelons que selon l’insee le salaire des enseignants est inférieur de 25% au salaire moyen des autres cadres A de la fonction publique. Les enseignants touchent moins de primes que les autres fonctionnaires. Le ministère le reconnait lui-même : un attaché d’administration touche 45% de primes. Chez les enseignants on a en moyenne 12% de prime selon le Bilan social du ministère.
Quelle différence entre la retraite actuelle et celle que le gouvernement veut mettre en place ? D’après le calcul du Snes Fsu, pour un professeur certifié, la différence est énorme. Un enseignant partant après 43 ans de carrière ne toucherait plus que 1932 € au lieu de 2885 aujourd’hui. Avec 40 ans de carrière, on passerait de 2281 à 1755 €. On a donc une baisse particulièrement forte. Celle ci ne sera pas aussi importante chez les autres fonctionnaires du fait de leur grille salariale et des primes.
Des inégalités renforcées entre les enseignants
Mais cette moyenne cache d’importantes inégalités. La part des primes dans le salaire brut atteint seulement 7% chez les professeurs des écoles (PE) contre 15% dans les corps du second degré. On le sait les PE n’ont pas la possibilité de faire des heures supplémentaires à la différence des enseignants du 2d degré. Leurs primes correspondent à l’ISAE, une conquête récente, et à l’indemnité de direction (pour les seuls directeurs).
Même à l’intérieur du second degré, la répartition des primes est aussi inégale. Les enseignants sur les échelles de rémunération les plus élevées sont ceux qui touchent le plus de primes. Ainsi les primes représentent 13% du salaire brut des certifiés et PEPS mais 16% des agrégés et 34% du salaire des professeurs de chaire supérieure. Chez les personnels d’encadrement les primes correspondent à 17% du salaire des personnels de direction et d’inspection, mais à 40% de ceux de l’encadrement supérieur.
La plus importante inégalité est entre les sexes. Chez les certifiés par exemple, les hommes perçoivent 100 euros de prime de plus par mois que les femmes. Dans le premier degré, où le volume des primes est deux fois plus faible, la différence est de 65 euros. Les femmes, sur qui repose souvent l’essentiel des activités familiales, sont moins à même de faire des heures supplémentaires ou des IMP que les hommes. En prenant en compte les primes, la réforme des retraites accentue ces inégalités en les rendant pérennes après la retraite.
Des déclarations qui aggravent les choses
En avril 2019, E Macron se voulait rassurant. Il annonçait une revalorisation des enseignants pour leur permettre de maintenir le niveau de leur retraite. Mais l’annonce semblait bien avancée. Pour maintenir les retraites avec le nouveau système il faudrait relever les salaires de 25 à 30%. Le Café pédagogique a évalué le coût à environ 10 milliards. Le 3 octobre à Rodez, E. Macron évalue lui aussi à 10 milliards l’effort nécessaire mais c’est pour affirmer que » si je voulais revaloriser comme c’est je mettrais 10 milliards. Je ne vais pas revaloriser demain. C’est vos impôts ! » Et il lie toute hausse de salaire à un nouveau contrat de travail pour les enseignants. » Le passage au nouveau système (de retraite) pour le corps enseignant ne peut aller qu’avec une transformation de la carrière. Il faudra repenser la carrière dans toutes ses composantes.. Comme on paye mieux on change le temps de travail (des enseignants) pour accompagner les jeunes différemment.. On regarde les vacances ».
JM BLanquer confirme en novembre les propos présidentiels. Dorénavant, dans les discussions avec les syndicats, il n’est plus question de revalorisation mais de hausse avec contreparties. La hausse éventuelle prendrait la forme de primes et d’IMP. Autrement dit elle ne concernerait qu’une partie des enseignants, les autres restant avec des retraites très faibles. Enfin, cerise sur le gateau, le 4 décembre le ministre promet de maintenir les pensions mais à condition de partir en retraite plus tard !
Les syndicats eux se plaignent de l’absence de véritable négociations. « A chaque rencontre on refait le diagnostic. Mais le gouvernement n’ayant pas arrêté ses arbitrages on ne negocie pas », explique B Groison, secrétaire générale du Fsu.
Les retraites n’expliquent pas tout
Un tel niveau de mobilisation ne peut se faire sur un seul motif. Depuis des mois couve un mécontentement sourd contrebalancé jusque là par le découragement et le repli sur soi. On ne a vu la force cet été avec le mouvement sur le bac. Là on touche à la gestion de l’éducation nationale par JM Blanquer. Les enseignants sont las du mode de pilotage injonctif, brutal et inquisiteur que le ministre a mis en place avec notamment des pressions très fortes dans le premier degré sur la pédagogie et un controle administratif renforcé des activités pédagogiques. Ils sont las des réformes mises en place à marche forcée dans le mépris de complet des avis et des remarques des professionnels. Ils ne sont ni écoutés ni respectés par une administration qui avec JM BLanquer se sent pousser des ailes. Cela se traduit par des drames : les suicides et les tentatives traduisent l’ambiance instaurée depuis 2017.
Le mouvement va être durable
« Ce qui est important c’est que le travail puisse reprendre après (le 5 décembre). Le 4 décembre, JM BLanquer a bien compris que le mouvement du 5 décembre ne va pas s’arrêter là. La mobilisation est d’une puissance extrême. Les enseignants sont surs de leur bon droit. Et le ras le bol est trop profond, trop contenu depuis des mois.
Du coté des syndicats on se prépare à une lutte longue. « Si des reconductions sont décidées on les soutiendra », dit on à la Fsu. On semble surtout soucieux de construire un mouvement syndical uni.
Risque politique
Mais « on n’a pas le pied sur le frein », précise aussi Bernadette Groison. C’est que le gouvernement a entamé une mise à mort des syndicats enseignants. Le 1er décembre, il a publié au JO un décret mettant fin à plus d’un demi siècle de paritarisme. Au 1er janvier 2020 les syndicats perdent leur droit de regard sur le mouvement et un an plus tard sur l’avancement. En leur retirant ces droits le gouvernement veut les affaiblir et installer l’autorité hiérarchique dans le système.
Il joue le tout ou rien. Et il pourrait bien découvrir que seuls les syndicats sont capables de stopper un mouvement de très grande ampleur. En tous cas les syndicat souhaiteront peut-être lier une fin de crise à l’aménagement de la loi de transformation de la fonction publique.
Le gouvernement semble découvrir qu’il a lancé une mobilisation au moins aussi forte que celle de 1995. Comptant peu de politiques chevronnés, beaucoup plus technocratique, serait-il capable , comme en 1995, d’imaginer la formule politique qui mette fin à une crise politique ? C’est là que réside le plus grand risque de la crise dans laquelle s’engage le pays.
François Jarraud