Nous sommes le 29 novembre et j’ai rendez-vous avec la maman d’une élève de CE1. Cette élève a une écriture qui est difficile : elle écrit « gros » et « tordu », pas toujours sur les lignes même si ça s’améliore un peu et qu’elle est contente de progresser. Elle arrive même à souligner la date ou les mots importants maintenant, mais ça lui « coûte » ! En tout début d’année, lors des premiers travaux en classe j’ai vite remarqué cette « particularité ». La maman d’E. m’avait d’ailleurs demandé un entretien juste à l’issue de la rencontre parents-prof de rentrée.
J’avais alors eu un rendez-vous quelques jours plus tard avec la maman et aussi le papa d’E. J’avais rencontré une maman très stressée et un papa peut-être un peu « trop » décontracté », mais constatant comme nous les difficultés de passage à l’écrit. E. inverse aussi certains chiffres. Elle a une grande sœur de 14 ans (« deux fois mon âge ! » m’avait-elle dit un jour). « E. a un comportement « d’ado », elle est très dilettante et « n’aime pas l’école » m’avait déclaré alors sa maman.
E. a fait un long texte libre le matin même. Les mots sont correctement alignés sur les lignes et j’avais vu qu’elle était absorbée par son travail. Elle n’a pas souhaité le lire à la classe lors des « lectures offertes » d’après textes libres, mais manifestement, elle est contente de son travail ; j’avais pu voir l’aspect général soigné en récupérant sa feuille dans la boîte des textes en cours. Je la félicite et valorise les progrès accomplis depuis le premier texte très court et sibyllin de début d’année : « Je n’ai rien à écrire. C’est comme ça ! ». Je sens qu’elle se détend et ça fait du bien. Ce soir, pour le rendez-vous avec la maman, je me promets de montrer son long texte.
17h, voilà la maman. Un peu inquiète pour sa fille, elle vient m’informer des résultats du bilan de l’orthoptiste que l’équipe du réseau m’avait conseillé de faire faire. Des séances de correction d’une légère convergence devraient l’aider, elles sont prévues en janvier. Je suis content pour E. car cela apporte une raison objective à ses difficultés … mais la maman elle n’est pas très convaincue et reste sceptique. Je m’empresse de valoriser la bonne volonté que démontre E. en classe tous les jours, sa participation active et plutôt enthousiaste aux travaux de la classe, etc. Me rappelant son texte, je le récupère et me mets à lire à voix haute son (long) texte libre que je n’ai pas encore toiletté avec elle. Très concentré, je lis le texte de sa fille, pas toujours facile à déchiffrer, entre l’écriture un peu rock’n’roll et les erreurs d’orthographe :
« Ève et Délia arivair dans le jaredin fantachtik. Délia regardat les beau zarbres et Ève croca dans le frouit. La nuit tombe. Soudain ils … »
Et la maman qui part dans un fou rire ! « ah ah ah, EVE CROQUA DANS LE FRUIT » !! Toute la tension de la maman qui s’en va d’un coup, et moi qui rigole aussi car je n’avais pas vu le côté comique de la phrase, étant tout à mon déchiffrage… et la maman qui me dit dans un hoquet de rires « ah ça c’est vrai qu’elle nous parle beaucoup plus de l’école cette année, ah c’est vrai qu’elle fait des efforts, et aussi avec sa grande sœur, ah c’est vrai que ceci .. ah c’est vrai que cela … »
Champagne !
Philippe Gilg
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Une question
Comment faire alliance avec les parents sans pour autant trop dévoiler le « jardin secret » des enfants ?
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