Chaque jour, nous entendons de la bouche des jeunes et des adultes l’écho de propos captés sur les médias, tous les médias. De vu à la télé à lu sur Facebook, Instagram ou autre, les exemples foisonnent. C’est dire l’importance qu’ont les médias dans la relation que chacun d’entre nous entretient avec le monde qui nous entoure. Ce monde n’a cessé de grandir depuis deux siècles et particulièrement depuis l’avènement d’Internet. Mais l’agrandissement virtuel de notre monde s’est accompagné aussi de nouvelles formes de « transmission ». La médiatisation d’une information est d’abord une activité professionnelle (transformation d’un fait en information), mais c’est aussi un phénomène technique et humain. Ce qui caractérise l’époque récente depuis le développement d’Internet, c’est que la médiatisation a transformé la médiation (se situer entre deux « lieux » et faire le lien). Si certains ont pu parler de désintermédiation, c’est que l’on a observé que jeunes comme adultes accèdent à des informations par des voies nouvelles mais aussi en produisent et en diffusent. Les médiateurs traditionnels de la société (journalistes, médecins, enseignants, secrétaires de mairie etc..) ont été dilués dans toute la population, à égalité avec elle désormais. Dès lors éduquer aux médias ne peut se penser sans intégrer ce questionnement.
On pouvait penser à l’aube des années 2000 que les médias centralisés, de mass ou médias de flux seraient balayés par Internet, par le web et plus récemment par les réseaux sociaux. Force est de constater que ce n’est pas le cas. Même si certains médias de masse sont en difficulté (en particulier sur le plan financier) le tournant qu’ils ont pris leur a permis de s’insérer, de s’imposer dans un nouveau paysage médiatique. A la question de la concurrence nous avions répondu en 2000 lors d’un échange avec un de ces médias de masse qu’il y aurait une continuité nouvelle qui se construirait. Toutefois les ruptures actuelles sont d’abord sur le plan financier, la concurrence entre médias à pris un nouveau tournant depuis le début de ce siècle On peut le constater aujourd’hui, cette continuité est bien là et même tellement là que les médias de masse, de flux, ont réussi le tour de force de maîtriser les médias sociaux, les médias interactifs. Pour le dire autrement, l’éducation aux médias est désormais une éducation à tous les médias et à leur modèle économique aussi.
Car Internet et les réseaux sociaux sont à l’instar de la télévision, la radio, les journaux, des médias. Si l’on parle souvent d’Internet, il faut parler aussi des chaines d’information en continue créées pour la première en 1987 (France Info) et les suivantes depuis les années 1990. Concordance des temporalités, elles se sont multipliées en même temps qu’Internet. Internet, le web, les réseaux sociaux n’ont pas remplacé, éliminé les autres médias. Des études récentes ont démontré qu’au contraire la continuité et complicité de l’un et l’autre étaient devenues la norme. Ainsi un message sur un réseau social qui ne touche que 20 000 personnes risque d’en toucher bien plus dès lors qu’un média de masse le réutilise, les médiatise. Il est devenu courant d’entendre dans les journaux télévisés ou radiodiffusés des évocations de ces messages lus sur les réseaux sociaux souvent accompagnés d’une mesure de la popularité qui légitimerait cette médiatisation. Les médias de masse s’alimentent de cette nouvelle « masse » que représente la circulation des messages sur le web.
Eduquer aux médias suppose de se questionner plus en amont sur ce que signifie la « médiatisation » d’une part et sur la « médiation » d’autre part. Un petit livre utile écrit pas François Ruffin en 2003 (les petits soldats du journalisme, Pluriel, les Arènes) donne une idée de cette continuité naissante mais aussi de ce processus de médiatisation qui impose un choix de médiation aussi bien aux professionnels du journalisme qu’à leurs lecteurs/spectateurs. Nous observons de plus en plus que l’on semble être passé d’une médiatisation manipulatrice à une médiatisation manipulée. Ainsi l’excès et les approximations présents dans les propos d’hommes politiques, de militants est devenu quasiment une norme. Peu importe si ce que je dis est faux, c’est la manière de médiatiser qui compte. Faisant ainsi disparaître les rôles de médiateurs antérieurs, les médias interactifs rejoints désormais par les médias de flux, sont soumis à ceux qui savent les manipuler. Et chacun de s’y atteler, même si ce n’est pas vraiment nouveau : comment faire en sorte que l’information diffusée me convienne ? En imposant sa diffusion aux autres, professionnels ou non, avec véhémence le plus souvent. Bref en se posant en médiateur.
La médiation en information communication est désormais une activité commune qui n’est plus qu’uniquement réservée aux professionnels. La vie des médias est justement l’enjeu de ces médiations. Cette vie est désormais influencée par les moyens financiers, d’abord, techniques ensuite. Financiers si l’on en juge par la publicité devenue tellement banale qu’on ne s’en soucie même plus. Technique car certains pays ont bien sûr réussi à bloquer les médiations en bloquant la circulation, les flux. Or en coupant ces flux, les pouvoirs ont compris l’extension des médias aux individus. Les pouvoirs ont aussi compris que la maîtrise de la médiation dans une société est un moyen d’étouffer toute contestation. Dès lors l’éducation, mais surtout l’enseignement est-il encore une médiation libératrice ? Ou n’est-il pas une sorte de manipulation voulue de la jeunesse, même parfois au travers d’une éducation aux médias et à l’information ?
Ce qui rend beaucoup plus difficile l’éducation aux médias aujourd’hui c’est ce glissement qui s’est opéré et des rapprochements entre médias centralisés et médias interactifs. Si au début de cette éducation les médias étaient des objets extérieurs à la plupart des citoyens, désormais les citoyens font partie, sont devenus des médias. Il y a donc une double éducation à construire. Une éducation qui articule les moyens avec les fins. A moins que nous ne retournions à l’étape antérieure au développement d’Internet, celle du monde centralisé et autoritaire.
On peut penser et observer que nombre de citoyens sont d’abord des spectateurs avant d’être des acteurs qui s’expriment, jusque dans la rue. Mais cela ne doit pas être trop fortement dénoncé. Celui qui manifeste dans la rue ou dans un mouvement social entend bien être médiateur de sa cause et rallier les médias de masse à sa cause. Ceux-ci en retour, en mal de popularité choisissent les évènements et les médiatisent selon leur propre logique (financière assez souvent) voire leurs intérêts. Et pourtant une analyse statistique montrerait aisément que ces manifestants sont minoritaires en regard du nombre de silencieux. De nouvelles formes de médiations sont en train d’émerger comme on a pu le voir avec les grands débats tenus au cours de l’hiver 2018 – 2019. Les continuités se sont encore élargies car certains silencieux s’exprimaient en dehors des circuits habituels (médias, représentants syndicaux, politiques etc.). Plus globalement c’est une reconstruction de ce que peut être la démocratie qui est en train de se jouer, or l’école peut-elle encore enseigner et éduquer à cette démocratie ?
Bruno Devauchelle
Toutes les chroniques de B Devauchelle
François Ruffin les petits soldats du journalisme, Pluriel, les Arènes, 2003
On pourra aussi lire ce numéro récemment paru qui fait un point sur la recherche et l’EMI :
L’éducation aux médias et à l’information : recherches et pratiques, Revue Communication et langages, 2019/3 (N° 201)