Trente ans après sa création, le bac pro n’est toujours pas un bac comme les autres. Fabienne Maillard (Paris 8) et Gilles Moreau (Gresco Poitiers) dirigent un volume (Le bac pro un baccalauréat comme les autres ? Cereq Octarès éditions) qui explore l’univers de l’enseignement professionnel dans son histoire, ses politiques, ses pédagogies et sa sociologie. Quand on évoque le bac pro on est toujours coincé dans la problématique promotion sociale / ségrégation. Car le bac pro est les deux. Construit sur l’échec scolaire , le bac pro est un extraordinaire outil de réussite comme le montre très bien un article ethnographique de l’ouvrage. Le bac pro est aussi à lire dans ses rapports compliqués avec l’apprentissage. Rapports où le bac pro est à la fois victime des offensives patronales et prédateur de formations non scolaires.
La réforme et les promesses d’égalité
« Trente ans après sa création, ce diplôme est-il devenu un baccalauréat comme les autres , demande Fabienne Maillard dans une remarquable synthèse sur son histoire. La réforme de 2007 en alignant sa durée sur celle des autres bacs a voulu signifier son alignement sur les autres bacs. La réforme visait à renouveler le public du bac pro et à affirmer sa vocation de préparation au supérieur. Mais pour F Maillard, le bac pro est resté un bac différent malgré une extraordinaire montée en puissance. Il oscille toujours entre insertion professionnelle et poursuite d’études. « La création de liens de plus en plus étroits entre le bac pro et l’enseignement supérieur semble nécessiter des mesures qui contredisent systématiquement l’apparente mise en équivalence des 3 baccalauréats », écrit elle. « Nouveau signe de cette contradiction, la réforme en cours a prévu de réduire le nombre d’heures de l’enseignement général… Les promesses d’égalité entre les baccalauréats et d’une circulation plus fluide entre les différents cursus semblent dès lors compromises en dépit de tous les discours ».
La relation profs – élèves au coeur du bac pro
Le bac pro c’est aussi une pédagogie particulière qu’étudient excellemment Julie Jarty et Prisca Kergoat (université Toulouse Jean Jaurès). Elles étudient ce qui est au centre de la réussite mais aussi des difficultés de l’enseignement professionnel : les relations entre professeurs et élèves.
Ce qu’elles montrent c’est que ce ne sont pas les contenus scolaires qui génèrent le rejet par les élèves et la relation, mais la relation entre prof et élèves qui permet de construire les contenus scolaires. Ce sont les élèves les plus en souffrance au collège qui se déclarent les plus heureux au lycée professionnel : « 33% des élèves stressés au collège ne le sont plus au lycée; 51% des élèves malheureux au collège se déclarent heureux au lycée ».
Mais cette réconciliation avec l’école qui est réalisée par les professeurs leur transfère d’une certaine façon une part de la souffrance. Car les professeurs, expliquent Julie Jarty et Prisca Kergoat, doivent mettre les savoirs disciplinaires au second plan devant l’objectif premier de la construction de la relation. Ainsi une enseignante qui doit : « c’est plus un travail de maman, d’assistante sociale, d’infirmière, de psychologue, des choses pour lesquelles on n’est pas formé.. On fait tout sauf notre métier ». Enseigner en LP c’est en tous cas faire un autre métier. C’ets aussi être confronté aux malheurs qui s’abattent si souvent sur ces jeunes.
Les objectifs de comportement sont particulièrement importants en bac pro comme le montrent Julie Jarty et Prisca Kergoat. Elles présentent le caractère très genré des transgressions opérées en classe : filles bavardes, garçons agressifs. Elles montrent aussi les apprentissages de la disciplinarisation de soi opérés en lycée pro.
Vers de nouvelles ségrégations ?
Pour elles c’est tout ce travail sur les personnes qui donnent au final du sens aux enseignements et au passage dans la filière. « Plus que les expériences de stage, la qualité de la relation contribue à donner du sens à leur formation et leur ouvre de nouvelles perspectives dont, pour certains, la possibilité d’investir le registre des apprentissages… L’enjeu ne tient pas tant dans la relation que dans ce qu’elle permet : la possibilité de pouvoir enfin s’affranchir de la dépendance symbolique à l’égard d’autrui ».
Philippe Lemistre (Toulouse Jean Jaurès) d’une certaine façon conclut l’ouvrage en posant la question de la ségrégation. Chiffres à l’appui il montre des mécanismes de ségrégation interne à la filière bac pro en ce qui concerne la réussite scolaire. Ceux ci pourraient peser sur l’évolution des bacs pros avec une ségrégation interne entre spécialités de bac pro et entre apprentissage et voie scolaire.
F Jarraud
Fabienne Maillard, Gilles Moreau, Le bac pro un baccalauréat comme les autres ? Cereq Octarès éditions, 2019, ISBN 978-2-36630-094-9