Quand les parents des quartiers populaires se saisissent de la question de l’éducation sur leur territoire, cela donne les Etats généraux de l’éducation. En 2017, pour leur première édition, l’événement avait lieu à Montpellier. En 2018, à Créteil. Cette année ce sera à Stains (93) les 29 et 30 novembre 2019. Magda Jouini, Chadia Mahdjoub et Karima Boucenna, toutes trois du collectif d’habitants et habitantes organisant l’évènement, expliquent leur mobilisation.
Pourquoi des états généraux ?
Nous souhaitons passer d’une position victimaire, dans laquelle les quartiers populaires se sont enfermés avec une redondance des dénonciations d’inégalités territoriales, à une position de force clairement assumée. Nous sommes force de propositions avec des solutions pérennes et concrètes. La réalité est là sous nos yeux, depuis des décennies, dans nos quartiers, les inégalités perdurent voire s’aggravent. C’est là-dessus que nous souhaitons mobiliser. Il faut que les différents acteurs prennent leurs responsabilités. Et puis cette cause n’est pas spécifique à Stains, ou encore à la Seine Saint Denis ni même aux quartiers populaires. Cet appel que nous avons rédigé nous a permis de mobiliser et d’être rejoint au-delà des territoires périphériques, puisque les territoires ruraux sont également concernés par ces inégalités de fait que nous dénonçons.
Concrètement, que dénoncez-vous ?
Nous dénonçons cette éducation à double vitesse qui depuis des années crée sur le territoire français des générations d’élèves traitées de manière inégalitaire seulement du fait de leur appartenance territoriale. Par exemple, on ne compte pas les études et rapports qui confirment qu’un élève des quartiers populaires en comparaison à celui des quartiers plus favorisés perd une année tout au long de sa scolarité du fait d’un manque de remplacements d’enseignants lorsqu’il y a des absences mêmes à long terme, le fait que les classes soient surchargées et donc que le temps imparti dans le travail au cas par cas n’est pas suffisant voire possible ou pas, le manque de professionnels spécialisés tels que des AVS, des conseillers d’orientation, des médecins, des infirmières, des maître E, des psychologues etc… qui ont un impact direct sur le déroulement de la scolarité et son environnement.
Et que revendiquez-vous ?
Nous demandons donc que le double discours de l’État cesse et qu’il considère enfin nos enfants comme des enfants à part entière de notre république en apportant de réelles réponses concrètes sur le terrain et pas un énième saupoudrage de moyens financiers. Nous demandons une réflexion de fond qui repose sur une étude des besoins de nos quartiers en y associant les réels intervenants présents sur le terrain comme les enseignants eux-mêmes, les parents et spécialistes de l’éducation. Nous ne voulons plus d’une réponse venant des plus hauts – ministères, hauts conseillers de l’ETAT, etc. – sans qu’y soient associés les personnels de terrain.
Même s’il s’agit de la troisième édition des états généraux, c’est tout de même assez nouveau comme initiative. À quelle occasion vous êtes-vous lancées ?
Un groupe d’habitantes en qualité d’intervenantes – dont Chadia et Karima – au sein du centre social Yamina Setti (ndlr : centre social de la ville) a été invité à assister à une intervention autour des inégalités entre la banlieue parisienne et les collectivités plus riches, lors des deuxièmes états généraux de l’éducation à Créteil en 2018. De là est née notre volonté d’en faire de même à Stains puisque nous partageons la même expérience et ce n’est qu’en amplifiant la mobilisation que nous serons entendus. Dès lors, nous avons rejoint plusieurs collectifs d’habitants et associations, dont ceux de Montpellier, de Créteil et plus récemment ceux de Blanc Mesnil, de Toulouse et Marseille. Et ce n’est qu’un début !
Un tel évènement nécessite des moyens, qui vous soutient « financièrement » ?
Nous sommes soutenus dans notre démarche avant tout par la municipalité à travers le centre social Yamina Setti et la maison des parents qui accompagnent la logistique de cette mobilisation et différents spécialistes comme des journalistes et philosophes. Le financement lui est un fond social que nous avons sollicité auprès de la collectivité dans le cadre de ce collectif que nous utilisons de manière autonome et indépendante. Mais que les choses soient claires le mouvement stanois est avant tout une démarche citoyenne de parents engagés pour l’avenir de leurs enfants.
Et qu’escomptez-vous à la sortie de ces états généraux ?
Dans un premier temps, et nous avons envie de dire même tout simplement, un peu d’honnêteté. Il faut que l’on reconnaissance le décalage existant entre nos vécus, ceux de nos enfants et ceux de communes plus riches. Il faut donc reconnaître ces inégalités et que cela s’accompagne d’un changement de cap et de discours sur nos quartiers tant stigmatisés. Mais au-delà des discours nous souhaitons surtout que nos préconisations soient réellement prises en compte car cela n’a pas été le cas avec les états généraux de l’éducation précédents où l’on avait promis : le renforcement des formations des enseignants dans ces quartiers spécifiques, une meilleure gestion des contractuels, des moyens humains et spécialisés supplémentaires, une carte scolaire revue qui permettrait de favoriser une meilleure mixité sociale pour lutter contre une ségrégation qui parfois dans certains quartiers mène à l’entre soi, une meilleure reconnaissance du rôle des parents d’élèves, qui sont bien souvent porteurs de différentes revendications en tant que partenaires à part entière de la communauté éducative, etc.
Ainsi, rendez-vous est pris vendredi et samedi 29 et 30 novembre à Stains. Au programme de vendredi soir, projection du film « La vie solaire » puis performance de lightpainting. Samedi, l’éducation aura son procès dans la pièce : « L’éducation : flagrant délit d’inégalité ». S’en suivront diverses tables rondes dont l’une sur la légitimité des parents.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda