Faire classe dehors ? c’est une pratique, assez récente en milieu urbain, qui commence à joyeusement se répandre. L’idée ? Une demi-journée par semaine, les élèves renouent avec la nature, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige. Assez simple en milieu rural ou semi-rural, sûrement moins dans les grandes villes. Mais là aussi, c’est possible. Alexandre Ribeaud et son projet a été sélectionné pour participer au onzième forum des enseignants innovants qui aura lieu le 23 novembre.
« Chaque jeudi, avec mes élèves de PS/MS de l’école Emile Bollaert de Paris, nous mettons nos bottes, nos kways et nous partons rejoindre notre coin de nature, dans un espace un peu sauvage du Parc de la Villette », c’est en ces quelques mots qu’Alexandre Ribeaud présente son projet. L’enseignement, Alexandre, 47 ans, y est venu un peu tard, il y a huit ans. Papa de trois enfants, musicien, scénariste à ses heures perdues, c’est à l’aube de ses quarante ans – crise de la quarantaine ? – que ce spécialiste de la communication décide d’un changement de vie radical. Il passe le concours, et hop, le voici devenu professeur des écoles. Depuis six ans, c’est à l’école Bollaert qu’il exerce son talent. Une école du dix-neuvième arrondissement parisien, au bord du périphérique, classée REP. « Un quartier très particulier car longtemps isolé de Paris, coincé entre le périphérique et une vaste zone désaffectée. Le quartier s’est reconstruit mais notre école a toujours assez peu de mixité sociale, la majorité des élèves venant d’un même bloc d’immeubles accolé à l’école ».
D’un constat naît un projet
Citadin depuis toujours, cet intérêt pour la nature est assez récent. « C’est une révélation. J’ai toujours été assez écolo, on a pas mal voyagé et fait découvrir pas mal de nouveaux lieux à nos enfants mais la reconquête de la nature de proximité c’est assez nouveau pour moi ». Et cela s’appuie sur un constat vigoureux : « les enfants passent de moins en moins de temps à l’extérieur. Leur univers s’est considérablement rétréci. Certains ne connaissent que leur cité et l’hypermarché le weekend. Le lien avec la nature, voire le réel s’est rompu progressivement. L’urbanisation grandissante, le temps passé devant les écrans et la crainte des parents de laisser les enfants jouer à l’extérieur font partie des principaux facteurs de ce “déficit nature”, un phénomène qui inquiète les spécialistes de la santé, de l’éducation, de l’enfance car l’activité extérieure correspond à un besoin essentiel de l’enfant. De nombreuses études scientifiques démontrent les bienfaits d’une démarche qui recrée un lien avec la nature en termes de santé – stress, obésité, hyperactivité…, de développement de l’enfant – concentration, forme physique, créativité…, d’équilibre psychologique – confiance en soi, autonomie…, de bien-être social – coopération, égalité sociale… »
« Renouer un lien avec la nature fait partie des besoins naturel de l’enfant »
Moina Fauchier-Delavigne, journaliste et auteure du livre « L’enfant dans la nature » aux éditions Fayard, a inspiré Alexandre dont les choix pédagogiques étaient déjà très accès sur les besoins naturels de l’enfant. Alors renouer un lien avec la nature lui a semblé tout aussi naturel que de laisser l’enfant dormir s’il en ressent le besoin. Ses objectifs : renouer le lien avec la nature pour que les élèves sortent de leur cadre habituel, tant au niveau du quartier que de la classe afin qu’ils découvrent, manipulent, coopèrent… « L’enfant développe tout son être en vivant des expériences sensorielles, émotionnelles, sociales. Il ressent le mouvement, le chaud, le froid, le mouillé… Dehors, la curiosité naturelle de l’enfant s’éveille. Il apprend le monde en construisant une relation avec la nature, le temps et l’espace. Il acquiert ainsi liberté et autonomie. Il développe aussi son sens de l’effort et de l’entraide, pour grimper sur une butte, pour déplacer une branche…Aucune journée n’est identique, les conditions météorologiques transforment en permanence le dehors, ce qui enrichit les sensations ressenties. Et plus la sensation est forte, plus l’envie de la raconter l’est ».
« Le temps n’a aucune importance pour eux »
Ainsi, ses petits élèves dont l’âge varie entre deux et quatre ans prennent le tramway puis traversent le parc de la villette tous les jeudis matin, accompagnés de l’ATSEM et de parents d’élèves enthousiasmés par ce projet. Un trajet de vingt minutes, ce qui peut sembler un peu long pour ces petits bambins. Mais Alexandre nous arrête tout de suite, « C’est une aventure, il y a plein de choses à regarder, il faut passer par la passerelle. C’est un apprentissage en soi ». C’est qu’il a réponse à tout. Lorsqu’on souligne l’hiver qui approche avec la pluie, le neige et surtout le froid, il nous répond : « Il n’y a pas de mauvais temps, il n’y a que de mauvais vêtements. Tous les enfants sont équipés de bottes et de kways. Le temps n’a aucune importance pour eux. J’ai presque hâte que l’on rencontre la pluie ! ». Les parents d’élèves, loin d’être inquiets, sont partie prenante du projet. « Je leur ai présenté le projet lors de la réunion de rentrée. J’avais fait en sorte qu’ils soient tous présents. Et j’avais bien potassé ma présentation pour avoir les idées et les arguments très clairs. Je crois avoir été très convaincant. En tout cas, les parents se sont tout de suite montrés très enthousiastes. Une dizaine de mains se sont levées quand j’ai demandé qui pourrait nous accompagner. Comme l’Atsem vient à chaque fois, nous n’avons en théorie besoin que d’un parent accompagnateur. Mais nous en avons en général deux. Je les associe aux ateliers proposés dans la forêt. Nous essayons de faire un petit bilan sur le chemin du retour. Un papa a même décidé de venir tous les jeudis ».
Les bénéfices, au bout de cinq séances, Alexandre en constate déjà. Et ils sont nombreux, comme cette élève qui avait du mal à se poser dans la classe et qui a tout de suite fait preuve d’une plus grande concentration dehors. Et puis les élèves se sont immédiatement accaparé le lieu, et se sont rapidement mis en activité, selon l’enseignant. Un infini de possibles s’ouvre à lui en termes d’activités et toutes visant des compétences attendues en fin de cycle de l’école maternelle. « J’ai décidé de privilégier le langage, le jeu libre et l’exploration ». Et pour ne rien gâter, « pour moi et l’Atsem, quelle bouffée d’air toutes les semaines ».
Un enseignant à découvrir samedi 23 novembre au Forum des Enseignants Innovants 2019 et à suivre sur son compte Instagram alex_maclassedehors.
Lilia Ben Hamouda
Classe nature ça vaut la peine
Moïna Fauchier-Delavigne : Pour une révolution verte de l’éducation