« L’enjeu de la constitution des collectifs de travail est donc d’autonomiser la régulation entre enseignants… Il n’est pas certain qu’un tel collectif de travail soit l’objet de politiques publiques qui, tout en prônant le changement pédagogique au nom de la lutte contre l’échec scolaire, aboutissent de manière paradoxale à limiter ces transformations en amputant les capacités d’action collectives des acteurs ». Si les instructions officielles en Rep et Rep+ mettent l’accent sur la liaison école collège et la coopération obligatoire des enseignants des deux niveaux, Chloé Lecomte, doctorante université Lumière Lyon 2, montre que cette coordination prescrite n’arrive pas à devenir une réelle coopération. Une analyse qui relativise aussi les idées simples qui voudraient que le rapprochement imposé école collège , par exemple en EPSF, résolve les problèmes…
La prescription du travail en commun entre école et collège
La dernière relance de la politique d’éducation prioritaire en 2014 a mis en avant « les pratiques pédagogiques comme le facteur clef de la réussite scolaire, et fait du travail collectif des enseignants l’un des principaux leviers qui, avec la formation, favorisent cette évolution pédagogique », rappelle Chloé Lecomte dans le denrier numéro de Recherches en éducation (n°38). « Les enseignants des classes de cours moyen et de sixième font partie d’un même cycle d’enseignement (le cycle 3, dit « de consolidation ») et partagent pour la première fois un curriculum commun impliquant une répartition entre les trois niveaux de classe. La « continuité » école-collège est l’objet du projet de réseau qui doit en assurer la mise en oeuvre effective ». Le conseil école collège vient concurrencer l’organe historique de gestion du réseau , le comité de pilotage. Ainsi les enseignants sont invités à travailler en concertation et à « échanger des pratiques » grâce à des échanges d’enseignants entre écoles et collège.
Chloé Lecomte s’est attachée à étudier ce qui se passe réellement dans ces activités dans deux réseaux Rep+ à travers une enquête ethnographique dans la planète enseignante. Elle décrit finement les travaux et les avis des enseignants concernés. Et ce qu’elle remonte suscite la réflexion. « Dans les « observations croisées » et le co-enseignement, les temps de concertation étant de faible volume horaire, la coordination repose sur la mise en visibilité des manières de travailler, l’ajustement par mimétisme et des discussions supposées intervenir en classe », note elle.
Quand les limites apparaissent
A vrai dire les enseignants interrogés trouvent tous l’expérience intéressante et enrichissante. Mais les limites apparaissent très vite.
« Moi, c’est surtout du point de vue que je n’étais pas sûre de moi, dans ma méthodologie, dans ma pédagogie et de me dire, enfin, je ne vais rien apporter. Déjà, en plus, on a la pression, la visite… Moi, en plus, je ne suis pas sûre de moi dans la manière dont je travaille, quand tu vois que tu as le regard extérieur, déjà c’est un peu gênant », explique Alice, professeure des écoles débutante (T1). Il apparait vite que les enseignants sont absorbés par les difficultés à asseoir leur autorité et à gérer la classe. CE qu’on leur demande, avoir une regard distancé sur les pratiques est hors de leur portée.
Autre observation avec des enseignants de collège plus expérimentés. « Il y a un truc qu’on m’a dit très rapidement en entrant dans mon métier. C’est qu’on a beau trouver les chaussures de son voisin très jolies, ce n’est pas pour ça qu’on ira mettre ses pieds dedans. Même s’il y a des choses qu’on trouve très bien chez les autres dans la manière dont ils le font, quand il faut l’appliquer, on n’y arrive pas, parce que ce n’est pas notre méthode », estime Corentin, un professeur de SVT de 7 années d’ancienneté.
C’est Emilie, une prof de maths en 8ème année d’enseignement, qui tire un peu la conclusion. « Le but du projet, c’était de mélanger nos deux visions de la même chose et en fait, on n’a pas le temps de le faire.. on aurait pu se dire : tiens, la semaine prochaine, on bosse la proportionnalité, comment tu verrais ça, je propose ça et toi ? Et construire ensemble ». Mais pour cela il faudrait du temps. Et cette demande pose aussi les limites d’une coordination prescrite là où il faudrait de la coopération, et donc de l’autonomie.
Au final rien ne sort…
Que sort il de cette politique de concret ? « Les binômes du REP+ de Sure sont parvenus à un consensus sur l’idée de maintenir les affichages dans les classes de sixième. La fréquentation répétée de l’école primaire par les enseignants du collège qui co-enseignent en sixième et interviennent également en CM2, leur permet de voir ces affichages dans les classes et d’en mesurer l’intérêt auprès des élèves. En l’occurrence, un tel accord est issu de l’élaboration progressive d’un compromis sur la définition de l’autonomie des élèves ».
Comme le remarque C Lecomte, ce n’est pas une mince avancée. Des enseignants du secondaire observent les pratiques du primaire et s’en inspirent pour leur propres pratiques de façon à simplifier le passage et favoriser la continuité pédagogique. Ca ressemble à une avancée.
Mais la douche froide n’est pas loin. « Cependant, l’enquête montre que ce compromis ne se traduit pas pour autant par l’apparition d’affichages dans les classes de sixième ». Au final rien ne bouge réellement. Pourquoi ? Parce que le collège est le collège et l’école, l’école. « Comme dans la plupart des collèges, les enseignants du REP+ de Sure ne disposent pas de leur propre salle de classe ». Ce qui est possible à l’école, où chaque maitre a sa salle est impossible au collège où les enseignants se succèdent dans chaque salle.
Travail prescrit / travail autonome
La conclusion de C Lecomte est sévère mais mérite réflexion. « L’enquête montre que la coopération, réduite à un compromis « virtuel », reste sans effet sur l’organisation du travail, issue paradoxale d’un processus d’auto-régulation accompli sur prescription de la coordination du travail mais dont le résultat n’est finalement ni reconnu, ni pris en compte par l’organisation formelle du travail ».
C’est le cadre même de régulation du système éducatif qui vient paralyser la construction de la culture commune école collège parce qu’il préfère la prescription à l’autonomie des acteurs. « En montrant que la coopération souffre d’un déficit d’institutionnalisation de temps de débat, l’enquête souligne le fait qu’elle est insuffisamment soutenue par la coordination du travail. La régulation autonome s’inscrit dans un rapport de dépendance face à la régulation de contrôle. L’enjeu de la constitution des collectifs de travail est donc d’autonomiser la régulation entre enseignants en se dotant d’une légitimité décisionnelle dans l’organisation du travail qui ne se réduise pas à sa dimension pédagogique. Il n’est pas certain qu’un tel collectif de travail soit l’objet de politiques publiques qui, tout en prônant le changement pédagogique au nom de la lutte contre l’échec scolaire, aboutissent de manière paradoxale à limiter ces transformations en amputant les capacités d’action collectives des acteurs ».
F Jarraud