Qu’est ce qui fait réussir aussi bien les enfants d’enseignants ? Il faut tout un numéro de la Revue française de pédagogie (N°203) pour découvrir les secrets de leurs parents. Coordonné par Agnès Van Zanten, le numéro interroge l’accompagnement parental des enseignants, leurs pratiques éducatives et leurs usages. Leur secret ne tient pas seulement à leur bagage culturel ou à leur bonne connaissance de l’institution scolaire. Les parents enseignants excellent dans l’art de l’accompagnement scolaire. Alors que l’on multiplie les dispositifs d’accompagnement, étudier leur expérience et leurs pratiques pourrait bien être utile à tous.
La réussite scolaire des cadres sans en avoir le poids économique et social
Pour Agnès Van Zanten, dans sa présentation du numéro, » les parents enseignants sont parmi ceux qui ont développé les formes les plus sophistiquées d’adaptation (aux) nouveaux cadres sociaux (de l’enseignement) ». Ces cadres c’est l’intensification de l’accompagnement éducatif parental en lien avec l’élévation du niveau d’études et avec l’importance accrue que prennent l’école et les diplômes dans l’insertion des jeunes.
Le résultat est là. Sans avoir tous les avantages économiques des enfants de cadre supérieur ou du patronat, « les enfants des professeurs du secondaire – mais pas ceux des professeurs des écoles –, qui gardent un léger avantage sur les autres membres de la catégorie « cadres et professions intellectuelles supérieures » en termes de nombre d’années d’études post-baccalauréat, accèdent aussi souvent qu’eux aux filières sélectives de l’enseignement supérieur ».
Un investissement visible dans le suivi des enfants
« Comme le montrent tous les articles de ce dossier », poursuit A Van Zanten, « les parents enseignants s’investissent de façon beaucoup plus visible et systématique dans le suivi de la scolarité. Accompagnant pour beaucoup de façon quotidienne leurs enfants dans la réalisation des devoirs à la maison, ces parents échangent aussi régulièrement avec les enseignants, participent aux réunions et aux sorties et sont nombreux à faire partie des associations des parents et des instances comme les conseils de classe ou d’établissement. Comme le souligne notamment l’article de Fanny Salane et Muriel Letrait, ces parents exercent aussi un contrôle étroit de leurs enfants hors de l’espace scolaire par le recours massif à des activités encadrées. La fréquentation de celles-ci favorise la maîtrise de connaissances et compétences culturelles diverses qui, sans avoir nécessairement des effets directs sur la réussite scolaire, participent à l’acquisition d’une « culture générale » encore hautement valorisée dans l’enseignement secondaire et supérieur français mais aussi de compétences organisationnelles et de dispositions à la rationalisation et à la rentabilisation du temps libre très utiles à la poursuite des études ».
Instruire sans humilier
Des 4 articles qui documentent le thème, celui de S Kakpo et P Rayou analyse de façon très fine l’accompagnement des parents enseignants. Evidemment ils partent avec un avantage sur les autres parents : un bon bagage scolaire une connaissance du curriculum et aussi du temps. L’enquête menée par les deux auteurs montre comment les familles où un parent ou les deux sont enseignants adaptent leur temps pour suivre leurs enfants.
Mais ce n’est pas dans ces ressources que se tient le secret des parents enseignants. » C’est dans leur capacité à faire tenir ensemble, dans les rapports à la règle scolaire et aux savoirs, des impératifs apparemment disjoints de contrôle et de stimulation du développement que les parents enquêtés excellent », nous disent S Kakpo et P Rayou.
Le grand art des parents profsc’est d’abord « d’instruire sans humilier ». » Une des compétences majeures de ces familles semble être leur aptitude à concilier l’exigence cognitive et la bienveillance personnelle à l’égard de leurs enfants. Nous avons pu voir ces parents contrôler leurs émotions dans des situations potentiellement tendues… Faire confiance à ses enfants, tenter d’être à leur écoute, constituent vraisemblablement une façon de donner la confiance en soi qu’exige l’école d’aujourd’hui. Car, dans les curriculums contemporains, l’accès à des savoirs universels compose toujours avec une expression des personnes considérées comme insubstituables », écrivent S Kakpo et P Rayou.
Chercher l’erreur et faire incorporer les savoirs
Il y a d’autres compétences des parents enseignants qu’ils soulignent. Il savent gérer le temps et apprennent à leurs enfants à le faire. Il savent aussi repérer et identifier les enjeux d’apprentissage dans les tâches scolaires. Pour les auteurs cette compétence est « fortement différenciatrice »
Ils soulignent aussi un rapport à l’erreur particulier. Ils la cherchent » selon une démarche qui envisage principalement l’erreur comme l’indicateur d’un processus d’apprentissage en cours. Ne se contentant pas du déclaratif des enfants, ni même de celui des enseignants, les parents enquêtés cherchent en permanence à se faire une idée précise du niveau de leurs enfants et du degré réel d’appropriation des savoirs auxquels ceux-ci sont exposés ». Enfin les parents enseignants savent aussi « faire incorporer des savoirs » par exemple en utilisant la vie quotidienne pour revoir les calculs. «
» La façon dont ces parents enseignants encadrent le travail de leurs enfants semble être un des éléments contributifs aux réussites scolaires hors normes de ces derniers attestées par les enquêtes mobilisées dans ce dossier. Car, malgré les variations entre styles éducatifs familiaux, apparaissent de grandes récurrences concernant ce qui est tenu pour des fondamentaux des apprentissages. Les dispositions patiemment construites au long des séances du soir et des week-ends sont vraisemblablement mises en oeuvre efficacement tout au long de la scolarité, y compris lorsque, au moment de leur adolescence, les jeunes peuvent souhaiter prendre de la distance avec un encadrement vécu comme trop contraignant », estiment S Kakpo et P Rayou. Pour eux » ces étayages quotidiens se distinguent nettement du mille-feuille des aides mises en place ».
Le rôle prédominant des mères enseignantes
A Van Zanten s’est aussi intéressée à ces couples enseignants pour voir ceux qui fonctionnent le mieux pour la réussite des enfants. Pour elle c’est le couple père cadre et mère enseignante. Ce couple concentre les avantages économiques et sociaux des familles les plus favorisées à ceux des parents enseignants.
Dans sa conclusion, elle ouvre une nouvelle porte à la recherche. » La plus grande réussite des enfants dont la mère est enseignante par rapport à ceux dont c’est le père qui exerce cette activité témoigne de la plus grande rentabilité, à niveau scolaire parental égal, du capital maternel, ce qui est clairement la conséquence du plus grand investissement des femmes dans le suivi scolaire des enfants, mais probablement aussi de leur capacité à mieux mobiliser ce capital dans le domaine familial ».
F Jarraud
Les pratiques éducatives des parents enseignants. Revue française de pédagogie n°203.