Ouvrir l’école aux parents, cela semble évident pour certains, mais qu’est-ce que cela signifie ? Les inviter à des réunions d’information ? au spectacle de noël ou de fin d’année ? Clothilde Jouzeau fait le pari d’un projet plus ambitieux. « Les parents ne viennent pas pour observer ce qui se passe en classe. Ils ne sont pas non plus les accompagnateurs qui assurent la sécurité des sorties. Ils sont actifs. Ils participent, animent. Je suis le chef d’orchestre d’une partition que nous jouons conjointement. Nous avons des tâches et des missions différentes ». Elle présente son projet : « Vivre la coéducation : ouvrir sa classe aux parents » au 11ème Forum des Enseignants Innovants qui se tiendra le 23 novembre.
Professeure des écoles depuis 1993, Clothilde enseigne à l’école maternelle Pont Neuf, classée réseau prioritaire renforcée, à Perpignan. Depuis le début de sa carrière, en région parisienne, elle a toujours eu à cœur de faire entrer les parents à l’école. « Il m’arrivait lors de remplacements de découvrir au fil d’une conversation avec un parent qu’il avait une compétence particulière et de l’inviter à nous faire partager sa passion. J’ai ainsi accueilli des musiciens, des bricoleurs, des comédiens… ».
« Permettre aux parents de participer en classe, c’est leur rendre un peu d’estime de soi »
Associer les parents à la vie scolaire de leur enfant, Clothilde en avait déjà constaté l’utilité lorsqu’elle enseignait en CP à Paris, il y a vingt ans. « J’avais des élèves qui pour plus de la moitié ne parlaient pas français et ne semblaient pas avoir envie d’apprendre à lire. J’ai alors invité les parents, accompagnés de membres d’association du quartier ou des grands frères et grandes sœurs, pour nous aider à échanger. J’ai ainsi ouvert ma classe systématiquement les samedis matin. Pendant la première moitié de la matinée je me mettais en scène dans une leçon de lecture : découverte de texte, déchiffrage et compréhension. Pendant la récréation j’échangeais avec les parents sur ce qu’ils avaient vu. Nous cherchions alors ensemble comment chacun pouvait accompagner son enfant. Pendant la seconde moitié de la matinée, les parents animaient des ateliers. C’était eux qui transmettaient leurs savoirs. Cela m’a permis de découvrir la calligraphie chinoise ou arabe qui libère le geste. Nous avons cuisiné des saveurs nouvelles, fait de la pâte à modeler… J’apprenais à connaitre mes élèves et leurs familles. Les parents changeaient de regard sur l’école, les enfants sur leurs parents qui étaient valorisés par une institution dont ils se sentaient souvent étrangers, soit parce qu’ils y aient eu un vécu compliqué, soit parce qu’ils ne l’avaient pas fréquentée ».
Depuis, dès la réunion d’information de rentrée, Clothilde annonce la couleur : les parents devront participer en apportant leurs compétences à l’ensemble de la classe. Et tous en ont, même si certains n’en ont pas conscience… « Permettre aux parents de participer en classe, c’est leur rendre un peu d’estime de soi que l’école ou la société, dans laquelle certains ont du mal à trouver une place, leur confisque involontairement. C’est aussi favoriser l’insertion sociale des parents et l’entrée des apprentissages des élèves. Et c’est, enfin, permettre à l’enfant de se libérer pour devenir l’élève d’aujourd’hui et le citoyen de demain ».
Rassurer les parents pour permettre aux élèves de sortir d’un possible conflit de loyauté
Et les bénéfices, Clothilde les constate au quotidien, tous comme les mamans rencontrées. « Depuis cette année, Yamna adore aller à l’école alors qu’avant elle pleurer pour pas y aller. Aujourd’hui, c’était son anniversaire alors je suis allée dans la classe et j’ai préparé avec eux la fête. C’était très bien, ca me rassure de voir comment ca se passe quand elle est dans la classe » explique la maman de Yamna. Les mamans de Kada et Zahia évoquent quant à elles les goûters auxquels elles participent, dans la préparation et la dégustation mais aussi les ateliers jeux de sociétés du vendredi soir. Pour l’enseignante, nul doute sur l’intérêt de l’ouverture de la classe. « Les élèves peuvent sortir du conflit de loyauté dans lequel ils sont enfermés et peuvent montrer ce qu’ils ont appris. Ils deviennent libres de devenir élèves ».
Un projet qui évolue tous les ans et qui s’adapte aux familles des élèves accueillis
Clothilde se renouvelle tous les ans. Son projet n’est pas gravé dans le marbre, « j’adapte mon projet chaque année aux besoins que je pressens ou aux propositions que me font les parents lors de la réunion de rentrée. Une année nous avons travaillé autour des langues maternelles, une dizaine étaient parlées dans la classe, une autre autour de la laïcité à la demande de parents, une autre encore à l’écriture de poèmes avec un papa écrivain… ».
Et contrairement aux idées reçues, on peut aussi ouvrir sa classe lorsque l’on en a une de cycle trois. « Pendant près de 15 ans j’ai invité les parents de mes élèves de CM à participer à des ateliers. Et ils n’étaient pas en éducation prioritaire. Cela permet aux élèves de découvrir leurs parents autrement, de découvrir d’autres parents aussi qui s’intéressaient à ce qu’ils faisaient, à leurs progrès. Les parents qui participent en classe sont des alliés de l’école. Ils sont d’excellents intermédiaires entre l’école dont ils connaissent les codes et la cité, entre les enseignants et les autres parents, ceux qui n’osent pas venir et qu’eux peuvent accompagner ». L’enjeu est de taille, surtout pour cette classe d’âge. Quand ils se sentent reconnus, par le biais de la reconnaissance de leurs parents, certains enfants changent d’attitude vis-à-vis de l’école et adoptent plus facilement une posture d’élève.
Clothilde reçoit tous les parents, quelle que soit leur tenue, et tant qu’il n’y aura pas de loi claire l’empêchant de tous les accueillir, tant qu’elle invitera « tous les parents, quelle que soit leur confession, leurs tatouages, leurs convictions, leur profession… Chez moi, pas de parent normé, juste du respect ». Et elle conclue sur ces quelques mots qui résument si bien ce qu’est, et ce que doit être, l’école : « Je ne pense pas que l’école qui se montre se mette en danger, l’école doit être transparente. Elle est le microcosme de la société. Un espace où l’on se rencontre, on échange, on apprend à vivre ensemble en s’enrichissant de nos différences ».
Lilia Ben Hamouda