Alors que le Sénat a adopté une loi interdisant le port de signes religieux aux parents accompagnateurs et que le débat déchaine les passions, la parole des principaux concernés, parents d’élèves et enseignants, a été très peu entendue. Bilal, Céline, Sonia et Dalinda sont enseignants, ils témoignent en gardant l’anonymat. Sarah et Magda sont quant à elles, mamans d’élèves. L’une est voilée, l’autre pas. Elles expriment leur ressenti et leurs inquiétudes.
« L’heure n’est ni à l’intégration ni au bien-être de l’élève mais à la stigmatisation »
« Dans une société française qui a d’abord tout fait pour que les enfants d’émigrés soient solarisés comme les autres, en faisant en sorte d’accueillir les parents non francophones afin de leur expliquer qu’il est indispensable de s’impliquer dans la scolarité de leurs enfants, qu’il est bon pour eux qu’ils voient leurs parents comme des actifs de l’éducation, nous sommes contraint de constater aujourd’hui que l’heure n’est ni à l’intégration ni au bien-être de l’élève mais à la stigmatisation. Le musulman n’est tout simplement pas le bienvenu dans la sphère publique. Nous sommes en pleine régression… » s’alarme Céline, enseignante dans une école élémentaire d’Avignon.
Bilal, directeur d’une école élémentaire de douze classes en région parisienne a décidé qu’il résistera si une telle loi « raciste » était votée « J’ai eu l’immense joie de rencontrer M.Joseph Weismann auteur du livre « Après la rafle », rescapé de la rafle du Vél d’Hiv. Il finissait toujours ses interventions par ces paroles « ne jamais accepter l’inacceptable ». Mon devoir de citoyen français, de défenseur de la liberté, hussard noir de la République laïque et indivisible est de résister ». Il raconte un peu son parcours, enseignant depuis douze ans, il a toujours voulu être en éducation prioritaire « peut-être parce que j’ai moi-même grandi dans ces quartiers dits défavorisés. J’y ai rencontré la solidarité, la générosité et une grande humanité. J’ai, à mon tour, le devoir de transmettre ces valeurs qui manquent cruellement à notre société actuelle ».
« On touche à une part de ce que je suis, c’est d’une violence inouïe… »
Linda est professeure de français dans un collège du sud parisien et ce qu’elle ressent, c’est une « forme de rejet de ma double identité ». D’origine tunisienne et ayant grandi dans un foyer musulman, elle ne s’était jamais senti l’obligation de choisir entre ses deux identités mais « aujourd’hui, j’ai l’impression de souffrir d’un dédoublement de la personnalité. Bien entendu, quand je suis devant mes élèves, je suis avant tout une enseignante, une fonctionnaire de l’état, soumise au devoir de neutralité. Mes convictions, elles sont intimes et jamais je n’en fais état. Mais là je me sens mal. En attaquant ces mamans, on touche à une part de ce que je suis, et c’est d’une violence inouïe quand on fait partie de la maison… »
Dalinda, professeure des écoles depuis quinze ans, estime que « le débat ne devrait même pas avoir lieu car il ne répond pas du tout au principe de laïcité. En plus, c’est discriminatoire de cataloguer les femmes en fonction de leur tenue vestimentaire. Ce sont des mamans qui répondent présent quand on les sollicite, elles s’investissent pour leurs enfants, pour l’école. Pourquoi une telle mise à l’écart ? » Elle se mobilisera pour que cette loi ne passe pas, « Où sera le plaisir de la sortie scolaire si une partie des parents est, de fait, évincée ? Comment l’expliquer aux élèves ? »
« Comme si nous n’étions pas des êtres humains et n’avions plus le droit en plus de participer à la vie scolaire de nos enfants »
Du côté des parents, même son de cloche. Sarah est maman célibataire de trois enfants à Rueil Malmaison. Voilée, elle s’est toujours beaucoup investie dans la vie de l’école de ses filles. Aujourd’hui, elle se sent humiliée. « Si cette loi passe réellement, je me sentirai clairement rejetée, à tort, car j’estime que l’on a rien fait de mal ! Comme si nous n’étions pas des êtres humains et n’avions plus le droit en plus de participer à la vie scolaire de nos enfants. Dans la réalité le voile ne pose pas de problème lors des sorties scolaires, les sorties se passent très bien et les enfants ne font jamais de réflexion ». Et elle s’étend sur sa position de femme voilée dans la société. «Je me sens en insécurité depuis que je porte le voile, ce qui est assez récent. Je ne m’autorise plus à faire des choses par peur du scandale ou de recevoir une réflexion déplacée. Et ce constat m’attriste car la France est mon pays et j’ai l’impression de ne plus être chez moi ». Elle conclut l’entretien en rappelant la dimension politique de ce débat, « Il y a les élections dans peu de temps, les politiques aiment faire le buzz, ça leur profite et ça évite de parler de tout ce qui va mal dans notre pays ».
« Le Ministre ne cherche qu’à éluder les vrais problèmes de l’école »
Magda est élue parent d’élève au conseil d’école depuis la première scolarisation de son ainée, aujourd’hui âgée de huit ans. « Dans le cadre de mon rôle de parent élue, ce sujet qui ne cesse de déchaîner les passions les plus enflammées, m’interpelle au plus haut point. Cette mesure, qui a très peu de chances d’être adoptée en lecture à l’Assemblée Nationale, n’est que le reflet pour moi de ce climat inquiétant de défiance et de stigmatisation à outrance d’une certaine catégorie de la population car encore une fois c’est le voile qui est visé et plus largement la place de l’islam dans la société. Pourtant, les principes de laïcité sont très clairement inscrits dans la loi de 2004, les signes religieux ostensibles sont interdits aux élèves des écoles, collèges et lycées publics comme aux agents du service public. Les parents accompagnateurs, étant volontaires dans le cadre d’une aide logistique, ne sont pas des agents du service public, et ne sont donc pas soumis à cette neutralité ».
Magda ne mâche pas ses mots à l’égard du Ministre qui selon elle ne cherche qu’à éluder les vrais problèmes au sein de l’école : le manque de moyens, les conditions d’exercices difficiles des enseignants – elle rappelle le suicide de Christine Renon qui l’a fortement bouleversée, les classes surchargées et l’incapacité pour l’école de réduire les écarts entre les élèves de milieux populaires et les autres…
Alors, elle se positionne, et ce sans aucune ambiguïté. « Je suis complètement solidaire de ces mamans qui se sentent humiliées et s’inquiètent. Elles ne comprennent pas pourquoi elles sont ainsi prises pour cibles de tous les maux de la société car dans la vie réelle, leur voile n’a jamais posé problème au sein de l’école. Elles ont toujours participé, au même titre que n’importe quel parent, aux sorties scolaires. Elles ont été aussi sollicitées pour les ventes de gâteaux, lotos et kermesses, le voile n’étant pas un critère de choix surtout que les enfants se moquent complètement de ce que portent ou non les parents sur leur tête ! Ce qui me choque d’autant plus, c’est qu’on en fait des « persona non grata », des citoyennes de seconde zone alors que la société est plurielle et ne doit pas être excluante ou discriminante. Quelle sera alors la prochaine étape, interdire à ses femmes l’accès à l’intérieur de l’école, de siéger dans les instances des conseils d’école et d’administration ? »
Pour Magada, nulle concession ne sera faite si une loi liberticide venait à passer. « Nous sommes dans un état de droit, à nous d’utiliser tous les moyens d’expression mis à notre disposition pour faire respecter la place de chacun au sein de notre république une et indivisible. J’invite donc Monsieur Blanquer à se pencher sur les vrais problèmes de l’école afin d’y apporter des solutions au lieu de perdre du temps dans des polémiques inutiles. Ses propos, le voile n’est pas souhaitable dans notre société, sont indignes d’un ministre ».
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda