Les stéréotypes de genre ont la vie dure. On s’en aperçoit particulièrement dans les formations et les carrières scientifiques où la part des filles reste faible voire continue à décroitre ! L’association « Filles et maths » lutte contre ces inégalités. Elle organise des journées « filles et maths / info » pour encourager les jeunes filles à croire que les métiers et les formations scientifiques sont faits pour elles. Alors que la série S s’efface suite à la réforme du lycée, Véronique Chauveau, en charge des « Journées filles et maths / info » montre la nécessité d’un combat que l’on aurait tort de croire dépassé.
Aujourd’hui où en est la place des filles dans les formations et les carrières scientifiques ?
Jusqu’au bac l’équilibre filles – garçons est à peu près maintenu. On compte 47% de filles en série S. Mais après le bac, dans les filières où il y a beaucoup de maths ou d’informatique la place des filles diminue. En informatique leur place est même en train de diminuer. Aujourd’hui on ne compte qu’un quart de filles en formation d’ingénieurs, encore moins chez les chercheuses en maths. IL y a seulement 9% de filles dans les IUT d’informatique.
La réforme du lycée va améliorer les choses ?
On ne le sait pas. Mais on craint que cela ne les aggrave. La filière S attirait des filles qui n’étaient pas scientifiques mais voulaient faire une filière d’excellence. Aujourd’hui les élèves peuvent choisir leur spécialité. On craint que peu de filles ne prennent la spécialité maths et encore moins science informatique. On a soulevé ce problème quand on a été auditionné par la mission Villani Torossian. Des mesures ont été préconisées. Mais pour le moment elles ne sont pas appliquées.
Comment expliquer cette sous représentation des filles dans les filières scientifiques ?
L’auto censure a bon dos ! Par exemple on trouve beaucoup de filles en médecine, une voie d’étude particulièrement sélective. On en voit aussi beaucoup en magistrature. Les filles ne s’auto censure que quand la société insiste beaucoup à leur faire croire que leur place n’est pas ici. Cela se fait avec des messages à dose infime mais bien régulière…
Par exemple cela passe par les manuels scolaires. L’association n’a pas encore épluché les nouveaux manuels du lycée. Mais je me rappelle d’un manuel des programmes de 2012 qui définissait ainsi le terme « complexe » des nombres complexes : l’homme est un être complexe. La femme a des complexes par exemple sur son physique. Ce sont des petites choses mais insidieuses et qui laissent des traces à force de répétition.
Pourquoi ça ne marche pas pour la médecine ?
Parce qu’un autre stéréotype veut que les filles « soient faites pour » s’occuper des autres. Du coup elles « ont le droit » de faire ces études. On les encourage à le faire.
On dit aussi que les filles ont peur de la concurrence ?
Les filles n’aiment pas la compétition. Mais ça aussi c’est quelque chose de construit. On voit donc comment les stéréotypes les plombent.
Il y a un autre facteur qui joue c’est le manque de modèles. On parle peu des femmes scientifiques. Le seul modèle auquel les jeunes filles puissent se raccrocher c’est Marie Curie avec ses deux prix Nobel. C’est un peu inaccessible comme modèle !
Enfin les métiers autour des maths et de l’informatique sont mal connus. Quand on fait des maths par exemple on ne se destine pas forcément à être chercher ou professeur. Il y a plein d’autres métiers dans le Big data, l’intelligence artificielle, l’astrophysique etc. On prépare en ce moment, avec l’Onisep, un dossier sur les métiers des maths et de l’informatique qui donnera des témoignages auxquels les filles peuvent d’identifier.
Comment peut on lutter en classe contre ces stéréotypes ?
Les enseignants ont un rôle important à jouer en insistant sur le fait que les filles sont autant capables que les garçons de réussir en maths. Les expériences en psychologie sociale montrent qu’il suffit parfois de réaffirmer le droit des filles à faire des maths pour que leurs résultats progressent.
Comment agit l’association « Filles et maths » ?
On essaie de sensibiliser les futurs enseignants. Mais c’est un vaste chantier. Il faudrait que cette question soit inscrite dans la formation initiale mais on voit que cela a du mal à se mettre en place. Cette sensibilisation n’a lieu que dans la moitié des INSPE.
On intervient lors de journées de formation de professeurs de maths pour proposer des ateliers. On s’adresse aussi aux jeunes mathématiciennes car là aussi il faut des encouragements.
Vous organisez dans les lycées des Journées Filles et maths. Ca se passe comment ?
Avec Animath on est parti du constat qu’il faut lutter contre les stéréotypes et apporter des modèles aux jeunes filles. Nos journées sont construites autour de ces deux objectifs. Le matin on invite les élèves à une « promenade » mathématique ou informatique avec une jeune chercheuse. Elle présente ses travaux et emmène les élèves au pays des maths. L’après midi on organise des rencontres rapides avec des femmes ingénieures, doctorantes, chercheuses qui témoignent de leur parcours et de leur métier. Ensuite vient le moment d’une séquence de théatre forum où on déconstruit les stéréotypes. Les jeunes filles peuvent intervenir dans le spectacle et défendre un point de vue. C’est là, sous le masque de l’acteur d’un jour, qu’elles peuvent parler des stéréotypes. Elles acceptent leur réalité et leur influence sur leurs choix. Nous invitons les enseignants à découvrir ces Journées et à y participer avec leurs élèves.
Propos recueillis par François Jarraud