Comment sort on de son confort d’enseignant pour faire faire de la géographie sensible et citoyenne aux élèves ? Jeune professeure d’histoire géographie au collège Molière de Beaufort en Anjou, Anaïs Le Thiec lance sa classe de 5ème dans une cartographie sensible du collège. Elle les invite à libérer leur parole via une storymap. Une démarche de géographe qui forme des citoyens mais qui renvoie aussi à une conception éducative du métier.
Faire travailler les élèves sur les zones insécures de son établissement c’est toujours prendre le risque de la vérité. Ca peut devenir inconfortable . Surtout quand on laisse les élèves s’exprimer. C’est pourtant ce qu’a fait Anaïs Le Thiec avec ses 5ème. Comment est né ce projet ?
Il y a trois rencontres clés pour moi. D’abord le principal du collège qui est enthousiaste pour cette idée car il pense que ça peut permettre de résoudre des problèmes. Ensuite il y a la rencontre avec Anaïs Réthoré, une étudiante géographe en service civique avec l’association d’éducation populaire Afocal. Elle joue un rôle important dans l’accompagnement des élèves dans ce projet.
Et puis je ne me serais peut-être pas lancée sans l’association Concours Carto. Lancé ily a 10 ans par Olivier Godard et Marie Masson, Concours Carto invite les élèves à réaliser et à s’exprimer sur des cartes. Pour moi, travailler ainsi avec des collègues d’une quinzaine d’établissements différents m’apporte beaucoup. Je vois ce qui se fait ailleurs et c’est très enrichissant pour les pratiques pédagogiques.
Pourquoi traiter de l’insécurité et des discriminations au collège ? Comment ça entre dans les missions d’un professeur d’histoire-géo ?
Les discriminations sont au programme d’EMC en 5ème. Et il y a des enjeux importants. Il est important que les élèves se sentent bien au collège qui est un lieu de socialisation. Il est aussi important qu’ils comprennent qu’ils ont un rôle personnel à jouer, qu’ils acquièrent des réflexes citoyens et humains.
Les élèves réalisent une cartographie sensible du collège et ils vont faire une storymap en associant à leur récit une vidéo libre sur leur vécu du collège. Vous prenez le risque de la liberté d’expression. Est ce une mission du professeur d’histoire-géo ?
Ca les incite à travailler l’oral. Beaucoup d’élèves ont du mal à prendre la parole. Ce détour par la storymap et la vidéo leur permet d’exprimer leur ressenti dans un petit groupe de confiance et de préparer leur intervention, leur expression. Evidemment on est en lien avec le programme d’EMC.
Les élèves réalisent une carte sensible du collège. Pourquoi ce choix ?
Les élèves expriment sur une carte les endroits où ils sont bien ou mal au collège. En fait ils aiment être tranquille au collège et avoir des endroits où il n’y a pas trop de monde. On a découvert que laqueue du self est le type d’endroit qu’ils fuient ou encore les toilettes. Beaucoup d’élèves ont peur d’y aller.Du coup ça agit sur notre propre géographie sensible du collège. Le fait que les élèves verbalisent cela à travers la carte et la storymap est aussi nécessaire pour que eux aussi se rendent compte que ce n’est pas normal.
Comment la géographie se retrouve dans ce type de projet ?
Les élèves mettent en pratique les bases de la cartographie : l’échelle, l’orientation, la légende, la lecture de carte. On est pas dans une cartographie classique. Mais ils travaillent le rapport entre le signe et la légende. Ils comprennent ce qu’est une carte : un langage, la représentation d ‘une réalité.
Vous avez appris quoi dans ce projet ?
Que des élèves qu’on n’entend jamais peuvent avoir beaucoup à dire. Et que comme adulte ily a des endroits dans un collège où il faut être vigilant. A travers ce projet je me suis construit ma propre carte sensible de mon collège.
Propos recueillis par François Jarraud