« La ruralité est absente des statistiques de l’éducation nationale. Le critère territorial n’est pas pris en compte dans la politique de priorisation de l’éducation nationale ». Chargés d’une mission sur « les nouveaux territoires de l’éducation », les sénateurs Laurent Lafon (UDI) et Jean-Yves Roux (PS) publient le 16 octobre un rapport qui propose de nombreux changements dans le fonctionnement de l’Education nationale. On retiendra la fin de la politique de labellisation de l’éducation prioritaire, la disparition des anciennes académies au profit des régions académiques et l’augmentation des pouvoirs de gestion des recteurs et Dasen. Des idées qui circulent dans d’autres rapports : Brisson Laborde sur le métier enseignant, celui de la Cour des comptes sur l’éducation prioritaire et, d’après des indiscrétions, dans le rapport Mathiot Azéma sur l’éducation prioritaire que le ministère n’a pas encore publié. Tout semble converger vers un but et peut-être une annonce prochaine : la fin de la politique nationale d’éducation prioritaire.
Le succès relatif des écoles rurales
Les sénateurs sont élus par un collège où les maires sont majoritaires et on comprend que la ruralité soit un souci constant de la Haute assemblée. Le rapport Lafon Roux ne s’en tient pas à la ruralité. Il prévoit aussi une refonte de l’éducation prioritaire et une réorganisation administrative de l’éducation nationale.
Les sénateurs relèvent l’absence d’études sur les résultats de l’école rurale. La dernière étude Depp aurait plus de 20 ans. En fait des études récentes ont été menées par l’observatoire éducation territoires sous la houlette de Pierre Champollion. Elles montrent que les écoles rurales ont des résultats meilleurs que la moyenne nationale. Mais que cet avantage se perd au moment de l’orientation.
Un nouvel indice pour favoriser les écoles rurales
Le souci des sénateurs Lafon et Roux c’est le maintien du maillage des écoles sur le territoire. On compte 50 492 écoles en France. Ce chiffre diminue d’environ 500 écoles par an, principalement en zone rurale. 4000 écoles ne comptent qu’une seule classe et 23 381 ont moins de 5 classes. D’après les sénateurs l’évolution démographique va encore pousser à la fermeture d’écoles alors que le maintien d’un maillage est important. Certes il y a la promesse d’E Macron de ne pas fermer d’école sans l’accord du maire. Mais les sénateurs voient au delà de 2022 et C Morin Desailly , présidente de la commission de l’éducation, rappelle que E Macron n’a pas respecté un engagement précédent sur ce sujet.
La solution trouvée par L Lafon et JY Roux c’est de créer un indice d’éloignement qui entrerait dans le calcul de l’allocation des moyens. Cela leur parait « plus juste » et surtout plus susceptible de maintenir les écoles. Les sénateurs veulent aussi que des expérimentations puissent être faites facilement, sur accord du dasen ou du recteur, dans « l’organisation des écoles rurales » et « l’évolution des structures » pour rendre ces écoles attirantes. « On ne va pas rouvrir la boite de Pandore » des EPSF, précise L Lafon. Mais il faut « soutenir les initiatives locales » qui « ne sont pas forcément à dupliquer ailleurs ». JY Roux cite en exemple le maintien d’une classe en créant une classe « sapeur pompier » qui attire de nouveaux élèves dans un collège rural. Il faut que ces expérimentations soient décidées sur place pour éviter les délais. Curieusement les mêmes rapporteurs sont pour la réforme territoriale et calquer l’organisation des académies sur les régions ce qui éloigne significativement le pouvoir local dans les grandes régions académiques.
Les sénateurs se soucient aussi d’attirer des enseignants. Ils souhaitent un parcours spécialisé dans la formation initiale pour les enseignants du rural, par exemple pour être capable d’exercer dans une classe multi niveaux. On verra qu’ils proposent des contrats de mission.
Maintenir les écoles rurales a un cout. On peut estimer que la fermeture de 500 écoles par an représente une économie d’un millier d’emplois soit une cinquantaine de millions. Mais le rapport ne chiffre pas ces dépenses. La suite des préconisations donne à penser que le financement de cette politique pourrait bien être trouvé dans le démantèlement de l’éducation prioritaire.
Délabelliser l’éducation prioritaire
La Cour des comptes a déjà demandé la délabellisation de l’éducation prioritaire. Ne seraient maintenus que les Rep+. En dessous il y aurait un indice d’affectation des moyens graduel sans label particulier. Les sénateurs, comme la Cour, lui trouvent deux avantages. Le premier c’est d’éviter l’effet de seuil qui bloque toute évolution de la carte. Le second c’est de mieux prendre en compte les écoles orphelines et les enfants défavorisés scolarisés hors Rep, soit 70% d’entre eux.
Le rapport recommande la sanctuarisation des Rep+ et une attribution graduelle des moyens pour les autres écoles et établissement. Ce serait la fin d’une politique nationale de l’éducation prioritaire , réduite à pas grand chose. La nouvelle politique de distribution des moyens devrait être locale, pour les sénateurs. Et la disparition des Rep permettra de faire reconnaitre des critères non sociaux dans l’attribution des moyens, comme l’éloignement géographique ou la ruralité. Cette réforme transférerait des moyens massifs du social vers le territorial, des écoles de banlieue vers les zones rurales. Les sénateurs souhaitent aussi y voir entrer les établissements privés sous contrat.
L’étau se resserre autour de l’éducation prioritaire
Pour les enseignants, comme dans le rapport Brison Laborde, les sénateurs recommandent de multiplier des « contrats de mission » pour attirer des enseignants en zone rurale ou difficile. Les recteurs et Dasen auraient de nouveaux pouvoirs pour le recrutement et l’indemnisation des enseignants. Les collectivités locales auraient aussi un role plus important dans la politique éducative locale. « Elles financent un tiers de la dépense d’éducation dans le 1er degré », rappelle L Lafon.
L’intéret de ce rapport c’est la convergence qui se crée sur l’éducation prioritaire. Alors que JM Blanquer n’a pas publié le rapport Mathiot Azema, on voit se multiplier les rapports qui préconisent la fin de la labellisation. C’était le cas avec le rapport de la Cour des comptes (hors Rep+). Le même schéma est proposé par le rapport Lafon Roux. Il semble que le rapport Mathiot Azema aille dans le même sens. Seul le souci des réactions des enseignants et de certaines municipalités semble expliquer l’absence de décision ministérielle jusque là.
François Jarraud
Le rapport de la Cour des comptes
Education prioritaire : Quels objectifs pour le gouvernement ?