« Comment mobiliser les enseignants si le discours ministériel est évanescent ou s’il remet en cause l’éducation prioritaire ? » Le 16 octobre, Vincent Léna, coordinateur national des Cités éducatives, s’est prêté à un échange durant deux heures avec des enseignants réunis par l’Observatoire des zones prioritaires(OZP), une association d’acteurs de l’éducation prioritaire. L’échange a suivi une géométrie rigoureuse. Venu parler d’horizontalité et de projet partagé, Vincent Léna s’est heurté aux témoignages de verticalité dans les relations entre l’Education nationale, les principaux (coordonnateurs locaux des cités) et les enseignants. Le projet gouvernemental, venu de la politique de la Ville, souffre du management actuel de l’éducation nationale.
Un programme qui met au centre l’éducation
Ancien chargé de mission sur Grigny, Vincent Léna se retrouve à la tête d’un projet gouvernemental ,dépendant à la fois de la Ville et de l’Education nationale, doté d’une centaine de millions sur 3 ans. Le programme cible 80 cités éducatives, des territoires regroupant 2 à 3 secteurs de Rep+ qui cumulent les handicaps sociaux, à l’exemple de Grigny.
V. Léna cite des exemples. Grigny ne compte pas de lycée. Un rapport des inspections générales montre une véritable faillite éducative. 25% seulement des collégiens arrivent jusqu’au bac. Les autres décrochent avant.
L’idée forte que martèle V Léna c’est que l’éducatif doit être au centre de la démarche de reconstruction du quartier. « L’idée c’est de faire de l’éducation non un problème mais une solution. L’éducation est un enjeu de mobilisation citoyenne. Elle peut devenir un élément de restructuration du quartier. Une éducation concentrée, puissante peut faire bouger les curseurs des quartiers ».
Un programme piloté par les acteurs locaux…
Autre idée forte : « Ce programme est en partie ce que les acteurs en feront », explique Vincent Léna. « C’est un projet gouvernemental mais qui a la particularité d’être partenarial ». Le programme ne veut pas être un dispositif supplémentaire mais le coordonateur des dispositifs existants. Pour cela il compte sur la mobilisation des différents acteurs, en commençant par les enseignants. Mais aussi les associations, les collectivités locales, les services de l’Etat agissant dans la cité éducative. Du coup, « ça ne marchera pas partout de la même manière ». Les acteurs, accompagné par le coordonateur de la Cité éducative, en principe un principal de collège, définiront leurs objectifs et politiques. « Il faut inventer des nouvelles formes de dialogue avec les parents »,explique v Léna.
Comme exemple d’actions concrètes, il donne la reconstruction d’équipements scolaires, des places en crèche, la lutte contre les dealers, le développement de professionnalités nouvelles « d’ingénieurs du social » et de l’éducatif. « D’ici 3 ans se dessinera une autre vision de l’éducation qui sera plus un projet de société », explique t-il. « Une politique publique à hauteur d’enfant ».
Pour cette politique, les Cités éducatives disposent de 100 millions pour 3 ans. « »C’est beaucoup d’argent et pas beaucoup. Mais il y a déjà beaucoup d’argent déployé dans les quartiers. L’idée ce n’est pas de prendre le relais mais de reprofiler une politique éducative ».
Soumis à des injonctions hiérarchiques…
Cette image positive de programmes portés par les acteurs de façon horizontale c’est tout de suite heurtée aux témoignages d’enseignants et de l’OZP.
Un principale de collège raconte comment l’injonction de remplir le dossier de cité éducative lui est tombé dessus avec des délais trop courts pour consulter les parents ou même les profs. Même témoignage d’un autre coordonnateur parisien. « On construit les cités éducatives à marche forcée », explique un secrétaire fédéral Sgen Cfdt. « Les enseignants ne sont pas associés car on a l’obligation de rendre les fiches maintenant. Pourquoi ce rouleau compresseur ? » Il semble que le calendrier politique, les municipales y soit pour quelque chose.
Un ministère incapable d’une politique continue
Dans les doutes des enseignants il y a aussi le rappel du passé. Un Cpe d’un lycée défavorisé du 94 rappelle que les 80 cités éducatives étaient déjà dans les territoires de la politique de la ville dans les années 1980. « Que s’est -il passé en 40 ans ? Comment avoir l’espoir que ç a change ?
Marc Douaire, président de l’OZP, rappelle les aléas de la politique d’éducation prioritaire. « En 1990 on a créé les coordonnateur de l’éducation prioritaire. Puis les préfets des études, les professeurs référents. L’institution scolaire sait susciter puis abandonner. Ainsi les enseignants référents ont été abandonnés pour dégager des moyens pour la réforme du collège. Plus récemment les maitres + (maitres surnuméraires du 1er degré) ont été abandonnés alors qu’ils suscitaient de l’adhésion ».
Un cache misère ?
Ces remarques sont portées par les inquiétudes sur l’avenir de la politique d’éducation prioritaire. Un rapport de la Cour des comptes propose de maintenir les Rep+ mais de délabelliser pour le reste et d’affecter les moyens de façon graduelle et en tenant compte aussi des inégalités territoriales. Un rapport remis au Sénat ce même 16 octobre va dans le même sens. Et les fuites sur le rapport Mathiot Azema , commandé par JM Blanquer, également. Les Cités éducatives seraient-elles là pour détourner l’attention du principale : l’abandon d’une politique d’éducation prioritaire nationale ?
« On ne peut pas demander de s’impliquer dans une politique d’éducation prioritaire alors qu’il y a des craintes sur la labellisation », explique un enseignant de Gennevilliers. Il rappelle la grève qui a été faite contre la Cité éducative. « Il y avait beaucoup d’espoir mais pas de moyens concrets. Tout ce qu’on a vu arriver c’est des injonctions de changer notre pédagogie ».
Réconcilier les habitants et la France
Enfin il y a des critiques de fond de cette politique. Pour un enseignant du Val Fourré les habitants souffrent de trop de discrimination. « Les familles ont l’impression d’être ailleurs, ni en France car elles ne sont pas reconnues françaises , ni dans leur pays d’origine car la bas on les considère comme français ». « Il faut réconcilier les populations avec la France », explique t-il. Ce qui passe par le développement des services publics.
Une mauvaise entrée ?
D Vargas, ex inspecteur général et pilier de l’OZP, n’y croit pas. « L’éducation n’est pas un levier essentiel. Les adultes pensent que c’est plus facile d’agir sur elle qu’ailleurs. Mais jamais on l’a considéré comme un levier essentiel. Sans politique de l’emploi, des transport, de l’urbanisme , tout cela ne servira à rien ».
« Il y a un obstacle important à la réalisation de ce projet », conclut Marc Douaire. « C’est la culture hiérarchique de ce ministre. Tous les témoins le disent. Ca se répercute sur l’horizontalité de votre projet. Comment mobiliser les enseignants si le discours ministériel est évanescent ou s’il remet en cause l’éducation prioritaire ? ». Bonne question.
François Jarraud