Comment faire passer le bac sans organiser de vraies sessions d’examen ? C’est toute la question posée par le projet de note de la Dgesco sur l’organisation des épreuves de controle continu au bac (E3C) général et technologique. La note renvoie la réponse à cette question au choix des proviseurs. Le Snes Fsu dénonce « la standardisation obligatoire des progressions pédagogiques » et les contradictions dans la logique même de ces épreuves.
Comment concilier bac national et local ?
Les premières épreuves du nouveau bac auront lieu à partir de janvier 2020 et il n’est pas vraiment inutile que la Dgesco se soucie en octobre d’en organiser la tenue. C’est tout l’objectif du projet de note qui a fuité après une rencontre entre le Snes Fsu et la Dgesco le 4 octobre.
La note tente de concilier deux principes qui semblent inconciliables : des épreuves à caractère national et une organisation « plus souple et adaptée aux réalités locales » décidée localement. Cette contradiction résulte d’une décision politique initiale : le ministère n’a pas tranché nettement entre controle continu et examen national, ou , d’une autre façon, entre les enseignants du Snes Fsu et les chefs d’établissement du Snpden Unsa. Il renvoie le choix de l’organisation au local, c’est à dire aux proviseurs et construit une nouvelle usine à gaz qui fasse illusion d’un diplôme national. Cette incapacité à choisir n’est pas sans rappeler l’organisation du brevet…
Le calendrier des épreuves prévoit une première série au 2d trimestre de 2019-20pour l’histoire-géo, les langues et les maths (uniquement en série technologique). Puis une deuxième série en juin 2020 pour ces disciplines plus l’enseignement de spécialité abandonné en fin de 1ère . Et enfin une 3ème série d’épreuves en mai – juin 2021 pour l’histoire-géo, les langues, l’enseignement scientifique et les maths (en série technologique).
L’organisation des épreuves renvoyée au local
Pour assurer une dimension nationale à l’examen, les élèves reçoivent une convocation type bac. Le choix des sujets est fait par le proviseur « sur proposition de l’équipe des professeurs de la discipline, dans une banque nationale de sujets. » Le choix du sujet se fait dans le cadre d’une progression pédagogique harmonisée, décidée collectivement par l’équipe pédagogique ». Les copies sont numérisées et corrigées par un autre correcteur que l’enseignant de la classe pris dans l’établissement ou hors établissement. De la même façon il y a une commission d’harmonisation académique qui peut modifier la note.
Mais en même temps il faut « simplifier ». Donc la note ne choisit pas entre une organisation matérielle des épreuves de type bac ou faire passer les épreuves sur le temps ordinaire des cours. Chaque épreuve dure 2 heures.
» Selon l’organisation décidée par le chef l’établissement, et pour une même discipline, soit l’ensemble des classes d’une même voie (générale ou technologique) compose sur un même sujet, à la même date et à la même heure ; soit des sujets peuvent être choisis par classe ou par créneaux de convocation, si les classes composent sur plusieurs jours et/ou horaires. Dans la mesure du possible, la composition sur le même sujet à la même date peut être utilement privilégiée par l’établissement pour la première série des épreuves communes de contrôle continu, notamment pour l’histoire-géographie et les mathématiques », dit la note. Un peu plus loin elle ajoute : » Les épreuves se déroulent dans le cadre de l’emploi du temps normal des élèves ; sur une durée de deux heures par épreuve, sauf pour les langues. Le chef d’établissement prévoira le temps nécessaire pour la mise en oeuvre de cette épreuve (distribution des sujets et copies, ramassage des copies, majoration du temps de composition pour les candidats en situation de handicap) ; en fonction des dates des commissions d’harmonisation fixées au niveau académique ; en principe, sans banalisation des créneaux pour les autres élèves de l’établissement : le bon fonctionnement des établissements ne doit pas être remis en cause par l’organisation des contrôles continus ». Et encore : » Il n’est pas nécessaire de prévoir des salles « format examen », la salle de classe en configuration habituelle conviendra. La surveillance peut être assurée par l’enseignant habituel ».
Tout en laissant le choix de l’organisation au local, la note penche plutôt pour une organisation fluide , sans mettre les classes en barrettes pour l’examen. C’est ce que souhaitent les chefs d’établissement. Selon le Snpden l’organisation de vraies sessions d’examen bloquerait la vie des établissements, incapables par exemple de numériser toutes les copies d’un coup avec l’unique scanner dont seront dotés chaque lycée. Mais du coup , on n’a plus vraiment d’égalité entre les candidats , relève le Snes Fsu, certains passant l’épreuve 3 mois avant les autres, tout en ayant un formatage des progressions pédagogiques.
Confusion des genres et contrainte pédagogique pour le Snes
Le Snes Fsu dénonce » un véritable parcours du combattant » pour les jeunes et les enseignants. » Le ministère persiste dans sa volonté de renvoyer au local le cadre de l’examen laissant chaque établissement décider de l’organisation des épreuves de contrôle continu. On peut aisément concevoir l’ampleur de la désorganisation des enseignements et de la dégradation des conditions d’exercice des métiers de l’éducation, enseignants et non enseignants », écrit le syndicat. En fait toute la réalisation des épreuves va reposer sur les seuls enseignants qui seront en même temps contraints dans leur progression pédagogique particulièrement en 1ère.
Le Snes souligne aussi » une confusion volontaire entre les différents types d’évaluation, formative et certificative » puisque l’élève a accès à sa copie corrigée et , selon la note, » l’évaluation continue des élèves ne doit pas donner lieu à des périodes successives de « bachotage » : elle accompagne le lycéen dans son parcours et lui permet d’acter naturellement sa progression ». Pour le Snes FSu cela ouvre la voie à des pressions sur les correcteurs qui seront facilement identifiables dans l’établissement. Le syndicat évoque aussi la désorganisation des cours : » sans banalisation des cours, les E3C d’une durée de 2 heures vont se superposer à des séquences de cours de 55minutes, ce qui va considérablement désorganiser l’établissement ».
Faute d’un choix clair entre controle continu et examen national, entre évaluation formative et certificative, le ministère est en train de construire une machine qui va mettre les enseignants et les élèves sous pression et réduire la liberté pédagogique. Elle va aussi opposer les chefs d’établissement à leurs enseignants avec comme seule arme la possibilité dune rémunération des correcteurs. Car il y a aussi cela en jeu : faire surveiller et corriger les épreuves sans en payer le prix.
François Jarraud