Au cœur des préoccupations actuelles d’inclusion et de réintégration des élèves décrocheurs via la politique de persévérance scolaire, émerge une philosophie de la bienveillance dans une école de la confiance. Mais, si l’intérêt général porté à l’amélioration du climat scolaire, à la bienveillance éducative progresse, les recherches engagées dans la compréhension des difficultés scolaires, révèlent l’étendue du mal-être à l’école. Le rapport de recherche du Cren pose un état des lieux de la plainte des collégiens sans faire état du degré de souffrance scolaire des élèves mais seulement des effets observés : absentéisme, décrochage, échecs. Ces études circonscrivent la problématique du mal-être dans le secondaire. La mesure du niveau de souffrance scolaire des plus jeunes restait à penser, tout comme leur vécu et leurs besoins pour s’épanouir à l’école devaient être interrogés. Des premières données cliniques de nos investigations est né le projet d’un dispositif expérimental de bientraitance pédagogique. Marie-Pierre Bidal-Loton, psychologue clinicienne et doctorante en sciences de l’éducation travaille l’idée de bientraitance pédagogique et propose de prendre en compte le vécu subjectif des élèves.
Qu’entendez-vous par « bientraitance pédagogique » ?
La bientraitance issue du monde de la petite enfance a été conceptualisée par la haute autorité de santé sous forme de recommandations de bonnes pratiques. Avec l’association Potentialdys, nous œuvrons à cette bientraitance pédagogique qui correspond à une nouvelle conception d’éducation. Sur différents terrains, nous expérimentons cette philosophie d’accompagnement des élèves qui relève de l’éthique du Care : C’est-à-dire prendre « soin » des élèves, les traiter en fonction de leurs besoins. La bientraitance pédagogique est ainsi une alternative d’éducation basée sur un relationnel à l’élève fait de confiance mutuelle, compréhension, réflexivité réciproque. Elle se définit par la pratique non pas de la transmission de savoirs mais par l’accompagnement aux savoirs-être et savoir-faire. Cet accompagnement ajusté aux besoins des enfants en matière d’apprentissage est rendu possible par la meilleure compréhension de leurs modalités neurodéveloppementales.
Cette bientraitance s’expérimente par le biais de projets personnalisés qui légitiment la pratique enseignante à s’écarter du programme national au profit du respect de la programmation neurocognitive propre à l’élève. L’ANESM définit la bientraitance en tant que démarche collective pour identifier l’accompagnement le meilleur possible pour l’usager, dans le respect de ses choix et dans l’adaptation la plus juste à ses besoins. L’Education Nationale encourage cette pratique dans la circulaire du 8 août 2016 en précisant que « Le droit à l’éducation pour tous les enfants, qu’ils soient ou non en situation de handicap, est un droit fondamental qui impose au système éducatif de s’adapter aux besoins éducatifs particuliers des élèves ».
Les enseignants se trouvent pris en tension entre l’obligation d’enseigner pour tous et pour chacun. Ils doivent s’adapter aux besoins individuels des élèves tout en les menant au même point d’acquisitions selon un rythme d’apprentissage commun. Cette injonction institutionnelle paradoxale a pour conséquence le mal-être de tous. Il est impossible de s’adapter aux particularités individuelles dans un tel contexte d’enseignement. Une recherche-action est née de cet état de crise : nous avons implémenté les recommandations de bientraitance de l’institution médicale à l’institution scolaire afin de prendre soin des élèves, de penser la qualité de leur accueil au plan de l’environnement humain et matériel, d’ajuster les modalités et contenus d’apprentissage avec une attention aux besoins afin de les traiter dans le respect de leur parcours spécifique. Sur une année d’expérimentation auprès d’élèves « Dys », nous avons pu observer une nette amélioration du vécu scolaire des élèves.
Est-il alors seulement question du bien-être scolaire des élèves atypiques, porteurs de handicap ou de l’épanouissement de tous les élèves ?
Il est bien question de l’ensemble des usagers de l’Education Nationale, même si le point de départ envisageait les adaptations du système en réponse aux besoins des enfants à profil particulier. De cet accueil scolaire de droit des élèves à besoins spécifiques en découle une attention bienveillante pour tous.
Ce sont aussi des élèves ordinaires qui expriment leur souffrance indicible par des symptômes, à l’endroit où nul ne leur demande s’ils vont bien. Le « Comment ça va l’école ? » n’est pas le « Comment tu te sens à l’école ? ». Mais les choses changent et le focus porté jusqu’ici sur les performances de l’école et à l’école vise enfin l’épanouissement des enfants via leur développement global et leur bien-être. Rappelons que le bien-être est un droit et un devoir envers soi et autrui. Le projet national de justice et d’égalité des chances a lancé des campagnes de prévention des risques, réclamé l’identification des souffrances et la mise en œuvre des soins. Ce mouvement politique rejoint notre mobilisation depuis 2014 autour de l’expérimentation d’une échelle de mesure pour quantifier et qualifier le vécu scolaire des élèves scolarisés en cycle 3 (L’EMVS). Cet outil a été créé afin de déterminer le niveau de leur souffrance et identifier leurs besoins pour pouvoir augmenter leur confort d’apprentissage et leur bien-être scolaire. Le recueil des résultats de l’enquête de validation de cette grille d’autoévaluation du vécu scolaire sur une population de plus de 200 élèves a mis en relief une souffrance plus qu’un niveau de bien-être.
Cette échelle de confort scolaire qui mesure le vécu subjectif des élèves renseigne-t-elle seulement sur le niveau de bien-être ou donne-t-elle aussi pistes d’amélioration des conditions de travail pour le bonheur de tous ?
Ni l’identification qualitative de l’inconfort de travail, ni sa mesure ne sont prises en compte dans l’état des lieux actuel du « climat scolaire », tandis qu’il est bien question d’une problématique non pas d’ambiance d’école mais d’authentique expérience humaine de souffrance au travail tant pour les élèves que pour leurs enseignants. Une évaluation qualitative, subjective de cet état de mal-être était indispensable. Un diagnostic clinique devait être posé pour permettre d’amorcer la question des remédiations pédagogiques ou d’envisager d’autres formes bienveillantes de médiations. L’objectif restant de diminuer la souffrance scolaire, définie en contexte d’apprentissage, comme une souffrance de travail.
Alors même que le politique s’empare d’une problématique, au carrefour de l’éducation et de la santé, qui appelle à la bientraitance, il importe que nous puissions institutionnaliser une veille qualitative du vécu scolaire, afin de pouvoir intervenir le plus en amont dans sa prise en compte tant auprès des élèves que des personnels éducatifs.
Propos recueillis par Béatrice Mabilon-Bonfils
Directrice du laboratoire BONHEURS (Bien-être, Organisations, Numérique, Habitabilité, Education, Universalité, Relation, Savoirs)
Université de Cergy-Pontoise
Pour en savoir plus
Bidal, M.-P., & Hänninen, K. (2016). « Quand je m’appelais Gollum », Le calvaire scolaire de Léo. In M.-P. Bidal, (Ed.). Apprendre, comprendre et accompagner les élèves à haut potentiel de décrochage. Points de suspension, Paris
Bidal, M.-P. (2017). Une pédagogie entrepreneuriale et inclusive. In. J. García-Gutiérrez, A. del Pozo Armentia & M. d’Orey Roquete (Eds.). Educación, inclusión y solidaridad. Ámbitos, prácticas y perspectivas, 65-66. Madrid : UNED.
Habib, M. & Bidal, M.-P. (2017). Un dispositif expérimental pour les élèves souffrant de troubles ‘dys’ complexes. Le Magazine de l’Education, 2. 11.
Bidal, M.-P. & Leveau, N. (2019). La petite musique. Les bienfaits de la musique à l’école ? Une expérience européenne. In. J. A. Rodríguez-Quiles (Ed.). Bienfaits de la musique á l’école. Une expérience européenne. Potsdam : Universitätsverlag.
Bidal, M.-P. (A paraître). Disposition humaine bienveillante et dispositif bientraitant : une expérimentation de pédagogie innovante pour élèves « DYS » In Actes de colloque SFERE, Marseille : PUP,