La rentrée des enseignants est marquée par plusieurs suicides ou tentatives de suicide suscitant une large émotion. Le geste et la parfaite dignité de la lettre de Christine Renon exigent des réponses institutionnelles. Mais que sait-on au juste du malaise enseignant ? Deux enquêtes épidémiologiques, l’une portée par la MGEN et l’autre par le ministère de l’Education nationale, donnent des évaluations différentes. Une sociologue, Anne Barrère, a beaucoup travaillé cette question. Une réalité ressort de ces trois travaux différents : l’institution peut beaucoup pour améliorer l’exercice du métier. La question du soutien de l’institution aux enseignants se dégage comme la principale problématique du mal-être.
MGEN : L’importance du soutien hiérarchique
Réalisée en 2013 pour la MGEN auprès de 5000 enseignants, l’enquête sur « la qualité de vie des enseignants » de N Billaudeau et MN Vercambre-Jacquot a une conclusion assez positive. 65% des enseignants jugent leur qualité de vie bonne et seulement 8% mauvaise ou très mauvaise. Ils évaluent positivement leurs relations interpersonnelles sauf avec les inspecteurs et dans une moindre mesure les parents. Masi l’enquête concluait aussi à la diversité des situations entre les enseignants. Notamment les enseignants en fin de carrière déclarent le métier de plus en plus difficile (77%). Le niveau de violence alerte aussi avec un enseignant sur 6 déclarant des violences psychologiques dans l’année. Interrogée par le Café pédagogique, une chercheuse de la MGEN nous dit que » lorsqu’on observe que 82% des enseignants s’estiment satisfaits de leur expérience professionnelle, il n’en reste pas moins que 18% ne le sont pas, voire pas du tout. Et sur des centaines de milliers d’enseignants, cela peut ne pas être négligeable… Ce suicide sur lieu de travail, hautement tragique, révèle le paroxysme de souffrance et de solitude que peuvent atteindre certains personnels de l’éducation nationale. Les responsabilités de directrice d’école de la personne décédée devait peser d’une manière particulière, surtout si elle n’était pas soutenue. Un de nos travaux a d’ailleurs mis en avant l’importance du soutien social au travail (notamment de la part de la hiérarchie) pour le bien-être des enseignants ».
Les enseignants plus exposés que les autres métiers
En 2017, la Depp (ministère de l’éducation nationale) publie une étude de S Jégo et C Guilto sur les risques psychosociaux chez les enseignants. Ce que montre l’enquête c’est d’abord le fait que globalement, tous indices confondus, les enseignants sont plus exposés que les autres salariés aux risques pyschosociaux (RPS) et parmi eux, les enseignants du premier degré. » L’indice global d’exposition aux facteurs de RPS indique que les enseignants, hormis ceux du supérieur, ont une exposition moyenne significativement plus élevée que les autres populations, surtout dans le premier degré ».
Mais la plus forte caractéristique des RPS des enseignants, premier et second degré confondus, c’est le manque de soutien hiérarchique. « Ce sont surtout les enseignants qui déclarent manquer de soutien de leur hiérarchie et de moyens nécessaires pour bien faire leur travail, tant au niveau du matériel que de la formation », note l’étude. « Plus de 30 % des enseignants du premier degré et du second degré ne sont pas ou peu d’accord avec l’item « les personnes qui évaluent mon travail le connaissent bien », alors que les cadres représentent moins de 23 %. L’indice moyen d’exposition au manque de soutien hiérarchique est le plus élevé chez les enseignants, hormis ceux du supérieur, surtout pour le premier degré. Les tensions avec la hiérarchie se font plus ressentir pour eux ». A noter que les enseignants les plus jeunes se sentent plus soutenus que les autres.
Un malaise enseignant lié aussi aux réformes
Un sondage réalisé par le Se-Unsa en 2018 auprès de 7500 enseignants montre que 76% des enseignants estiment que leur activité professionnelle a des répercussion sur leur sommeil et 27% jugent leur métier « épuisant ». 51% des enseignants déclarent avoir déjà eu un arrêt de travail lié à leur métier. 46% déclarent des problèmes de voix et 32% d’audition. Le bruit apparait comme le premier facteur de risques psychosociaux. Le second ce sont les relations hiérarchiques, signalées par 48% des enseignants. Ils dénoncent un manque de soutien. 90% évoquent aussi une charge de travail qui augmente d’année en année. 31% envisagent de changer de métier
Dans une Note réalisée pour la FCPE, la sociologue Anne Barrère revient sur le malaise enseignant. » Le relatif confort statutaire des enseignants français, pour la plupart fonctionnaires, est contrebalancé par un travail complexe, en forte évolution, et du coup la relative modération salariale aidant (rappelons que les enseignants français sont payés en moyenne 20 % de moins que leurs collègues européens), il n’apparaît plus aujourd’hui pour certains une contrepartie suffisante », écrit-elle.
Elle met en avant plusieurs facteurs sociologiques pour expliquer le malaise enseignant. Le premier c’est le changement des élèves du fait de la démocratisation et la pression exercée par la cours eau diplôme. Le second c’est l’irruption de la culture adolescente dans le monde scolaire. Ajoutons y un troisième ingrédient : la cyclothymie de la classe, toujours à surveiller car elle peut basculer des yeux qui brillent à l’avachissement hostile. « Les risques du métier d’enseignant sont très majoritairement liés à cette usure relationnelle, parfois émaillée de conflits plus ou moins graves, auquel le succès médiatique du thème de la violence scolaire a pu donner un écho. La solitude des enseignants reste grande à cet égard, accentuée par une culpabilité latente devant ce qui est perçu comme un indice synthétique de compétence professionnelle », écrit A Barrère.
Mais il y a pire encore : le sentiment d’impuissance pédagogique. « Malgré l’accent mis par les textes sur les compétences pédagogiques de motivation, d’adaptation et de remédiation, bien des enseignants ont le sentiment d’échouer à faire réussir les élèves. … Cette impuissance pédagogique est parfois accentuée du sentiment d’être poussés à « évacuer vers le haut, cyniquement », comme le disait une enseignante, des élèves qui ne pourront pas, selon eux, tirer leur épingle du jeu ultérieurement ».
Enfin il y a la succession des réformes. « La première cause du malaise enseignant est pour 66 % des répondants l’absence de prise en compte des difficultés réelles du métier. C’est ainsi que les enseignants, souvent décrits à tort comme résistants globalement à des « réformes » de petite et moyenne portée qui se succèdent quelle que soit la couleur politique des ministères, font face à des propositions de changements qui ne constituent pas forcément, loin s’en faut, des ressources face aux deux premières épreuves du métier ».
Dans un tweet, JM Blanquer adresse le 26 septembre ses » pensées de solidarité et de profonde tristesse pour la directrice de l’école de Pantin et pour la communauté éducative de toute la ville ». Il semble pourtant que l’institution éducation nationale a les clés pour répondre au malaise enseignant.
François Jarraud