Selon l’enquête Cèdre, menée en 3ème en 2018 par la Depp, le niveau en sciences a baissé en 2018 alors qu’il était stable de 2007 à 2013. On assiste à un glissement vers le bas du niveau des élèves et à un maintien des inégalités sociales. Des résultats qui interrogent et invitent à chercher des explications. D’autant qu’ils sont en contradiction avec ceux de Pisa 2015.
Une baisse de niveau importante en 2018
Réalisée par la Depp (direction des études du ministère de l’éducation nationale), l’enquête Cèdre évalue le niveau des élèves de troisième par échantillon. On peut suivre sur 10 ans (2007, 213 et 2018) l’évolution du niveau. L’enquête 2018 a une particularité : elle a été passée sur tablette et cela a joué dans les résultats. La Depp estime avoir redressé les résultats obtenus avec ce passage au numérique.
» Alors qu’entre 2007 et 2013, le score moyen était resté stable (250 points), il baisse de 12 points en 2018 pour atteindre 238 points », écrit la Depp. » En 2018, un glissement du pourcentage d’élèves des groupes de niveau élevé vers les groupes de niveau faible est observé ». On compte deux fois plus d’élèves très faibles en 2018 par rapport à 2013 (6 contre 3%) et deux fois moins d’élèves forts (5 contre 9%).
Maintien des écarts sociaux mais déclin du privé
Les écarts sociaux de réussite se maintiennent : on compte toujours 30 points d’écart entre les collèges le splus favorisés et les plus défavorisés. Curieusement cela ne bénéficie pas au privé dont le niveau baisse deux fois plus vite que celui des établissements de l’éducation prioritaire. Cette baisse avait commencé en 2013 . Elle s’est accélérée. Seule bonne nouvelle : la différence entre filles et garçons a disparu.
Des résultats en contradiction avec PISA
Soulignons que les résultats de Cèdre sont en contradiction avec ceux de Pisa 2015. En 2015 les jeunes français âgés de 15 ans avaient des résultats supérieurs à la moyenne OCDE et leur niveau était stable par rapport à Pisa 2012. On comptait 29% d’élèves performants soit plus que la moyenne, mais 22% d’élèves en difficultés, soit un peu plus aussi que la moyenne.
Les explications de Cèdre
Comment expliquer cette dégradation ? Pour la Depp, les élèves sont intéressés par les sciences. Mais » le taux de réussite dépend de l’activité. En effet, les élèves savent mettre en oeuvre un protocole expérimental (de 80 % à 90 % de réussite), mais éprouvent plus de difficultés lorsque les gestes manipulatoires demandent plus de finesse (60 % à 70 % de réussite). Ils sont 48 % à proposer un protocole expérimental correct à partir d’une question posée, dans une situation connue. La présentation des résultats sous forme d’un tableau correct n’est réussie que par 32,5 % des élèves ». L’enquête souligne aussi le manque de travail personnel des élèves. » Environ 20 % des élèves déclarent n’accorder aucun temps de travail personnel aux sciences en dehors des heures de classe en 2018.. Moins d’un tiers des élèves travaillent entre 15 et 30 minutes ».
Cèdre 2013 avait pointé les difficultés des élèves en vocabulaire. » Les erreurs commises reflètent souvent des failles dans l’enseignement. Par exemple, si le préservatif est bien connu des élèves, 11% des collégiens pensent que le préservatif empêche l’éjaculation. Pour la Depp cette erreur vient du fait que les enseignants n’utilisent pas ce mot en classe. 86% des élèves savent interpréter les résultats d’un antibiogramme mais 9% choisissent le mauvais antibiotique parce que la consigne est rédigée par la négative. On retombe sur des difficultés lexicales. »
Le role négatif des heures supplémentaires
Mais il y a aussi des facteurs organisationnels mis en évidence par Cèdre ou PIsa. A commencer par les heures supplémentaires. En 2013 la Depp expliquait partiellement les résultats en sciences par l’augmentation du nombre des heures supplémentaires faites par les enseignants. Or on sait qu’à cette rentrée le ministre met en place la 2èle heure supplémentaire obligatoire.
Les inégalités sociales liées aussi à l’enseignement
Dans sa thèse Marion van Brederode a mis en évidence les différences dans ce qui est enseigné entre élèves favorisés et défavorisés. » Les différences sont d’abord dans le type d’écrit demandé. Les élèves des collège favorisés se voient demander des écrits plus longs. On ne pose pas non plus les mêmes questions. On demande moins aux élèves des collèges défavorisés de modéliser. La plupart du temps ils sont interrogés sur des informations explicites et faciles à repérer. Dans les collèges favorisés on va demander aux élèves de concevoir un modèle avec des principes explicatifs. Par exemple dans un collège défavorisé on va demander aux élèves comment se comporte le hérisson en hiver : il se met en boule. Dans un établissement favorisé on demandera d’expliquer ce comportement : le principe du manque de nourriture lié à l’hiver », écrivait-elle. « Au final on délivre des savoirs différents aux élèves. Aux uns on va dire qu’en hiver les oiseaux migrent. Aux autres on va demander de problématiser. Par exemple expliquer que les modifications des paramètres du milieu entrainent la raréfaction de la nourriture qui explique plusieurs stratégies pour se nourrir dont la migration ».
Quelles méthodes pédagogiques sont efficaces ?
Pisa pointe des facteurs plus généraux. D’abord la discipline en classe, un vrai problème en France. L’organisation a pu établir un lien entre le nombre d’élève spar classe et le niveau des élèves. Plus l’effectif augmente plus les résultats descendent. C’est très clair de 20 à 35 élèves.
Enfin il y a la question des méthodes pédagogiques. Quelles méthodes pédagogiques sont efficaces pour enseigner les sciences ? » Les résultats de l’enquête PISA montrent que lorsque les enseignants expliquent et démontrent fréquemment les concepts scientifiques, et discutent des questions des élèves (une méthode d’enseignement appelée communément l’enseignement dirigé par l’enseignant), les élèves obtiennent de meilleurs résultats en sciences, affichent de plus fortes convictions par rapport au bien-fondé de la démarche scientifique (ou convictions épistémiques) et sont plus susceptibles d’envisager exercer une profession scientifique à l’âge adulte. Lorsque les enseignants adaptent leurs pratiques aux besoins des élèves, par exemple en apportant une aide personnalisée quand un élève a des difficultés à comprendre un sujet ou un exercice, ou en modifiant leurs cours quand la plupart des élèves trouvent le sujet difficile à comprendre, les élèves obtiennent de meilleurs scores en sciences et affichent de plus fortes convictions épistémiques. « , affirme le rapport.
Le rapport valide aussi la pratique du feedback, sous ses 5 formes : » « le professeur me dit quels sont mes résultats à ce cours » ; « le professeur m’indique quels sont mes points forts dans cette matière » ; « le professeur me dit dans quels domaines je peux encore m’améliorer » ; « le professeur me dit comment je peux améliorer mes résultats » ; et « le professeur me donne des conseils sur la façon d’atteindre mes objectifs scolaires »… Dans les pays de l’OCDE, plus les élèves estiment que leurs enseignants leur fournissent fréquemment un feedback, plus ils sont susceptibles d’envisager une carrière scientifique et plus leurs convictions épistémiques sont importantes ».
Inversement la démarche d’investigation, fortement promue en France, n’est pas efficace selon l’OCDE. » Aussi surprenant que cela puisse paraître, il n’existe aucun système d’éducation dans lequel les élèves ayant déclaré être fréquemment exposés à l’enseignement fondé sur une démarche d’investigation (qui leur demande d’effectuer des expériences ou des travaux pratiques) obtiennent un score plus élevé en sciences. Après contrôle du statut socioéconomique des élèves et des établissements, une exposition plus importante à l’enseignement fondé sur une démarche d’investigation est corrélée à de moins bons résultats des élèves en sciences dans 56 pays et économies », dit le rapport.
François Jarraud