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« La forme scolaire classique empêche souvent d’apprendre. Elle empêche l’accès aux savoirs… Tout enseignement doit tenter de nourrir l’élève avec la culture profonde de ce qui est enseigné ». Avec près de 600 pages, « Didactique pour enseigner » (Presses universitaires de Rennes), dirigé par Gérard Sensevy (université de Bretagne occidentale), est une somme qui fait le bilan de plus de 15 années de recherches. C’est surtout une analyse fine de pratiques enseignantes qui débouche sur la perspective d’une « nouvelle forme scolaire ». La trentaine d’auteurs plaident pour une réhabilitation de l’enquête come nouvelle forme scolaire. Gérard Sensévy explique pourquoi.

Comment classer « Didactique pour enseigner » ? Ce n’est pas un ouvrage ordinaire. D’abord par le nombre d’auteurs, une trentaine, tous didacticiens. Ensuite par l’approche qui est faite. L’ouvrage ne reste pas dans le domaine théorique mais vise une nouvelle forme scolaire. Il ne la propose pas d’emblée mais la construit à travers plus de 20 études de cas précises mises en perspectives par les didacticiens. L’ouvrage est savant mais tout un dispositif dans chaque chapitre (graduation de la rédaction du langage courant vers le langage scientifique, résumés systématiques) en rendent plus accessibles la lecture tout en maintenant la qualité scientifique. Enfin l’ouvrage a été rédigé par un collectif. C’est à dire que chaque chapitre a été relu et validé par tous les membres du collectif. Mais Gérard Sensévy nous annonce un petit ouvrage grand public dans la collection Mythe et réalités chez Retz début 2020. Mais passons à cette « didactique pour enseigner » avec G Sensevy.

C’est quoi la didactique ?

Un travail de compréhension de ce qu’est l’enseignement et l’apprentissage, de ce que sont les relations entre enseignants et apprentissage. Ce livre s’appuie sur une vision particulière de la didactique qui est la théorie de l’action conjointe. Il s’appuie aussi sur un congrès qui s’est tenu en juin 2019. Pour nous il est important de développer une conception de la didactique qui soit ouverte et anthropologique. On ne s’occupe pas que des savoirs mais aussi de l’éthique dans la relation didactique.

Parmi les nombreuses situations pédagogiques analysées dans le livre, prenons celle sur la fable de La Fontaine « le loup et l’agneau ». Qu’apprend-elle à un enseignant ?

Beaucoup de choses. D’abord ça confirme la nécessité absolue de travailler longuement pour soi les savoirs qu’on entend transmettre. Par exemple, si la professeure n’a pas réfléchi en profondeur sur ce que veut dire La Fontaine et en particulier le mot « onde » il y a un risque d’être prise au dépourvu quand la bise de l’obstacle que peuvent rencontrer les élèves arrive. Cette remarque est générale : il faut travailler en profondeur les savoirs.

Le deuxième point c’est que le savoir n’est pas suffisant, même travaillé. Dans cet exemple, la professeure parvient à s’en tirer car elle s’appuie sur un dispositif : les élèves ont lu la fable de Phèdre avant celle de La Fontaine. Cela lui permet de s’y reporter face aux difficultés.

Troisième point : tout cela, savoirs, dispositif, ne sont pas suffisants. Il faut une stratégie, c’ets à dire savoir ce qu’on fait dans la classe pour faire vivre tout cela. La professeure à un moment change de stratégie et c’est ce qui sauve la séance.

Enfin quatrième point : dire cela c’est affirmer une conception exigeante du métier enseignant. Evidemment la professeure dans l’heure suivante doit enseigner du calcul, puis les côtes de Bretagne, puis du rugby etc. Cela fait beaucoup si on veut enseigner des savoirs en profondeur. C’est pourquoi on milite pour la création de collectifs de professeurs et chercheurs qui élaborent des séquences en coopération. Ce métier est tellement complexe qu’il faut des créations collectives.

Vous êtes sévère avec la forme scolaire actuelle. Vous écrivez qu’elle empêche d’accéder aux savoirs et vous parlez « d’aliénation didactique ». Pourquoi ?

La forme scolaire classique fonctionne avec deux déterminations : un temps séquentiel où le savoir correspond à un texte. A l’école le danger c’est de ne pas suivre et quand on ne suit pas on est dépossédé de l’expérience du savoir. Cette construction désastreuse du temps didactique trouve une contrepartie dans la pratique du format questions – réponses et tâche. L’école fonctionne sur le mode de la question posée par le professeur . L’élève doit répondre le plus vite possible. Cette forme empêche l’enquête, le temps long, le temps nécessaire pour prendre de la distance et étudier sereinement un problème.

On montre dans le livre que si on veut changer la forme scolaire, il faut trouver une autre manière de gérer le temps et l’espace de la classe.

Vous réhabilitez l’enquête comme une nouvelle forme scolaire. Pourquoi ?

Parce que la forme scolaire classique est dénuée d’authenticité. POur être authentique, la forme scolaire doit renvoyer à des pratiques sociales, au travail humain. On veut lier les pratqiues de l’école à celles du monde social. Par exemple si on fait des maths, il faut les faire en parenté avec le travail des mathématiciens. Or le mathématicien, comme le jardinier ou tout autre métier, enquête.

C’est voir l’enseignement comme une suite de problèmes ?

Une suite de questions donc un processus de problématisations dans lesquels les élèves jouent un role majeur de détermination de ce qu’est le problème.

De bons auteurs disent pourtant que plus un enseignement est explicite, plus il réduit les inégalités sociales de réussite…

C’est un problème mal posé en fait. On peut tout à fait pratique l’enquête tout en étant à certains moments explicites. On a un exemple dans le livre intéressant,celui de l’apprentissage d’une chorégraphie. Le chorégraphe travaille dans une perspective d’imitation. Il montre ce qu’il faut faire. Mais ça n’empêche pas les élèves d’enquêter sur leur propre corps et de passer de l’imitation réplicative à une imitation créatrice.

Il y a des moments où l’enseignant doit être explicite : il doit montrer des comportements. D’autres où ce serait une erreur didactique d’aller trop vite vers l’explicite car ça empêcherait l’élève de se confronter à un problème. La malédiction de l’école c’est justement qu’on dédialectise des réalités dialectiques. Se taire et se cacher ou expliciter c’est tout l’art du prof !

Accorder autant d’importance à l’apprentissage des savoirs n’est ce pas prendre le risque de diminuer le volume des savoirs transmis ? Comment tenir les deux bouts de la corde ?

Il y a une fièvre encyclopédique dans les programmes. Il faut se défaire de cet encyclopédisme et à la place mettre la compréhension profonde de certains savoirs dont on estime qu’ils sont à l’origine de beaucoup d’autres.

Propos recueillis par François Jarraud

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Didactique pour enseigner. Presses universitaires de Rennes. 2019. ISBN 978-2-7535-7752-7