« Les vraies inégalités sont les inégalités d’origine, les inégalités de destin, les inégalités à la naissance ». La petite phrase prononcée par Emmanuel Macron le 25 avril 2019 a germé et devient le 19 septembre une nouvelle politique publique, celle de la petite enfance, avec une commission pilotée par Boris Cyrulnik. Oui le même Boris des Assises de la maternelle. Cette politique des « 1000 premiers jours » s’arrête d’ailleurs au seuil de l’école maternelle. Elle pourrait rendre plus visible et gênante pour le gouvernement le recul de scolarisation à 2 ans.
Une politique lancée le 25 avril
« Les vraies inégalités sont les inégalités d’origine, les inégalités de destin, les inégalités à la naissance. C’est ça les vraies inégalités françaises et qui ne se sont pas améliorées quant à elles. Aussi pour traiter de ce sujet, il faut agir dès la petite enfance. Le gouvernement a commencé à apporter des réponses à travers ce qu’on a appelé le plan pauvreté. Je crois qu’il faut aller beaucoup plus loin. Certains États européens nous donnent l’exemple, je regarde la Finlande faire, elle investit massivement dans la petite enfance. Les 1000 premiers jours de vie d’un citoyen français sont décisifs, sur le plan affectif, sur le plan cognitif, c’est là qu’on construit parfois le pire et qu’on peut bâtir le meilleur. Nous devons avoir, construire, imaginer beaucoup plus loin que ce qu’on a fait jusque-là ».
Le 25 avril , Emmanuel Macron avait annoncé une politique de la petite enfance. Elle devient officielle le 19 septembre avec la création d’une commission pilotée par Boris Cyrulnik. La commission comprendra 17 membres, avec deux vice présidentes (la psychothérapeute Isabelle Filliozat et la gynécologue obstétricienne Alexandra Benachi) et 14 scientifiques.
Dans l’entourage élyséen, on insiste sur l’importance des 1000 premiers jours sur le développement physique mais aussi intellectuel et affectif de l’enfant. La notion des 1000 premiers jours a été définie par l’organisation mondiale de la santé. Depuis les neurosciences ont confirmé cette importance. La politique des 1000 premiers jours est légitimée par les scientifiques.
La science peut-elle réduire les inégalités sociales (ou sert-elle de cache sexe) ?
Et là commence la première ambigüité. Cette commission devra remettre d’ici février 2020 des recommandations. Selon l’Elysée, il s’agit d’apporter « un éclairage scientifique » pour une approche globale sur la petite enfance. L’Elysée veut « un consensus scientifique » sur lequel faire reposer sa nouvelle politique. La commission va « dégager 10 à 15 règles, des conseils permettant de « sortir la petite enfance de la sphère du privé » pour établir « une politique publique ».
Mais cette politique vise à répondre aux inégalités sociales, dont l’Elysée donne des exemples : obésité chez les enfants défavorisés, déficit en langage, recours plus fréquent aux crèches chez les catégories favorisées etc.
La première ambigüité c’est d’attendre de la science le règlement d’une question sociale. La science sait résoudre des questions scientifiques mais certainement pas faire disparaitre les inégalités sociales. D’ailleurs si les scientifiques savaient faire cela, on éviterait aussi les élections… Cette utilisation politique de la science et des scientifiques , qui existe aussi dans d’autres secteurs d’Etat comme l’Education, sert généralement à légitimer des politiques en évitant de consulter les forces sociales.
Une politique d’Etat sans budget supplémentaire ?
La seconde ambigüité est dans l’application. La politique annoncée veut rompre avec une situation où la petite enfance relève du privé. L’Elysée met en avant un volontarisme politique pour porter jusqu’aux parents des instructions claires sur la façon de s’occuper de leur petit enfant. Elle veut aussi mieux accompagner les parents avec des mesures à court et à long terme. Le ministre de la petite enfance , Adrien Taquet, rendra officiel un nouveau parcours parental en s’inspirant de ce qui se fait en Finlande où il court jusqu’aux deux ans de l’enfant. On parle même, dans l’entourage du secrétaire d’Etat, « d’étayage des parents à domicile ».
Bien. Mais en Finlande, comme dans les pays scandinaves, il y a l’appareil médico social pour le faire. En France on n’a pas d’équivalent. Et il n’est pas question à court et moyen terme de mettre de l’argent dans le plan. Dans l’entourage du président on dit qu’il faut « rendre plus efficace » les investissements existants. « Peut-être faudra t-il investir », par exemple s’il faut créer des places de crèche supplémentaires, mais ce sera étalé sur un temps long. On voit mal dans ce cas comment atteindre les parents et surtout les parents qui en ont besoin. On parle de campagne de communication pour toucher les parents et d’utiliser les rendez vous obligatoires avec les parents. Il est vrai que la politique petite enfance , selon les chiffres de l’Elysée, consomme 2.5% du PIB, ce qui n’est pas rien.
Que deviennent les deux ans ?
Le troisième problème c’est le lien entre petite enfance et école. L’OCDE avait pointé en 2018 le manque de culture commune entre petite enfance et maternelle. Les Assises étaient revenues sur ce sujet. Depuis , JM Blanquer semble avoir évolué. Lors du débat sur la loi Ecole de la confiance, il est resté ferme sur la suppression à terme des jardins d’enfants, qui appartiennent à l’univers de la petite enfance, dès l’âge de 3 ans pour les remplacer par la maternelle. Il semble donc que cette question n’évolue pas.
Elle le fera d’autant moins qu’il reste une inconnue : les deux ans. La politique petite enfance concerne les enfants du 4ème mois de grossesse aux deux premières années de la vie. L’Education nationale intervient à partir de 3 ans . Elle est d’ailleurs en train de diminuer le nombre d’enfants scolarisés à deux ans. De 2 à 3 ans il y a une période qui reste dans les limbes, comme si vraiment la jonction petite enfance – éducation nationale était trop difficile.
François Jarraud