Quelle place l’Ecole fait-elle aux pratiques culturelles des jeunes ? La plupart du temps aucune. Un peu comme si l’Ecole était une ile isolée de son environnement, étanche à tout ce qui se passe au dehors, composée d’êtres qui ne sauraient vivre, se cultiver et penser hors d’elle. L’arrivée des pratiques numériques n’a rien changé à cela, l’Ecole restant imperméable aux pratiques des jeunes quand elle ne les condamne pas. Voilà pour le constat officiel. Parce qu’en réalité les élèves comme les enseignants ont une vie qui passe la frontière. En dotant ses élèves d’une application qui leur permet de se brancher sur leur cours à tout moment sur leurs smartphone, Paul J Kirrage fait un pas que de nombreux enseignants ont aussi fait. Mais il va plus loin en reconnaissant les travaux réalisés par les élèves sur une plateforme d’apprentissage de l’anglais fréquentée par les ados et en en intégrant les résultats dans leur bilan de compétences. Au collège Rep+ Maria Casarès de Rilleux-la-Pape (69) l’anglais scolaire rejoint l’anglais pratiqué par les jeunes au dehors. Tout se tient. Enfin.
Franchir les frontières
Rappelez vous. En mars 2019 nous avions croisé Paul Kirrage sur le chemin de l’Inde. Il transformait les élèves de ce collège très populaire, presque tous issus de l’immigration, en ambassadeurs de la France. Reçus dans les meilleures familles de New Delhi puis découvrant les villages les plus pauvres, ces jeunes gens, souvent mal perçus en région lyonnaise, se découvraient français, et pauvre ou riches selon les lieux. Paul Kirrage menait un vrai voyage initiatique, travaillant l’anglais bien sur mais plus encore l’identité et l’estime de ces jeunes.
Tout le cours d’anglais sur son smartphone
Son nouveau projet tient dans une application, accessible sur smartphone mais aussi sur n’importe quel ordinateur, qui fait le lien entre ce qui se fait en classe et l’extérieur du collège.
« L’idée c’est de donner accès aux élèves aux outils du cours d’anglais dans un esprit de différenciation et d’autonomie », nous dit PJ Kirrage. Les élèves trouvent dans l’application tout ce qui a été fait en classe. Par exemple les exercices faits en classe, mais aussi les photos anonymisées des erreurs relevées dans des devoirs ou des bonnes pages des devoirs. C’est un cahier de texte interactif très riche car le professeur lui indexe automatiquement les documents étudiés et produits de chaque séquence.
« L’idée ce n’est pas d’ajouter des écrans dans la vie des élèves », explique PJ Kirrage. « Ils ont déjà beaucoup d’écrans dans leur vie. Je n’ajoute pas des moments d’écran. Mais j’optimise leur temps d’écran pour qu’ils puissent améliorer leur anglais plutôt que regarder des bétises ».
Puisque les collégiens ont presque tous un smartphone, ils retrouvent l’intégralité du cours d’anglais sur leur smartphone. « Ils peuvent montrer en famille ce qu’ils font. Ils peuvent refaire des exercice, s’entrainer ou revoir les corrigés ».
Utiliser pour l’école les pratiques culturelles des jeunes
JP Kirrage va plus loin en incluant l’application Duolingo dans sa propre application. Duolingo est une application d’apprentissage de l’anglais gratuite qui est utilisée par une partie de ses collégiens.
« J’ai intégré Duolingo pour que les collégiens puissent associer leur activité sur Duolingo au compte de leur classe pour que leurs jeux et leurs exercices puissent être reconnus et convertis en compétences. Quand ils font de l’anglais à la maison pour le plaisir je peux le voir et le récompenser. Je peux le noter en compétences dans Pronotes et valoriser leur volonté de s’améliorer à la maison », explique PJ Kirrage. « Je peux les féliciter. Je peux les aider s’ils sont bloqués dans Duolingo. Je peux aussi les calmer s’ils y passent trop de temps ! »
Rien n’est obligatoire. Les collégiens font ce qu’ils veulent. Mais l’intégration de Duolingo c’est « la cerise sur le gâteau », explique PJ Kirrage.
Des adaptations dans d’autres disciplines
L’avantage de l’application c’est de remonter beaucoup d’informations sur ce que font les élèves vers le professeur. PJ Kirrage s’est enquis du respect de l’utilisation des données par l’application Duolingo. Les élèves peuvent s’inscrire sous pseudonyme et l’application suit la réglementation européenne.
Mais comment un professeur d’anglais peut il concevoir une application récupérant ainsi automatiquement des données et des éléments de cours du professeur ? « J’ai été formé comme professeur en Angleterre. On avait une formation informatique importante », explique PJ Kirrage. « Et puis j’aime partager et j’ai 20 ans de curiosité comme professeur ». Déjà, dans son collège, des collègues pensent à adapter l’application à leur propre discipline. En plein Brexit, PJ Kirrage abat les frontières…
François Jarraud