« L’organisation scolaire en France
n’intègre pas dans ses programmes la pratique
sportive en tant que telle avec le même degré
d’intensité que d’autres états
européens. Il en a toujours découlé un
certain doute sur le fait que l’école
française soit un lieu d’apprentissage des
disciplines sportives ». Le rapport de la Cour des Comptes
publié le 12 septembre vise rien d’autre qu’une
révolution culturelle pour l’EPS. Au nom de
« l’efficacité », la Cour souhaite mettre l’EPS sous la
coupe des instances sportives et récupérer au
passage au moins une partie de l’horaire d’enseignement des
professeurs d’EPS. Des propositions qui vont assez loin pour que
le ministère freine fortement les demandes de la Cour.
Des rapports précédents
Ce n’est pas le premier rapport de la Cour des
Comptes sur l’EPS.
Un précédent rapport, en 2013, demandait
déjà l’intégration de l’EPS dans le sport.
Un an auparavant, la Cour avait produit un
rapport accablant sur l’UNSS. Le nouveau rapport se situe
dans la lignée. Notamment parce que la Cour n’a pas
changé sa conception de ce que devrait être l’EPS et
son efficacité.
Un horaire officiel non respecté
Mais commençons par le bilan, très
précis, que la Cour fait de l’EPS en France. En apparence
la France est un des pays d’Europe qui consacre le plus de temps
aux activités sportives : 14% du temps scolaire en
moyenne, soit le double de nos voisins européens. Mais, le
rapport le montre, l’horaire d’EPS à l’école
primaire n’est pas respecté. Les appels à se
focaliser sur les fondamentaux n’arrangent pas les choses. Une
autre façon d’évaluer la réalité
c’est de constater le temps passé quotidiennement au sport
: seulement 14% des garçons et 6% des filles lui
consacrent au moins une heure par jour ce qui place la France
à l’avant dernier rang en Europe.
Les associations sur la sellette
Autre aspect du bilan, la Cour des Comptes a scruté les
deux associations sportives de l’éducation nationale:
l’Usep pour le primaire et l’Unss pour le second degré.
L’Usep a une fréquentation en baisse et n’est
présente que dans un tiers des écoles avec 12% des
élèves. L’Unss voit les adhésions progresser
mais cela ne représente que 24% des élèves.
La Cour souligne que l’Unss est trop associée à
l’administration de l’éducation nationale et que c’est
dangereux pour une association. Rappelons que l’Unss fonctionne
parce que les professeurs d’EPS (PEPS) ont 3 heures hebdomadaire
consacrées aux activités Unss.
Le dernier aspect du bilan porte sur les bienfaits du sport.
Le rapport s’appuie sur une étude ministérielle sur
les effets de participer à une section sportive scolaire
(SSS). Selon l’étude, à même origine sociale
et même sexe le taux d’obtention du brevet est meilleur
chez les membres de SSS (différences de 3 à 6
points selon CSP).
Une autre conception de l’EPS
Sur le fond, si la Cour des Comptes dresse un tableau
négatif de l’EPS et demande des changements importants
cela tient à ses conceptions sur ce que devrait être
l’EPS et, par suite, sur ce que devrait être son
efficacité.
La Cour parle « d’une divergence profonde de vision entre
la conception de l’instruction physique et sportive en tant
que discipline d’enseignement et les attentes du mouvement
sportif… Une divergence de vision entre les acteurs a une
incidence profonde sur la manière dont les liens entre
l’école et sport sont abordés : la conception
des programmes scolaires ne comporte pas directement la dimension
de la performance sportive, réservée de
façon implicite au « sport scolaire » de
nature facultative et de facto au mouvement sportif ».
Pour la Cour, l’EPS ce devrait être du sport. Or
justement ce n’en est pas. La différence de culture a
été nettement marquée
dans un article publié le 10 septembre où un
professeur d’EPS analyse cette opposition entre la culture de la
performance, celle du mouvement sportif, et celle de l’effort qui
est la culture de l’école.
Cela renvoie aux finalités de l’EPS et du sport. « La
finalité de l’école est-elle de former une
élite ? », nous a dit un professeur d’EPS. « Demande-t-on au
professeur de français de former des académiciens
? ». Les finalités de l’EPS sont éducatives avant
d’être sportives. L’EPS apprend à gérer son
corps pour la vie. L’enjeu de santé pousse l’EPS à
proposer des pratiques moins sportives, plus ludiques, davantage
autour du plaisir de pratiquer et des connaissances pour prendre
en charge sa santé. Elle ne cherche pas à
établir des records sportifs. L’EPS propose aussi des
activités correspondant aux attentes des jeunes dans un
contexte où le sport dans sa forme fédérale
est en baisse. On mesure à travers cette divergence
d’appréciation, qui sous-tend tout le rapport, que le
projet du rapport de la Cour est très conservateur. Sans
doute ramènerait-il l’EPS loin en arrière.
Le débat sur l’efficacité de
l’EPS
Mais du coup on comprend mieux le débat sur
« l’efficacité » de l’EPS. La Cour se plaint de ne pas
avoir d’indicateurs sur l’efficacité des cours d’EPS. Elle
estime que les évaluations du brevet et du bac ne
permettent pas d’évaluer les compétences sportives.
Et ce n’est pas totalement faux puisque l’EPS vise au delà
du sport. L’évaluation de l’EPS pour la Cour devrait
être comme l’évaluation du savoir nager. Celle-ci
est justement en train d’être revue par le
ministère.
Redresser l’EPS au primaire
La Cour déplore la maigreur des liens entre le
mouvement sportif et l’EPS. « Aucun objectif commun de nature
précise et opérationnelle n’a
été formalisé entre les ministères de
l’éducation et des sports : les programmes
d’EPS sont arrêtés par
l’Éducation nationale », relève la Cour. Les
associations elles-mêmes sont accusées de ne pas
assurer le relais vers les fédérations sportives.
Très logiquement on verra que la Cour propose à
l’Agence nationale du sport, donc au mouvement sportif, de
réorganiser les associations et de diriger l’EPS.
La Cour souhaite d’abord redresser l’EPS au primaire. Elle
relève que les 3 heures hebdomadaires ne sont
généralement pas faites. Pour cela elle compte sur
l’appui des professeurs d’EPS (PEPS) du 2d degré. Notons
tout de suite que leur intervention, si elle devenait
réglementaire, poserait des problèmes
d’organisation intéressants.
En récupérant les 3 heures
d’activités sportives
Mais comment dégager du temps de PEPS ? La Cour estime
que les 3 heures hebdomadaires pour activités sportives ne
sont pas toujours utilisées. Elle souhaite que les chefs
d’établissement puissent les récupérer.
Ainsi serait dégagé du temps d’enseignement qui
pourrait irriguer les écoles. Ce temps pourrait aussi
être mis à profit pour les deux associations Usep et
Unss que la Cour souhaite rapprocher. « Pour un emploi plus
optimal des moyens enseignants, lorsque l’adhésion
à l’association est faible, les trois heures
fléchées vers l’animation du sport scolaire
pourraient être remises à la disposition du chef
d’établissement, notamment pour renforcer
l’EPS ou le sport scolaire dans les écoles en lien
pédagogique avec le collège concerné ».
Dans le second degré, la Cour souhaite la mise au point
d’indicateurs vérifiables « à l’instar du savoir
nager » avec « des objectifs précis sur la maitrise de
compétences physiques élémentaires » et une
vérification des « aptitudes physiques ». On mesure
là surtout l’écart de culture entre EPS et
sport.
Rapprocher l’École du mouvement
sportif
En second objectif, la Cour veut « revitaliser » l’organisation
du sport scolaire en rapprochant les deux associations mais aussi
en contrôlant les fameuses 3 heures qui sont un peu
obsessionnelles dans le rapport.
Le 3ème objectif vise à faciliter les liens
entre l’école et le sport. Là le rapport tombe sur
un obstacle qu’il n’a pas réussi à bien sauter. Les
équipements appartiennent aux collectivités locales
et leur utilisation se négocie localement. La Cour
souhaiterait uniformiser les procédures de rattachement
des équipements sportifs aux établissements. Mais
elle n’ose pas aller plus loin.
Pour atteindre ces trois objectifs, la Cour en appelle
à l’ANS. « Intégrer le ministère de
l’éducation nationale à l’instance
exécutive de l’ANS pour mettre en place un relais
permanent entre l’école et le mouvement sportif et
s’assurer de l’harmonisation des conditions
d’accès aux équipements sportifs ».
Réponse prudente du ministre
Le ministre de l’Education nationale répond à
ces demandes avec une grande prudence. « S’agissant du
renforcement de l’enseignement de l’EPS dans le
primaire, je réaffirme ma volonté de renforcer la
pratique sportive à l’école et souhaite voir
assurées les 108 heures année d’EPS (3 heures
par semaine) dans le premier degré », repond JM Blanquer.
Mais dans les écoles, les inspecteurs mettent surtout
l’accent sur les fondamentaux et l’EPS s’en ressent.
« L’effectivité de l’enseignement de l’EPS dans le
primaire devrait être garantie. Mais le renforcement de cet
enseignement grâce à l’intervention dans les
écoles, notamment dans le cycle 3, de professeurs
d’EPS du second degré apparaît comme peu
réaliste, tant sur le plan de l’organisation que des
coûts financiers que cela induirait notamment du fait des
déplacements de ces personnels d’un
établissement à un autre », poursuit le
ministre.
« Fruit de l’histoire, le ministère ne peut que
reconnaître, comme la Cour, des discontinuités entre
le primaire et le secondaire, entre l’EPS et le sport
scolaire, et souhaite renforcer ces liens au profit des
élèves et de leurs familles », poursuit-il. Mais pas
au point de donner du poids à l’Agence nationale du sport.
« En réponse à la recommandation préconisant
« d’intégrer le ministère de
l’éducation nationale à l’instance
exécutive de l’Agence nationale du sport (ANS) pour
mettre en place un relai permanent entre l’école et
le mouvement sportif », le ministère siège
déjà parmi les représentants de
l’État à l’assemblée
générale de l’ANS. La nouvelle organisation
territoriale de l’État, en prévoyant la
création d’un délégué à
la jeunesse, à l’éducation populaire,
à la vie associative et au sport placé
auprès du recteur de région académique qui
animera les équipes régionales et
départementales chargées de ces missions,
contribuera également fortement à renforcer le lien
entre l’école et le mouvement sportif ».
Le ministre rappelle aussi que des indicateurs existent en
EPS. « L’évaluation de l’EPS repose
actuellement sur un référentiel par discipline, qui
détaille, pour chaque activité physique, sportive
ou artistique (APSA), le nombre de points à affecter
à l’élève en fonction de sa
performance. La majeure partie de ces points (14/20 pour la
course de demi-fond, 17/20 pour l’acrosport,
jusqu’à 20/20 pour les compétences propres du
groupe 4) est attribuée en fonction de l’atteinte
d’objectifs sportifs… La définition d’un
socle national de compétences, s’il est trop rigide,
nuirait à la diversité des activités
pratiquées, à la valorisation de compétences
variées, et finalement à
l’égalité entre les candidats, en
élaborant un profil « type » de sportif qui ne
correspondrait pas à la diversité des aptitudes et
des appétences ».
Si la rue de Grenelle a semblé souvent très
proche de la rue Cambon, force est de constater que le ministre
de l’éducation nationale entend limiter les interventions
de la Cour des comptes et du mouvement sportif.
La Cour pourra s’appuyer sur Bercy. Le ministre des comptes
publics estime qu’à propos de « la décharge horaire
dont bénéficient les professeurs d’EPS pour
participer à l’animation d’associations
sportives. Comme l’indique votre première
recommandation, mieux contrôler le respect de cette
obligation apparaît indispensable car cette décharge
représente un coût important ».
François Jarraud