La troisième année de JM Blanquer rue de Grenelle ressemblera t-elle aux précédentes ? Alors que le ministre poursuit ses projets, allant même jusqu’à remettre en selle cet été les EPSF bannis de la loi Blanquer, le paysage autour de lui est-il le même ? JM Blanquer semble avoir perdu la confiance des enseignants et poussé une frange non marginale à une radicalisation sans précédent. Il apparaît que la mobilisation enseignante s’est faite contre ses idées et non contre les réformes gouvernementales. Dans cette situation nouvelle, le ministre est-il capable de faire preuve de concessions et de dialogue ? Dogmatisme ou avenir politique, il va falloir choisir…
Le problème des enseignants ce n’est pas Macron mais Blanquer
Rentrée 2018, nous annoncions une accélération des réformes portées par JM Blanquer. « La seconde année sera vraiment celle des réformes ou au moins des tentatives de grand changement », écrivions-nous. Effectivement , l’année a vu défiler de la grosse cavalerie : la loi de transformation de la Fonction publique, la loi Blanquer, le livret orange et les recommandations , la circulaire de rentrée (là aussi il ne devait plus y en avoir mais finalement…), la réforme de la formation, la réforme territoriale, sans omettre les PIAL.
Ce déferlement d’annonces puis de textes n’a longtemps suscité que des réactions très modérées de la part des enseignants. Même le mouvement #pasdevagues, lancé à l’automne 2018, ne ciblait pas spécialement le ministre. JM Blanquer avait beau jeu de rappeler que le problème venait de loin.
On aurait pu s’attendre à ce que la mobilisation enseignante accompagne la loi de transformation de la fonction publique. Ce texte gouvernemental est un coup quasi mortel pour les syndicats. Il supprime leur contrôle sur les mutations et la carrière des enseignants, deux domaines qui fondent l’influence syndicale. Pour les enseignants, c’est aussi un texte qui va changer rapidement leur vie quotidienne. Ils vont se trouver seuls, sans appui syndical, face à leurs chefs directs, ceux ci ayant des pouvoirs renforcés et sans contrôle. La loi va aussi multiplier le recrutement de contractuels ce qui aura un effet immédiat sur les revendications salariales et sur le climat des établissements. Le premier ministre a annoncé son intention de doubler le nombre de contractuels dans le second degré dès 2020. Cette réforme de fond met fin à un demi siècle de cogestion et réduit les personnels E.N. au niveau de ceux du privé.
Mais il n’en a rien été. Si l’année a vu une mobilisation sans précédent des enseignants c’est uniquement sur des actes portés par le seul JM Blanquer. Il est apparu que le problème des enseignants ce n’est pas Macron mais Blanquer.
Un budget qui nourrit le trouble
Le premier acte c’est le budget que JM Blanquer a accepté pour 2019. Bon élève de Macron, en 2018 il a fait des économies de 200 millions qui n’ont pas échappé à Bercy. Pour 2019 il a accepté un budget qui ne lui donne pas les moyens nécessaires à ses réformes. Aucune réforme des programmes du collège n’est possible faute de pouvoir financer les manuels. Pire il n’y a rien que de l’austérité pour accompagner la réforme du lycée. On peut toujours mettre en avant le nécessaire rééquilibrage des dépenses entre 1er et 2d degré, dans le monde réel on sait qu’aucune réforme ne peut passer si elle ne s’accompagne pas de moyens suffisants pour la rendre acceptable. Le ministre a commencé à s’en mordre les doigts, mais ce ne sera pas mieux cette année.
La loi Blanquer
La contestation du ministre commence avec l’article 1 de la loi Blanquer. Un article dont l’utilité législative semble nulle mais qui est justifié par l’Education nationale pour faire taire les professeurs. Comme si l’article ne suffisait pas, l’Education nationale répond à la contestation par des menaces de sanction, avec ses épisodes troublants, comme la lettre envoyée par celui qui est maintenant directeur de l’enseignement scolaire, et ses farces, comme la descente à Nîmes de l’Inspection générale parce qu’un bac blanc n’a pas eu lieu. Après les écrits, les actes du ministère viennent justifier les alarmes des enseignants.
Il y a ensuite les suites des évaluations lancées par le ministre au CP et CE1. Là aussi on rejoue les années 2010. Malgré le caractère totalement non scientifique de la passation de ces évaluations dans le second degré, le ministre en tire des conclusions largement proclamées. La communication l’emporte nettement sur l’évaluation. Quant aux enseignants qui n’ont pas fait passer les évaluations nationales mais d’autres, une pluie de tracasseries et de menaces tombe sur eux.
La faute des EPSF
C’est dans ce climat qu’arrive le projet d’Etablissements publics des savoirs fondamentaux (EPSF) inscrits dans la loi Blanquer par un amendement soutenu par le ministre. L’idée c’est d’appliquer au premier degré les recettes de gestion du lycée. On regroupe écoles et collège dans une seule structure administrative permettant de relever les seuils d’effectifs et de soumettre les collectifs enseignants du 1er degré à un responsable hiérarchique, le principal du collège.
Ce projet suscite l’opposition des associations de maires alors que la majorité cherche à s’ancrer lors des municipales et, à quelques mois des municipales, JM Blanquer fait preuve d’un bel aveuglement politique. Les enseignants mobilisent les parents d’élèves et les élus de la majorité sont fortement chahutés dans leurs circonscription.
Ce sont eux, et probablement l’Elysée, qui imposent à JM Blanquer un pas en arrière. Finalement l’article 1 est réécrit. Quant aux EPSF ils sont retirés purement et simplement de la loi.
La réforme des lycées
Dans les lycées généraux, les enseignants découvrent la réalité de la réforme sur le plan pédagogique mais aussi sur le terrain pratique. Faute de moyens les inégalités entre lycées s’accroissent. Les enseignants comprennent que la réforme est d’abord un outil de gestion pour remplir au maximum les classes en effaçant les séries. La réforme du bac instaure une course de fonds des évaluations dès la première qui affaiblit les apprentissages. Les nouveaux programmes, décidés sans réelle concertation et parfois avec un dogmatisme porté par des lobbys, sont, dans de nombreuses disciplines, mais pas dans toutes, très mal accueillis. Même les profs de maths, pourtant fortement travaillés par le ministère, rejettent la réforme par la voix de l’APMEP. Quant à la réforme du lycée professionnel, même si le ministère n’ose pas encore en dévoiler tous les effets, elle est fort mal reçue par les enseignants. Tout cela aboutit à du jamais vu : une grève des surveillances puis des corrections du bac. De cette grève JM Blanquer ne sort pas vainqueur. Déjà parce que pour la première fois elle a eu lieu. Ensuite parce que JM Blanquer a montré qu’il sacrifie les valeurs de l’Education nationale à une efficacité de façade et surtout au respect de son autorité personnelle. Car le style de JM Blanquer a sa part dans cette évolution…
Où est passé » le vice président » ?
Le bilan de 2018-2019, c’est qu’en une année la position politique de JM Blanquer a changé. Rappelons nous ce qu’écrivaient les médias en 2018. Pour Le Parisien c’était « le chouchou ». Pour Le Figaro « l’atout réformateur de Macron ». Pour Le Point, « le nouveau cerveau de Macron », et même « le vice président ».
Tout cela semble bien loin. Le dernier tableau des personnalités politiques réalisé par l’IFOP pour Paris Match et Sud Radio montre qu’il y a plus de Français mécontents que de satisfaits de JM Blanquer. Le ministre séduit encore 46% des plus de 65 ans. Mais son score est deux fois plus faible chez les jeunes parents (21%) directement concernés par son action. Tout cela malgré un battage médiatique inouï : le ministre de l’Education nationale est la seconde personnalité politique présente dans les médias selon Le Figaro.
Dans l’Education nationale, la plus vaste consultation nationale, le baromètre Unsa, montre une politique ministérielle rejetée comme jamais par ses fonctionnaires. Seulement 6% des enseignants sont en accord avec les réformes ministérielles, là aussi du jamais vu. On atteint 5% chez les professeurs des écoles. Si les cadres font leur travail, ils ne soutiennent pas non plus. Là aussi on atteint des chiffres sans précédent. 42% des personnels de direction, une minorité, soutiennent les réformes. Mais seulement 37% des IEN et 32% des IPR. La rupture de confiance est bien là.
Obstiné
Clairement , pour la majorité, JM Blanquer est devenu une source de problèmes. Certes, il reste soutenu par l’Elysée. Cela s’est vu avec la nomination du nouveau numéro 2 du ministère qui, à la différence d’autres candidats potentiels, est pleinement compatible avec le ministre. L’Elysée va laisser JM Blanquer appliquer ses réformes. Mais le climat dans l’Education nationale, dans l’opinion publique, chez les parlementaires de la majorité et peut-être même rue du Faubourg Saint Honoré, n’est plus du tout le même que l’année dernière.
Le ministre réagit. Il communique ostensiblement sur la réception des syndicats. Mais les échos qui nous parviennent donnent à penser qu’il n’y a pas plus de concertation qu’avant.
Pourtant les échecs de l’année dernière laissent à penser que tout va dépendre de la capacité du ministre à mener à bien ces concertations. La récente publication de deux études sur l’Ecole du socle par le ministère montre que JM Blanquer s’obstine. Il donne l’impression de vouloir revenir sur les EPSF et de ne pas accepter leur retrait de la loi.
JM Blanquer semble ne pas voir la nouvelle situation née l’année dernière et ne pas entendre sa majorité. Dogmatisme ou avenir politique, il va falloir choisir…
François Jarraud